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    07/06/2019

    Ils ont connu la prison en Turquie et en France

    À cause de leur engagement, deux militants turcs risquent d’être expulsés de France

    Par Anouk Loisel

    Zehra Kurtay et Veli Yati sont turcs, réfugiés en France depuis plus de dix ans. Mais leur titre de séjour n'a pas été renouvelé. En cause, leur activité militante qui leur a justement valu d’être réprimés en Turquie et accueillis en France.

    Zehra Kurtay et Veli Yati, vêtus d’un maillot rouge, installent leur petite table de camping et déplient leur banderole. « Nous demandons la restitution de notre titre de séjour », peut-on y lire en lettres capitales jaunes. Tous deux ont fui la répression en Turquie. Alors qu’ils étaient réfugiés politiques en France depuis 12 et 14 ans, l’État leur a retiré leurs papiers il y a plus d’un an. Depuis, ils se battent pour les récupérer et ainsi continuer à vivre en France.

    Chaque vendredi, samedi et dimanche après-midi, ils se rendent sous la porte Saint-Denis pour sensibiliser les passants à leur situation et leur faire signer une pétition qui demande à l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) la restitution de leurs titres de séjour. Une femme vêtue de noir, lunettes de soleil sur les yeux, ralentit devant le stand. Zehra, petite brune aux cheveux bouclés, sourire éclatant, engage la discussion avec elle. Même si elle comprend bien le Français, elle a du mal à le parler. Heureusement, une de ses amies est toujours là pour traduire. Après quelques mots échangés, la passante prend un crayon et se penche pour signer le texte. Veli, cheveux courts et moustache brune, reste en retrait et parle peu.

    « On nous a octroyé le droit d’être réfugiés politiques à cause des traitements que l’on a subi en Turquie pour avoir été militants de gauche. Finalement, en France, on est punis pour les mêmes choses », s’exclame l’homme, âgé de 46 ans :

    « On veut maintenant nous retirer nos titres de séjour pour nos opinions, nos idées. »

    La faute de ces deux réfugiés ? Avoir fait partie de l’Association culturelle et de solidarité Anatolie Paris (Acsap). Cette organisation a été accusée en 2012 de financer le DHKP-C, un parti turc de gauche, révolutionnaire, considéré comme terroriste par l’Union européenne pour son implication dans des attentats en Turquie. « On me reprochait d’être allée avec l’association à la Fête de l’Humanité, à des concerts militants, d’avoir réuni des fonds pour les prisonniers en Turquie, d’avoir manifesté contre le gouvernement turc… », énumère Zehra Kurtay, âgée de 47 ans. Il y a aussi la vente de la revue Yürüryüs, pourtant autorisée en France comme en Turquie.

    Zehra Kurtay et Veli Yati sont condamnés en 2012 à respectivement cinq et trois ans de prison pour « association de malfaiteurs en lien avec des entreprises terroristes ». La première purge presque entièrement sa peine. Le second après trois ans derrière les barreaux est condamné à nouveau en 2017 pour avoir refusé de porter un bracelet électronique. Rebelote : 13 mois en cabane.

    Réprimés en Turquie

    L’un comme l’autre avaient déjà connu des problèmes juridiques dans leur pays natal. En Turquie, Zehra est journaliste puis rédactrice-en-chef du média d’opposition « Kurtulus ». Pour cette activité, elle est emprisonnée trois fois. « La troisième, c’est l’époque des grandes grèves de la faim pour protester contre l’isolement total dans les prisons », explique-t-elle. Pendant 180 jours, la jeune femme n’avale que de l’eau, du sucre, du thé, et de la vitamine B1 pour rester en vie. Des médecins finissent par l’alimenter de force, mais sans vitamines. Résultat : elle contracte le syndrome Wernicke-Korsakoff, qui provoque un état confusionnel aigu et une amnésie sur le long-terme. Aujourd’hui encore, des années plus tard, elle souffre de pertes d’équilibre et d’amnésie partielle.

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    Veli Yati et Zehra Kurtay for the win. / Crédits : Anouk Loisel

    « Le gouvernement a fait passer une loi pour nous faire sortir de prison », poursuit-elle. « Pas par gentillesse, mais pour que le mouvement de grève de la faim en prison s’arrête… ». À sa sortie, le journal dans lequel elle travaillait avait été interdit, et tous ses journalistes assassinés ou emprisonnés, explique-t-elle. Très affaiblie, elle passe plusieurs mois chez des proches. « Ils m’ont permis de me souvenir et d’aller mieux », raconte Zehra avec gratitude. Mais son état de santé, trop dégradé, ne lui permet plus de prendre de risques. En 2007, elle quitte la Turquie pour la France, où elle s’installe chez des amis, exilés eux aussi.

    Zehra obtient son titre de réfugiée politique en 20 jours. Elle se soigne et essaye d’apprendre la langue, même si l’amnésie n’aide pas. Veli Yati, qui militait également en Turquie pour une société plus démocratique, a « seulement » connu les gardes à vue. Il a quitté son pays avant que les choses se gâtent, rejoignant de la famille à Annecy, en 2005. Les papiers français lui ont été refusés par trois fois. « Ils disaient qu’avoir été en garde à vue n’était pas suffisant pour obtenir le titre de réfugié politique », se souvient-il. C’est seulement en 2009, alors qu’il est incarcéré dans l’attente du procès, que la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) lui octroie un titre de séjour.

    Après l’accueil, la menace d’expulsion

    Les deux se connaissaient en Turquie, mais à cause de son amnésie, Zehra ne s’en rappelle plus. Veli l’a retrouvé en fréquentant l’Ascap, à Paris. Aujourd’hui, tous deux luttent ensemble pour la même chose : conserver leur titre de séjour.

    L’année dernière, Veli s’est vu retirer son statut de réfugié politique par l’Ofpra, à cause de sa condamnation. Il passera prochainement devant la Cour Nationale du Droit d’Asile qui devra trancher sur la question.

    Zehra, elle, s’est rendue à la préfecture pour faire renouveler son titre de séjour en mars 2018. Depuis : plus aucune nouvelle. Elle a réussi à obtenir un récépissé de 3 mois en mars 2019, qui arrive à expiration dans quelques jours. Alors qu’elle est reconnue comme travailleuse handicapée, elle ne touche plus aucune aide financière. « Je n’ai plus rien pour vivre, heureusement qu’il y a la solidarité, des amis qui m’hébergent. » Elle déplore :

    « On vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Du jour au lendemain on peut être expulsés. »

    En plus du stand qu’ils tiennent tous les week-ends à Strasbourg Saint-Denis, Veli se rend chaque après-midi de la semaine devant l’Ofpra avec des pancartes et des tracts. Pour Zehra, le traitement qu’ils subissent est injuste : « Des gens se sont battus pour qu’on ait ces droits de manifestation, d’association… Qui sont aujourd’hui bafoués et pour lesquels on nous punit. Si nous on est des terroristes, alors la majorité des Français le sont ! ». Elle martèle : « On n’est pas des terroristes. À la limite, on est des révolutionnaires. Mais ça n’est pas un crime, pour moi c’est un devoir. »

    Veli, lui, pointe l’incohérence des décisions successives sur leur droit d’asile et leur traitement par l’État français :

    « On a été jugé pour terrorisme en France, on a déjà purgé nos peines… Ça, c’est une double-peine. C’est nous dire : “Vous ne pourrez jamais vivre, peu importe où vous allez”. »

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