PMA : « Si la loi était passée avant, j'aurais pu avoir un enfant »

Par Cécile Andrzejewski
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Si les gouvernements successifs ont reculé plusieurs fois l'ouverture de la PMA (procréation médicalement assistée) à toutes les femmes, les premières concernées, elles, n'en peuvent plus d'attendre. Car ces reports incessants ont un impact très concret sur tous les pans de leur vie.

La petite phrase, au détour d'un article du Parisien* sur l'embouteillage des réformes à l'Assemblée nationale, avait dû leur faire l'effet d'un énième coup de poignard, porté sur une plaie déjà béante. Un collaborateur gouvernemental s'inquiète de l'arrivée au parlement de la loi bioéthique et de son volet dédié à la PMA (procréation médicalement assistée). « On ne veut pas refaire une Manif pour Tous. Avec ce genre de texte, on peut vite devenir impopulaire. Est-ce qu’on ne prend pas un risque avec ça avant les municipales ? » Et voilà qu'une fois de plus, les lesbiennes et les femmes célibataires désireuses de devenir mamans sont reléguées au rang de variable d'ajustement politique.

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Il y a d'abord eu 2012 et la promesse du candidat Hollande. Puis 2013 et la loi sur le mariage pour tous qui s'arrête à mi-chemin et que Laura**, aujourd'hui suivie à l'étranger pour son projet de bébé, a vécu comme un « abandon ». Ensuite, 2017 et la promesse d'Emmanuel Macron. Après ça, 2018, l'année où devait être initialement examiné le projet de révision des lois bioéthique. Qui aurait finalement dû avoir lieu en mai 2019. Finalement, mardi 12 juin, Edouard Philippe a annoncé que la loi bioéthique sera débattue fin septembre à l'Assemblée

Seulement voilà, reporter sans cesse le projet de loi permettant à toutes les femmes l'accès à la PMA a eu des conséquences très concrètes dans la vie de celles-ci. Le sujet n'est pas hors sol, détaché de toute réalité. Au contraire. On parle ici de femmes, de ce qu'elles décident de faire avec leur corps. Et à quel âge. Car, on le sait, plus les années passent, plus il devient compliqué de concevoir un enfant. Quand j'avais 26 ans, une gynéco m'a conseillée de « ne plus tarder ». Mais qu'en est-il alors, quand c'est le politique qui tarde ? Ces sept années écoulées, depuis 2012, ont été perdues pour beaucoup. Car sept années, pour un projet de bébé, ce n'est pas rien. Certaines ont dû, la mort dans l'âme, tirer un trait sur leur désir de fonder une famille. De reports en renoncements, au bout du compte, ce sont encore et toujours les femmes qui trinquent.

Quand les hommes décident pour le corps des femmes

« J'avais autour de 35 ans au moment du mariage pour tous, quand on parlait de la possibilité de la PMA pour toutes. J'avais beaucoup, beaucoup d'espoir. Si la loi était passée en 2012, 2013 ou 2014, j'aurais pu avoir un enfant. Mais aujourd'hui, j'ai 43 ans, je ne serai peut-être jamais maman. Et je leur en veux beaucoup », résume Laura, incapable de retenir un sanglot.

Si la loi était passée en 2012, 2013 ou 2014, j'aurais pu avoir un enfant. Mais aujourd'hui, j'ai 43 ans, je ne serai peut-être jamais maman. Et je leur en veux beaucoup.

Deux semaines plus tôt, la quadragénaire a fait une fausse couche, alors qu'elle était à cinq semaines de grossesse. Car ne voyant pas la loi arriver en France et ne pouvant plus attendre à cause de son âge, elle s'est résignée à passer la frontière. Elle en est à sa troisième tentative de FIV en Espagne. Toutes se sont pour le moment soldées par un échec. « C'est douloureux. J'ai l'impression que de vieux hommes politiques décident ce que les femmes ont le droit de faire de leur corps. On est tenues par leurs échéances électorales, leur agenda politique passe avant nos vies. Je ne sais pas s'ils se rendent compte... On nous piétine », murmure-t-elle, dévastée et un peu perdue devant les quelques options qui s'offrent encore à elle.

On est tenues par leurs échéances électorales, leur agenda politique passe avant nos vies. Je ne sais pas s'ils se rendent compte... On nous piétine.

Lorraine Chesnel, déléguée famille de l'Inter-LGBT ne dit pas autre chose. « En réunion, dans les rendez-vous avec les législateurs, on ne cesse de leur répéter. "C'est comme ça", nous répondent les hommes politiques. Mais ils ne comprennent pas que trois ans, c'est crucial pour les femmes qui attendent ! Comme si nous disposions d'un temps infini, alors que les médecins nous disent tous le contraire. Quand j'ai des femmes face à moi, elles saisissent beaucoup mieux. Mais chez les hommes de 50, 60 ans, et il y en a quand même pas mal dans le paysage politique français, ça ne percute pas. »

Je n'aurais jamais cru qu'être maman me soit interdit.

« Ils ne réalisent pas qu'ils ont notre avenir entre les mains. Jamais je n'aurais pensé qu'on puisse ainsi décider de la vie des autres. Si la PMA avait été possible en France, ça aurait changé ma vie », commence Julia**, avant de raconter son parcours. Avec sa compagne, elles lancent leur projet de bébé en 2014, une fois que Julia a été guérie de son endométriose. « J'ai toujours souhaité être maman. Je n'ai jamais eu conscience que cela me serait impossible en France. Évidemment, je me doutais bien que ce serait différent en étant lesbienne, mais je n'aurais jamais cru que cela me soit interdit », explique-t-elle. Inconcevable en effet pour Julia de s'imaginer sans une ribambelle de mômes à aimer. Des gamins désirés, choyés, « la vraie raison de se lever chaque matin ». Alors, avec son amoureuse, elles partent en Belgique. En parallèle, elles font construire une maison, pour mettre le bébé à l'abri du besoin, une fois qu'il aura pointé le bout de son petit nez.

Mais la PMA à l'étranger, même si elle arrange bien tous les responsables politiques qui y voient une alternative à leur manque de courage, reste une épreuve. « Vous êtes stressée, vous avez des examens à répétition. Vous subissez des échographies et des prises de sang en début de cycle, puis tous les jours à partir du 10e jour. Déjà, il faut pouvoir tenir le rythme, détaille Lorraine Chesnel, de l'Inter-LGBT. Puis, la clinique vous appelle, la veille pour le lendemain. On vous dit "vous avez 24 heures pour faire la piqure de déclenchement et venir", au mieux, vous le savez 48h à l'avance. Donc vous faites toujours tout à la dernière minute. » Histoire de rajouter un peu de pression là où il n'y en avait pas suffisamment et alors qu'il faudrait être le plus sereine possible. « Hors la loi », les femmes suivant ces procédures ne bénéficient évidemment pas d'autorisation d'absence de leur travail.

Une épreuve émotionnelle et financière

La compagne de Julia n'a pas tenu le coup face à toute cette pression. « Ça a été très dur, on a vendu la maison, on s'est séparées. J'ai trouvé la force pour continuer, je n'avais pas le choix.  » La quadra déménage et se tourne ensuite vers l'Espagne, où elle suit plusieurs protocoles de FIV. Elle attend maintenant la fin du mois de juin, pour bénéficier d'un transfert d'embryons. « Des couples qui ont eu des difficultés à concevoir des enfants ont fait congeler des embryons. Maintenant qu'ils sont devenus parents, ils peuvent choisir d'en faire don à la science ou de les proposer à l'adoption. » Mais tout cela, évidemment, se paie.

« Alors que je cotise en France, que je règle mes impôts ici, j'ai dû faire un emprunt ! », s'agace Julia. Tout comme Laura qui, si elle doit renoncer à son projet, verra tous les mois son compte en banque lui rappeler pendant encore trois ans qu'elle n'a pas pu être maman. Eva, la créatrice du blog Ici Mama Solo (icimamasolo.over-blog.com) en a eu pour 27.000 € de frais, en comptant les aller-retour en Espagne, les FIV, la congélation de ses embryons et de ses ovocytes. Pire encore, elle en a perdu son emploi.

Est-ce que les législateurs se rendent compte de l'impact sur nos vies ?

« J'ai commencé mes démarches en septembre 2015, j'avais 39 ans à l'époque. J'ai dû me lancer seule car je risquais de passer à côté de la maternité à cause de mon âge. » Avec le protocole qu'elle suit, Eva doit effectuer des échographies tous les deux jours, sans autorisation d'absence puisque sa PMA n'est pas « officielle ». À chaque stimulation ovarienne – elle en fera trois au total – elle subit une ponction ovarienne, nécessitant une anesthésie générale. En Espagne donc, alors qu'elle n'est mise au courant de l'intervention que 48h à l'avance. « Ça fait beaucoup d'absences, il faut pouvoir s'arranger avec son employeur ». Malheureusement, le patron de la blogueuse n'est pas très arrangeant et la convoque, au bout d'un an d'essais, à un entretien pour insuffisance professionnelle. Au même moment, le transfert d'un de ses embryons congelés échoue. Ç'en est trop pour Eva, qui développe un ulcère tant l'angoisse l'assaille à tous les niveaux.

Quelques mois plus tard, à la veille d'un nouveau départ, pour une nouvelle FIV, elle reçoit un courrier de son employeur qui la convoque pour un entretien préalable à un licenciement. Et ce, alors même qu'elle est en arrêt maladie, sur ordre de son psy. Elle tombe malgré tout enceinte, mais fait une fausse couche. Puis perd définitivement son travail et met donc son projet de maternité en suspens. « J'étais en CDI dans une grand groupe, j'ai passé un an à chercher un emploi. Maintenant, j'ai un CDD bien moins payé, plus précaire. J'ai fait un burn out, un ulcère à l'estomac. Est-ce que les législateurs se rendent compte des conséquences énormes sur nos vies ? », s'interroge la blogueuse.

Une vulnérabilité totale

« On est très dépendantes de la bonne volonté des gens qu'on rencontre, résume Amélie**. L'employeur, mais aussi les médecins, les notaires... On doit toujours faire bonne figure, c'est humiliant. » Car en France les médecins, parfois ne suivent pas.

Ainsi, la compagne de Cécile, suivie au Pays-Bas, n'avait tout bonnement pas d'ordonnance pour effectuer ses prises de sang et ses échographies, pourtant à réaliser en urgence. Elle n'a pas non plus eu droit à un arrêt maladie le lendemain de sa ponction ovarienne, alors qu'elle ne pouvait pas marcher.

La gynécologue de Laura a aussi refusé de lui en signer un, lui permettant de s'absenter au dernier moment comme le nécessite la procédure de FIV et de prélèvement d'ovocytes. Le pire, pour Amélie ? « Si on a un enfant, ma compagne va devoir l'adopter. Émotionnellement déjà, c'est dur : j'aurai un livret de famille pour le bébé et moi, mais elle ne sera pas dessus. Il va falloir trouver un notaire, ça implique encore de nouvelles démarches. Et puis les policiers vont venir à la maison pour l'adoption, c'est humiliant, très insécurisant. On devra rester sympas, même s'ils se permettent des remarques déplacées. Tout ça nous rend très vulnérables. »

Je trouve délicat de devoir quitter son pays pour fonder une famille.

Si elle s'est déjà lancée dans un projet de PMA en Belgique avec sa compagne, Lucile espère encore que la situation française se débloque. « Je trouve délicat de devoir quitter son pays pour fonder une famille, souligne-t-elle. J'ai bon espoir que la loi passe en France, mais j'appréhende le retour du débat. Au moment du mariage pour tous, c'était très violent, tout le monde donnait son avis sur notre capacité à fonder une famille, les paroles étaient vraiment dures. Ça, ça m'inquiète vraiment. »

On est dépendantes de la bonne volonté des autres.

Toutes les femmes interrogées nous l'ont dit, l'immense place prise par la prétendue Manif pour tous lors des débats et les torrents de haine déversés par ses membres les ont meurtries. Pendant deux ans, en se rendant au travail, Laura a croisé un tag, dessiné au sol, clamant « PMA sans père = malheur sans fin ». « La mairie n'a rien effacé. Des inconnu.e.s ont fini par peindre des petits cœurs par dessus, je les ai béni.e.s. Ces gens sont aveuglés par la haine, ils ne se rendent pas compte de la violence que cela représente de lire ça chaque jour. » Espérons, pour Laura et les autres, que les responsables politiques ne cèdent pas de nouveau face à l'intolérance des manifestants à sweats bleu et rose et qu'ils comprennent, enfin, les épreuves traversées par ces femmes, simplement mues par leur rêve de maternité.

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* Le Parisien, « A l’Assemblée, le grand embouteillage des réformes », 01 juin 2019

** Les prénoms ont été modifiés

[Dossier] La PMA, le combat pour avoir un enfant - 23 articles à consulter

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