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Culture

De l’Iran au Japon, les mille façons d’habiter le monde

Dans « Habiter le monde », Philippe Simay raconte mille et une manières d’avoir un « chez soi » et de faire corps avec son environnement. La conception occidentale d’un espace autonome et fermé n’est pas universelle.

On a beaucoup à apprendre sur l’Homme en regardant comme il habite le monde. C’est fort de cette idée que Philippe Simay, philosophe autant que voyageur, est parti à la découverte des espaces habités les plus singuliers de la planète. Une série documentaire diffusée ce printemps sur la chaîne Arte en est issue avant de devenir un « beau livre » (les éditeurs parlent de « produit dérivé »).

Sur le lac Titicaca, au Pérou.

Simay a parcouru le monde, de l’Iran au Japon, du Pérou à l’Indonésie, de l’Inde au Burkina Faso, observant des villes incongrues, certaines très peuplées comme Tokyo, d’autres à taille plus humaine, quelques-unes venues de la nuit des temps, d’autres plus récentes. Ce qui l’intéresse ce n’est pas tant de savoir comment telle ville a résolu le problème des déplacements ou celui de la mixité sociale que de sentir comme une ville réussit à faire corps avec son environnement. Autrement dit, quels liens sont tissés entre l’homme et un habitat, que celui-ci soit à flanc de montagne, sur un lac, dans des arbres ou qu’il soit le fragment d’une ville-monde !

Amsterdam, aux Pays-Bas.

L’homme s’adapte et invente des solutions stimulantes pour l’observateur extérieur 

Chaque fois, l’homme s’adapte et invente des solutions stimulantes pour l’observateur extérieur. Dans certains quartiers de Tokyo (plus de 13 millions d’habitants) triomphent les micromaisons, plantées entre les interstices d’immeubles classiques. Si leur surface au sol peut ne pas dépasser la taille d’une chambre, elles sont tout à fait plaisantes à vivre. La clé est d’externaliser les fonctions domestiques. « Pour se laver, on peut aller aux bains publics ; pour manger, on va dans l’un des innombrables restaurants de quartier ; si l’on a envie de câliner un animal domestique, on va dans un café à chats », note Simay. L’habitat et la ville ne s’opposent donc plus. Celle-ci est la prolongation de celui-là alors qu’en Occident, le « chez soi » est un espace autonome et fermé, ce qui constitue une aberration du point de vue environnemental.

Tokyo, au Japon.

L’exemple de Tokyo et des micromaisons est fascinant mais toutes les villes où Simay a posé son sac sont intéressantes. Dans le (riche) land de Vorarlberg, en Autriche, ce qui a séduit l’auteur est l’engagement écologique. Depuis dix ans tous les nouveaux bâtiments publics doivent être neutres sur le plan énergétique ; en 2050 le land sera autonome avec 100 % d’énergie verte locale. À l’origine de ce volontarisme, une poignée d’architectes du cru, d’artisans, d’élus verts, d’agriculteurs, qui au début des années 1980 ont pris en main le développement de la région. Que l’Autriche soit un pays très décentralisé a aidé. Inimaginable en France, pays du mille-feuille administratif, dans le land du Vorarlberg, une unité architecturale est possible entre une école, un collège et un lycée.

Torajas, en Indonésie.

« Nous ne pouvons plus habiter aujourd’hui comme avant ; il y a urgence à changer nos façons de faire » 

En Iran, c’est un mode de vie vieux de près de mille ans qui se perpétue dans le village troglodyte de Kandovan, perché à plus de 2.000 mètres d’altitude. À l’intérieur de cônes volcaniques de 50 à 100 mètres de haut, les cavités sont naturelles. « Il n’est pas rare que le rez-de-chaussée serve d’étable ou de bergerie, tandis que la famille vit au-dessus, sur un ou deux étages, et que le grenier sert à stocker les provisions. » Le mode de vie est austère (pas de meuble), la communication avec l’extérieur minimale ; la frugalité, le mot d’ordre dicté par la situation géographique. « Leur exemple nous montre combien nos critères d’identification de ce qu’est un bon habitat ne sont pas universellement pertinents », note l’auteur.

Kandovan, en Iran.

Une réflexion identique vient à l’esprit lorsque Simay nous amène au fil des chapitres sur d’improbables sites en Afrique ou en Asie. On peut même aller plus loin et rêver d’habitats empruntant le meilleur de ce qui se fait ailleurs. « La maîtrise technique des constructions ne fait pas tout (…) La conception de l’habiter centrée sur le seul habitat est épuisée. Nous ne pouvons plus habiter aujourd’hui comme avant ; il y a urgence à changer nos façons de faire », conclut Simay au terme de son riche périple. L’épaisseur du temps, le végétal, l’atmosphère… C’est cela qu’il faut intégrer.


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