Menu Close
« Au commencement était l'émotion… », écrivait Céline. Guardiano007 / Shutterstock

Bonnes feuilles : L’émotion, le virus le plus contagieux sur Terre

Dans son livre « La contagion émotionnelle » (éditions Albin Michel), Christophe Haag, professeur à EM Lyon Business School et chercheur en psychologie sociale, s’intéresse à la manière dont les émotions se transmettent entre les individus. Après avoir enquêté dans des milieux où les nerfs sont mis à rude à épreuve (navette spatiale, haute montagne, cellule « négociation » du RAID, etc.), il apporte des éléments de réponse aux questions suivantes : « comment la transmission opère-t-elle ? » ; « quelles sont les émotions les plus contagieuses » ; ou encore « peut-on se décontaminer d’émotions destructrices ». Extraits.


La particule de Dieu

Je considère l’émotion comme « la particule de Dieu », tant elle fait la pluie et le beau temps sur notre moral et sur notre vie d’une façon générale. C’est elle qui permet, de manière quasi miraculeuse et explosive, d’animer en un instant nos corps mécaniques et ralentis par la routine de nos vies en leur injectant des envies ou des pointes d’angoisse, du tonus musculaire et un semblant d’âme et de consistance spirituelle. « Au commencement était l’émotion… », écrivait si justement Céline. L’émotion en tant que telle ne se voit pas à l’œil nu (ce sont ses manifestations que l’on repère), mais, qu’on croie en elle ou pas, elle se ressent au plus profond de nous-mêmes dans tous les moments de vérité qui jalonnent notre existence.

Or, on connaît aujourd’hui la durée de vie (de quelques millisecondes à quelques minutes), les causes et les conséquences de cette particule. Ses effets physiques et physiologiques sont répertoriés et codifiés. On sait même où elle loge dans notre esprit, ou devrais-je dire notre cerveau, car elle laisse des traces, aussi nettes que les empreintes d’un animal dans la terre ou la neige et qui permettent de l’identifier et de retracer son parcours. Une « signature neurale », comme l’appellent les neuroscientifiques. Peut-être sera-t‑on capable un jour de connaître son grammage exact ? Cette particule traçable à l’imagerie médicale est capable de voyager de corps à corps comme d’esprit à esprit. Après la physique quantique, place donc à la physique émotionnelle ! Et cela n’a rien de farfelu. Car nous formons un tout émotionnel, une sorte de champ psychique invisible qui nous relie émotionnellement les uns aux autres, un peu comme des gouttes dans l’océan, formant une vaste mer d’énergies vibratoires. Les émotions des autres nous imprègnent tous, d’une manière ou d’une autre, et influent sur nos états d’âme, nos comportements et souvent le cours de nos vies.

Le hum émotionnel

Les réactions après un accrochage, symptôme du « hum émotionnel » actuel. Monkey Business Images/Shutterstock

Depuis quelques décennies, un bourdonnement sourd, mystérieux et envahissant est observé par plusieurs chercheurs, un son étrange qui se fait entendre dans plusieurs régions du globe et dont l’origine est inconnue. Certains prédicateurs de la fin des temps, qui ont rebaptisé ce phénomène « trompette de l’Apocalypse », y voient une sorte d’orage avant la tempête : le signe que la Terre se rebiffe contre les maltraitances qu’on lui inflige, comme en témoigne l’augmentation de la fréquence des séismes, des cyclones, des tsunamis, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre, des canicules, etc. La Terre serait prête à exploser d’un moment à l’autre sous l’effet du réchauffement climatique, entraînant le chaos…

Ainsi ai-je eu envie, dans ce livre sur la contagion émotionnelle, de vous avertir des possibles effets à long terme de ce que j’appelle le « hum émotionnel », ce trop-plein d’émotions négatives collectivement partagées sur notre planète et qui pourrait un jour nous amener, dans des mouvements de masse gigantesques, à nous entre-déchirer. Car nous sommes entrés dans le siècle de la sur-émotionnalité. Il n’y a qu’à voir le niveau d’irritabilité des gens. Jamais la contagion émotionnelle n’a été si intense. Combien de fois ai-je vu, après un simple accrochage entre deux voitures, les automobilistes sortir de leur véhicule rouge de colère, et se mettre à se hurler ou à se cogner dessus. L’incident n’était qu’un prétexte pour évacuer un trop-plein d’émotions toxiques emmagasiné en eux. Le négatif l’emporte ainsi souvent sur le positif, ce qui fait que notre civilisation est en déséquilibre émotionnel.

« Partageons des ondes positives »

En dehors de la nature et de la famille, les deux mamelles de notre équilibre émotionnel, certains comptent sur l’État (psychique) providence à l’heure où le président Macron et sa ministre du Travail veulent faire, à travers la Happy Tech, de Paris et de la France la capitale du bien-être au travail. D’autres misent plutôt sur l’équipe de France de football – davantage d’ailleurs que ceux qui croient aux politiques. Floquez une nouvelle étoile sur le maillot national et la folie s’emparera de tout un pays ! TF1, l’un des diffuseurs officiels de la Coupe du monde, ne s’y est pas trompée quand, en 2018, elle a choisi comme slogan « Partageons des ondes positives » : quand l’équipe de France a gagné, une joie immense s’est répandue dans tout le pays, faisant vibrer des millions de personnes à l’unisson. Les coups de klaxon retentissaient partout, célébrant une victoire devenue celle de tous.

Le fameux R0 que les scientifiques utilisent pour mesurer la contagiosité d’un virus, c’est‑à-dire le nombre moyen de personnes qu’une personne contagieuse pourrait infecter, a atteint ce jour-là un niveau record. Bien sûr que la victoire de l’équipe de France a fait du bien ! Et combien de temps dure un tel effet importe finalement peu, qu’il se produise est déjà bien. Mais la vraie question est celle de sa portée émotionnelle à l’échelle planétaire, puisque l’on parle ici de « hum » et pas d’une simple toux. Une Coupe du monde, c’est un vainqueur… et trente et un perdants. Un pays qui sourit tout entier versus trente et un qui font la moue (il n’y a qu’à se rappeler la réaction de certains de nos amis belges après leur défaite). Ainsi peut-on se poser la question : de quel côté la balance émotionnelle, au niveau mondial, a- t‑elle penché finalement ?

« Partageons des ondes positives », bande-annonce TF1 (2018).

Ne pas finir comme Dracula

Pour Dracula, impossible de s’autocontaminer émotionnellement… Ysbrand Cosijn/Shutterstock

Transformons également nos faiblesses en force. Notre narcissisme peut nous aider à nous autocontaminer d’émotions positives et, par la force des choses, à propager des émotions plus constructives et positives autour de nous. Posons, comme nous l’avons vu, d’abord le masque à oxygène sur notre visage avant de vouloir sauver la personne à côté de nous. Comment ? C’est simple ! Selon des chercheurs anglais, un homme se regarde dans un miroir en moyenne 23 fois par jour, une femme 13 fois… les miroirs sont partout, et le narcissisme qui va avec aussi. Eh bien, c’est une chance ! Chaque fois que nous nous contemplons dans la glace, cela nous donne l’occasion de chasser les émotions négatives.

En jouant à l’Actors Studio : si vous êtes par exemple triste, feignez la joie sur votre faciès en pensant à un épisode heureux de votre vie, essayez de sourire avec votre bouche et vos yeux, et tapotez vos joues pour vous donner meilleure mine, tenez ensuite la posture quelques minutes. Logiquement, par effet miroir ( !), vous devriez tendre rapidement vers un état plus positif. Chaque émotion a son partenaire supersymétrique, ou son antiparticule : pour la tristesse, c’est la joie, le dégoût l’acceptation, l’angoisse la sérénité, etc. Pour retrouver l’équilibre, il nous suffit de jouer la partition émotionnelle antonymique et d’être influencé par notre reflet. Dracula ne pouvait pas le faire, voyez comment il a fini.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 181,000 academics and researchers from 4,921 institutions.

Register now