Cela a été “le plus grand désastre de l’histoire de l’industrie de la musique, accuse The New York Times dans son édition du mardi 11 juin. Mais presque personne ne le savait.” De l’incendie de 2008 déclenché dans les studios d’Universal, le grand public ne se souvient que de la destruction des salles de tournage, de matériels d’enregistrement et de vidéos. “L’article du New York Times à l’époque était classique : il ne faisait pas mention des archives musicales qui se trouvaient dans l’entrepôt dévasté”, retrace aujourd’hui le quotidien américain. En effet, “Universal Studios Hollywood était un studio de cinéma et pas une compagnie de disques”, rappelle le journal. Depuis 2006, Vivendi était propriétaire du label, donc les films et la musique étaient gérés de façon distincte.

Mais d’après le New York Times, qui s’appuie sur des témoignages et plusieurs rapports internes d’Universal Music Group, environ 500 000 titres musicaux, stockés dans le bâtiment 6197 des locaux du label américain, ont brûlé dans l’incendie. “Cet édifice était le principal entrepôt de masters de la côte Ouest, ces enregistrements originaux à partir desquels sont réalisées toutes les copies ultérieures. Un master est un objet unique, la source irremplaçable d’un morceau de musique enregistré.”

Du jazz des années 1940 au rap des années 2000

On ne peut pas dire exactement combien d’enregistrements étaient des masters, ni de quel type de masters il s’agissait. Mais les pertes étaient importantes, recouvrant un large pan de l’histoire de la musique populaire, des grands noms d’après-guerre aux stars d’aujourd’hui.”

Parmi les masters détruits, on retrouve les premiers titres commercialisés d’Aretha Franklin, la discographie complète de Chuck Berry et Duke Ellington ou encore des enregistrements de Louis Armstrong. Des masters d’Eric Clapton, The Eagles, Elton John ou Eminem sont aussi partis en fumée, de même que “des dizaines de milliers de disques de gospel, country, soul, disco, pop, classique”. Les pertes sont estimées à “150 millions de dollars”. “Mais historiquement parlant, l’ampleur de la catastrophe est stupéfiante”, reprend le journal.

Un “secret de polichinelle” gardé depuis des années

Quelques jours après l’incendie, une journaliste a pourtant suspecté que quelques milliers d’enregistrements originaux auraient été brûlés. Le même jour, le porte-parole d’Universal Music Group démentait ces propos dans la revue Billboard. En 2008, la compagnie redoutait la réaction du public, autant que celle des artistes concernés.

Mais selon le journal, “le sort de toutes ces bandes a été un secret de polichinelle pendant des années. Il est étalé aux yeux de tous sur Internet, apparaissant sur des forums fréquentés par des collectionneurs de disques et des ingénieux audio”, sans que l’information ne soit pour autant relayée par les grands médias.

Pour le New York Times, “la situation est critique : c’est une attaque au ralenti contre notre patrimoine musical dont beaucoup, dans l’industrie du disque, et a fortiori parmi le grand public, ne saisissent pas la gravité. Si une perte d’une ampleur comparable s’était produite dans une autre institution culturelle — comme le Metropolitan Museum of Art —, il y aurait eu une plus grande sensibilisation au problème et peut-être même une forme de responsabilisation.”