"Tu n'aurais pas dû naître", "fille du diable", "fille du déshonneur" : trois enfants de prêtres témoignent

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"Tu n'aurais pas dû naître", "fille du diable", "fille du déshonneur" : trois enfants de prêtres témoignent

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Un dessin de Léa, fille de prêtre : "c'est mon image fétiche, un berceau posé dans une église"
Un dessin de Léa, fille de prêtre : "c'est mon image fétiche, un berceau posé dans une église"
- DR - Léa

Pour la première fois, des enfants de prêtres vont témoigner ce jeudi au siège de la Conférence des évêques de France. Plusieurs de ces enfants, devenus adultes, ont accepté de nous raconter leur histoire, entre silence, rejet et humiliation. L'Église de France se dit prête à reconnaître leurs souffrances.

Léa utilise encore aujourd'hui, à 40 ans, un pseudonyme pour raconter son histoire. Son numéro de téléphone est sur liste rouge et non, il n'est pas possible de la prendre en photo. "Seulement, si vous le souhaitez, ma main", dit elle. "Mon poignet, sur lequel est accrochée la montre de mon père".

Prêtre durant 20 ans, son père, qui donne aussi des cours de philosophie dans un lycée catholique du sud de la France, rencontre dans les années 1960 une autre enseignante. Ils tombent amoureux. 

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"Mon père voulait changer de vie, se marier et il voulait faire les choses de manière réglo,. Il a fait toutes les démarches auprès du Vatican. Des démarches très longues, très difficiles : ce n'était pas gagné d'avance pour lui, ça a pris deux ans."

"Ils ne voulaient pas d'un prêtre défroqué chez eux"

La suite est tout aussi ardue. "Quand vous quittez les ordres, vous n'avez rien. Vous avez donné votre corps, votre âme à Dieu. Vous n'avez pas d'argent, seulement deux-trois pulls, une paire de chaussures, une soutane, pas de maison, pas de meubles. Mon père a pris un nouveau poste d'enseignant dans un autre lycée catholique situé à quelques dizaines de kilomètres de sa paroisse. Et c'est là que ça a commencé à mal se passer".

Léa est alors toute jeune, mais elle se souvient d'une angoisse très pesante à la maison. "Les parents d'élèves ont découvert que mon père était un ancien prêtre. Ils disaient qu'il allait pervertir la jeunesse et qu'ils ne voulaient pas d'un prêtre défroqué chez eux. On avait régulièrement des lettres anonymes de menaces, des colis avec des excréments dedans. Nos chats ont été tués. Il y a eu aussi une fois où j'étais dans un landau. Ma mère m'a quittée deux secondes pour faire un truc. Quand elle est revenue, il y avait un sac poubelle sur mes genoux..."

Léa, 40 ans, porte la montre de son père prêtre
Léa, 40 ans, porte la montre de son père prêtre
© Radio France - Julie Pietri

Après un début d'incendie criminel dans leur maison, ses parents décident finalement de quitter le village pour une plus grande ville. Dans l'anonymat de ses grandes artères, tout s'est ensuite mieux déroulé. Mais au sein de la famille, rien n'est apaisé : 

"La situation scandalisait mes grands-parents maternels.  Ils détestaient mon père. Lorsque j'avais 10 ans, ma grand-mère me prenait à part et me disait : 'Tu n'aurais pas du naître, tu es une fille du déshonneur, une fille du diable'."

Stigmatisée car fille d'un curé

Le rejet, Nathalie, 50 ans, l'a aussi vécu. Son père, prêtre, a également quitté les ordres après avoir rencontré sa future femme. "Ils étaient très amoureux. 42 ans d'amour fou", raconte-t-elle. L'enfance est plutôt heureuse. Le secret est tu pendant quelques années. C'est plus tard, jeune adulte, qu'elle rencontre des premières difficultés. "À l'âge où, jeune femme, vous rencontrez des gens. Vous entendez des réflexions du genre : 'Toi, je ne peux pas t'épouser parce que t'es fille de curé. Tu n'es pas quelqu'un de bien'. Ce rejet a suscité chez moi pas mal de colère parce que personne n'est responsable de ce qu'ont fait ses parents, vous voyez ? Moi je pense que le plus grand frein ne vient pas de l'Église... mais des catholiques intégristes qui refusent l'idée qu'un prêtre puisse se marier."

Nathalie, fille de prêtre, témoigne à visage découvert
Nathalie, fille de prêtre, témoigne à visage découvert
© Radio France - Julie Pietri

Ils demandent reconnaissance et accompagnement 

Le rendez-vous d'aujourd'hui, au siège de la Conférence des évêques de France est un espoir pour la soixantaine de fils et filles de prêtres qui ont adhéré à l'association Les enfants du silence. Anne Oxford, sa vice présidente, auteur du livre "Moi, fille de prêtre, histoire d'un secret" sera présente, face aux évêques, pour demander à l'Église reconnaissance et accompagnement. "Bien sûr, depuis 2017, l'Église incite les prêtres à s'occuper de leurs enfants, ce qui n'était pas le cas à l'époque de mes parents, mais le silence reste. Il ne faut surtout pas dire que cet homme devenu père a été prêtre, on l'envoie dans un autre diocèse, etc. Mais si, il faut dire justement ! Comment ces prêtres et ces religieuses peuvent être accompagnés et pas virés comme des parias ? Forcément, les enfants, ils ne peuvent même pas exister là dedans." L'association demande également que l'Église ne ferme pas la porte aux nez des enfants qui cherchent des réponses, des informations, après avoir été abandonnés par un père prêtre ou une mère religieuse. 

"L'Église doit reconnaître que ces personnes existent"

De son côté, l'Église de France se dit aujourd'hui prête à écouter et à admettre les erreurs du passé. Après une première réunion informelle, ce sont les évêques qui siègent dans une commission en charge de la question des prêtres qui vont recevoir trois membres des Enfants du silence. "Je crois qu'il faut être tout à fait honnête, commente Vincent Neymon, porte-parole adjoint de la Conférence des évêques de France. La crise que nous traversons nous a fait prendre conscience que des gens ont souffert et souffrent encore du fait de l'Église. Sans doute que les oreilles de l'Église sont plus ouvertes aujourd'hui. Il est plus que normal que les enfants de prêtres soient reçus ne serait-ce qu'au nom de ce que l'Institution n'a pas fait quand ils étaient enfants. L'Église doit reconnaître que ces personnes existent."

Aujourd'hui, les évêques ne savent pas encore ce qu'il va advenir de ce dialogue qui débute. Leur ligne est celle de Rome : "Si on apprend qu'un prêtre est père de famille, il est évident qu'il doit quitter l'état clérical pour assumer sa paternité". Les évêques se disent également prêts à proposer un accompagnement spécifique, en puisant dans un fond à destination des prêtres qui quittent leur ministère.

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