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Adolfo Kaminsky, faussaire humaniste et photographe des petites gens

Le travail artistique de ce résistant, qui a fourni des milliers de faux papiers aux juifs persécutés pendant la Seconde guerre mondiale, est mis en lumière au Musée d’art et d’histoire du judaïsme. Sa fille, Sarah, décrypte pour Le Figaro trois clichés emblématiques de son œuvre.

Rues désertes du Paris nocturne, portraits d’artisans, de rempailleurs, de brocanteurs, d’enfants rieurs qui ont élu la rue comme terrain de jeux, photos industrielles... Méconnue, l’œuvre photographique d’Adolfo Kaminsky n’a rien à envier aux plus grands photographes humanistes du XXe siècle. Faussaire depuis la Seconde Guerre mondiale, fournisseur de faux papiers pour des milliers d’opprimés risquant la mort jusqu’en 1971, le photographe peut se targuer d’un joli retour à la lumière. Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme expose, jusqu’au 8 décembre, 70 clichés de celui qui s’est attelé à magnifier les personnes de l’ombre. Ces petites gens d’un Paris perdu qui exhibaient leur savoir-faire à même la chaussée.

Trente ans de clandestinité

Adolfo Kaminsky a découvert la photographie pendant la Seconde Guerre mondiale. Entré dans la résistance dès ses 17 ans, celui que l’on nommait «le technicien» a développé des sources intarissables d’ingéniosité pour honorer les demandes ininterrompues de faux papiers: «J’avais besoin pour les faux papiers de copier, de calquer et de photographier». Dans cette course contre la montre, photographier les documents et les développer en gros plan lui permet alors d’aller plus vite. L’autodidacte poussera son apprentissage bien au-delà des besoins de son activité. Adolfo Kaminsky qui, enfant déjà, rêvait de devenir artiste entrevoit la possibilité qu’offre l’objectif à magnifier le quotidien. «Ces photographies je ne pouvais pas prendre le risque de les montrer, pour ma sécurité et celle des gens que j’essayais de sauver, il me fallait faire preuve d’une discrétion absolue», confie dans son appartement parisien l’homme alerte de 94 ans.

Après la guerre, seul, sans diplôme et enchaînant les petits boulots, il se lance à corps perdu dans la photographie: «Chaque nuit, je grimpais sur les toits de Paris pour capturer l’instant dans la ville endormie. Ainsi sont nées mes premières ambitions artistiques et le laboratoire de faux papiers, transformé en laboratoire de photographie et de chimie, s’est remis en route», explique le photographe dans Une vie de faussaire, le livre écrit par sa fille Sarah, en 2009. Des milliers de clichés, témoins d’un Paris aujourd’hui oublié, ont accompagné, engrangés dans des cartons, l’homme voué à trente ans de clandestinité et qui savoure, à 94 ans, le plaisir de ne plus avoir à se cacher. Florilège commenté par Sarah Kaminsky qui a largement contribué à sortir le travail artistique de son père de l’ombre.

Le libraire, Paris, 1948

Ce libraire, qui pose à côté de ses chats, fait partie d’une série de clichés de barbus réalisés en hommage à un couple que mon père a rencontré à Drancy. À son arrivée dans le camp, le couple est très élégant, l’homme a une très belle barbe sa jolie femme à son bras. Il est fasciné par leur allure. Le lendemain, il les revoit passer tête tondue et ils lui apparaissent tout alors tout rabougris: pour lui, ils étaient déjà morts. Ces photos de barbus sont étroitement liées à son souvenir. Chaque prise de vues veut rendre à cet homme sa dignité. Le cliché est une composition, mon père ne fait jamais de photo à la dérobée. C’est une photographie humaniste avec mise en scène. Souvent, les personnages le regardent. La tête de l’homme, au centre de la photo, met en relief un regard extrêmement dur.

Portrait, le rempailleur de chaise, Paris, 1954

«Mon père a passé sa vie à se faire oublier, se pliant aux règles rigoureuses d’une discrétion absolue. Ces petites gens, comme lui, n’avaient pas le droit à la lumière. Ces sujets l’ont prise grâce à lui. De plus, mon père admire la dextérité et la précision de ces travailleurs desquels il se sent proche. Il est issu, tout comme eux, d’un milieu modeste.»

Femme seule qui attend, Paris, 1946

Mon père était fasciné par cette atmosphère du Paris nocturne d’après-guerre. Pendant la guerre, il y avait un couvre-feu et il a été privé de la vie nocturne des Parisiens, de cette sensation de liberté de pouvoir marcher la nuit dans la ville. Pour lui cela représentait une forme de liberté retrouvée. En vadrouille avec un ami, il photographie à tout va, heureux de pouvoir capter cette atmosphère. Les murs sont noirs, on a du mal à reconnaître la ville. Elle semble sale, vide, très peu éclairée. Quand il intègre un personnage dans son cadre, comme ici cette femme seule, il évoque la solitude inhérente à la clandestinité. Mon père en a beaucoup souffert. À la fin de la guerre, il est seul. Sa mère est morte dans des circonstances bizarres lorsqu’il avait quinze ans. Quand tous ses amis retrouvent leur vie d’avant, lui n’a plus rien. Son père vit dans un tout petit studio, il n’y a plus d’appartement familial et la famille est disloquée.»

Adolfo Kaminsky, faussaire et photographe, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, jusqu’au 8 décembre.

POUR ALLER PLUS LOIN:

Une vie de faussaire, livre de Sarah Kaminsky, Livre de poche, 7,20 euros.

Livre de photos: Adolfo Kaminsky, changer la donne, collectif, éditions Cent Mille Milliards, 30 euros.

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Adolfo Kaminsky, faussaire humaniste et photographe des petites gens

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1 commentaire
  • Le_Pompiste

    le

    Un faussaire qui a aidé des migrants sans papiers contre la loi de son pays ? Mais c'est un criminel, ma bonne dame !!!

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