Plaidoyer pour l’éolien… en 1920

En Bretagne, le « zef » on connaît bien ! Alors quoi de plus banal quand un certain E.H. Lemonon – « membre de l’Association française pour l’avancement des sciences » – clame : « utilisons le vent » en une du quotidien L’Ouest-Eclair ? Rien, sauf que ce plaidoyer pour l’énergie éolienne date du 15 novembre 19201

Moulin à vent. Carte postale. Collection particulière.

Pour convaincre du bien fondé de l’exploitation de ce qu’il nomme la « houille blanche », comme il y a une « houille verte » avec l’hydraulique, le scientifique s’appuie tout d’abord sur des arguments économiques. Au risque d’enfoncer une porte ouverte, E.H. Lemonon rappelle en préambule que le vent est « une force motrice gratuite », ce qui est un très grand avantage face aux « combustibles  solides tels que les bois et les charbons de toutes sortes, ainsi que les combustibles liquides comprenant les huiles lourdes, le pétrole, l’essence et l’alcool »  qui ont un coût à extraire ou à produire. Ainsi, pour Lemonon, dans le cadre d’une économie concurrentielle, « l’obtention de  rendements plus élevés » passe par la « recherche de procédés les plus économiques pour la production de la force motrice ». Un brin emphatique, il ajoute que « la prospérité d’une nation est intimement liée à celle de son industrie, et celle-ci dépend des conditions dans lesquelles elle peut obtenir de la force motrice ». Partant de là, il constate que « notre pays » est « privilégié au point de vue houille blanche [tandis qu’il] est nettement défavorisé en  ce qui concerne les charbons et les combustibles liquides ».

Pour autant, les arguments du scientifique ne se cantonnent pas à la seule rentabilité capitaliste. Alors que l’on se situe bien en amont du développement du discours écologiste de la fin des Trente glorieuses, certains de ses propos ont une résonnance particulièrement actuelle : « [les combustibles] après avoir été gaspillés, menacent de disparaître ». Il prône donc la sobriété pour « la génération actuelle dans l’unique but de permettre aux  générations futures de profiter de leurs bienfaits ». Il est également intéressant de constater  que moins d’un siècle après les débuts  de l’exploitation industrielle des matières premières fossiles, des scientifiques cherchent déjà des énergies alternatives. Alors que les gisements sont loin d’avoir été tous exploités et que l’on est encore loin de parler de changement climatique… Un an plus tôt, dans le même quotidien, c’était en effet la cause de la « houille verte » – l’énergie hydroélectrique – qui  était plaidée.

En 1920, point d’éolienne pour convertir l’énergie du vent en électricité, mais des « aéromoteurs ». A lire les exemples donnés, ceux-ci semblent rentables par rapport aux moteurs à combustible. Comme dans cette distillerie de Narbonne, où un aéromoteur a remplacé une « machine à vapeur de 20 Hp qui dépensait en combustible et entretien 5 000  francs  chaque année », quand  l’entretien de la nouvelle machine  ne  coûte que 16 francs. Néanmoins,  Lemonon se  lamente du retard français sur le développement de la production électrique par ces  « moteurs éoliens ».

Coup de vent. Carte postale. Collection particulière.

Malgré tous ses arguments,  le scientifique explique avoir déjà entendu maintes fois une récrimination que l’on entend encore de nos jours : « le vent, il est vrai, est irrégulier. Il ne souffle pas tous les jours  à une vitesse constante ». C’est pourquoi qu’il ne voit dans l’énergie  éolienne qu’une énergie d’appoint qui pourrait parfaitement être utilisée par « bon nombre d’organisations industrielles ou agricoles qui ont, jusqu’ici, recours au charbon si précieux et qui pourraient parfaitement s’accommoder de la force motrice intermittente que produit le vent ». Il imagine toutes sortes d’utilisations de la force éolienne : « broyage des graines, compression de l’air, électrolyse ou élévation de l’eau dans les réservoirs ». Bref, un propos qui semble annoncer le « mix énergétique » dont on parle aujourd’hui tant…

A la fin de sa démonstration, s’il est persuadé du bienfondé de sa démarche et  des bénéfices à tirer de l’énergie éolienne, E.H. Lemonon semble toutefois conscient du long chemin à parcourir pour que le vent devienne une houille comme une autre. Mais de là à dire, que sa démarche s’apparente à celle de Don Quichotte face aux  moulins à vent…

Thomas PERRONO

 

 

 

1  « Utilisons le vent », L’Ouest-Eclair, 15 novembre 1920,  p. 1-2, en ligne.