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Dix-huit ans après, l’indemnisation des victimes du 11 Septembre toujours pas réglée

Les réserves du fonds fédéral d’indemnisation s’épuisent mais le Congrès américain tarde à adopter une loi garantissant sa pérennité. Mardi à Washington, l’ancien animateur vedette Jon Stewart a poussé un coup de gueule poignant.
par Frédéric Autran
publié le 12 juin 2019 à 19h46

Il est des attentes plus insoutenables que d’autres. Celle des victimes collatérales du 11 septembre 2001 en fait assurément partie. Presque dix-huit ans après les pires attaques terroristes de l’histoire des Etats-Unis, les élus américains n’ont toujours pas résolu définitivement le dossier de la prise en charge et de l’indemnisation de ces personnes et de leurs familles. Une apathie qui affecte en particulier les pompiers, policiers, secouristes et volontaires tombés malades après avoir participé aux opérations de recherche et de déblaiement dans le sud de Manhattan.

Exposés pendant des semaines voire des mois aux fumées et aux poussières toxiques s'échappant des décombres de Ground Zero, où le dernier incendie avait mis quatre-vingt-dix-neuf jours à s'éteindre, des milliers de personnes ont développé par la suite des pathologies plus ou moins graves.

Selon le dernier décompte du World Trade Center Health Program, programme public créé en 2011 pour fournir des soins médicaux aux personnes intervenues sur le site des attentats (les «Responders») et aux résidents tombés malades (les «Survivors»), le programme comptait fin mars plus de 95 000 membres. Parmi eux, 2 355 sont morts et près de 12 000 souffrent d'un cancer.

Soins médicaux garantis…

Dans quelques années, le nombre de décès dus aux émanations toxiques dépassera le bilan humain des attaques elles-mêmes, qui avaient fait près de 3 000 morts. C'est déjà le cas au sein de la police new-yorkaise : en 2017 seulement, 23 agents ou retraités du NYPD ont succombé à une maladie liée au 11 Septembre, autant que le nombre de policiers tués le jour des attentats. Chez les pompiers de New York (FDNY), 343 sont morts le 11 septembre 2001, la plupart dans l'effondrement des tours jumelles.

Depuis, entre 180 et 220 décès supplémentaires, selon les sources, ont été comptabilisés. Dont celui, emblématique, de l'ancien chef du FDNY Ronald Spadafora, chargé pendant neuf mois de superviser la sécurité des travailleurs sur le site de Ground Zero, et mort l'an dernier à 63 ans d'un cancer du sang.

Très vite après les attentats, un fonds d'indemnisation des victimes (Victim Compensation Fund, VCF) a été créé. De 2001 à 2004, il a servi à verser des indemnités aux proches des personnes décédées et aux blessés des attentats. En 2011, après des débats acharnés au Congrès, la loi Zadroga (du nom d'un pompier mort en 2006 d'une maladie respiratoire) a été adoptée. Elle a permis la prise en charge des soins médicaux par le gouvernement fédéral, via le World Trade Center Health Program. Et elle a réactivé le VCF et élargi son périmètre, afin d'indemniser également les malades et leurs familles.

… indemnisations en péril

Adoptée pour une durée initiale de cinq ans, la loi Zadroga a été renouvelée en 2015 avec la garantie d'une prise en charge médicale jusqu'en 2090. Si l'enjeu des frais médicaux – majeur aux Etats-Unis – a été définitivement réglé à ce moment-là, ce n'est pas le cas de l'indemnisation. Le mandat du VCF doit expirer en 2020 et sur les 7,3 milliards de dollars alloués en 2015, près de 5 milliards ont déjà été versés à plus de 21 000 bénéficiaires. Au moins 19 000 demandes d'indemnisation n'ont pas encore été traitées.

Face au tarissement des fonds, la responsable du VCF a annoncé mi-février une réduction drastique des indemnisations, de 50% pour les demandes en attente et de 70% pour les demandes futures. Cette annonce a suscité colère et inquiétude chez les familles, les associations de victimes et les syndicats de pompiers et policiers.

Pour y remédier, des élus du Congrès ont déposé fin février à la Chambre et au Sénat un projet de loi similaire, intitulé «Never Forget the Heroes» («ne jamais oublier les héros»). Il prévoit, comme pour les soins médicaux, l'extension du VCF jusqu'en 2090. Trois mois et demi plus tard, le texte, porté notamment par les élus démocrates et républicains de New York, n'a pas encore été adopté.

«Vous devriez avoir honte»

Ce mercredi, le projet de loi a été validé par la commission juridique de la Chambre, étape nécessaire avant un vote en séance plénière. La veille, une première audience préliminaire s'était tenue devant la sous-commission en charge du dossier. L'humoriste et ancien animateur vedette du Daily Show, Jon Stewart, engagé depuis des années aux côtés des victimes collatérales du 11 Septembre, avait fait le déplacement à Washington, en compagnie d'une importante délégation de pompiers, policiers et proches de victimes.

Outré par l'absence de certains élus (la moitié seulement des 14 membres de la commission, en grande majorité démocrates, étaient présents), Jon Stewart a vivement critiqué le Congrès : «Vous devriez avoir honte de vous», a-t-il tonné, qualifiant l'indifférence de certains élus de «honte pour ce pays» et de «tâche pour cette institution».

«Je ne peux pas m'empêcher de penser à quel point cette salle est une incroyable métaphore de tout ce que le processus pour obtenir des soins médicaux et une indemnisation pour les secouristes du 11 Septembre a été. Derrière moi, une salle pleine de secouristes […]. Et devant, un Congrès presque vide. Malades et mourants, ils sont venus jusqu'ici pour parler en face de personne… c'est honteux», a lancé Stewart au début de son intervention, un plaidoyer vibrant de près de neuf minutes au cours duquel il a, plusieurs fois, retenu ses larmes.

Après avoir évoqué notamment le parcours du combattant rencontré par les malades depuis près de deux décennies, le retard avec lequel les conséquences médicales ont été officiellement reconnues, en dépit de l'apparition très rapide des premiers symptômes, Jon Stewart a appelé le Congrès à assumer, enfin, ses responsabilités. Les policiers, pompiers, ambulanciers «ont répondu en cinq secondes» le jour des attentats, a-t-il martelé. Avant de conclure : «Ils ont fait leur travail avec courage, grâce, ténacité et humilité. Dix-huit plus tard, faites le vôtre !»

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