L’Arc de Triomphe empaqueté par Christo : changement de dates pour cause de faucons

L’Arc de Triomphe empaqueté par Christo : changement de dates pour cause de faucons
Christo, L’Arc de Triomphe empaqueté (Projet pour Paris-Place de l’Etoile-Charles de Gaulle), dessin 2018, 77.5 x 66.7 cm, crayon, fusain, pastel, crayon à la cire, peinture émaillée et ruban adhésif sur une planche marron Photo: André Grossmann © 2018 Christo

L'intervention de Christo sur l'Arc de Triomphe à Paris sera finalement repoussée à l'automne 2020 afin de ne pas perturber la nidification des faucons crécerelles.

Symbole historique, lieu de commémorations et œuvre d’art offerte à la délectation des automobilistes embouteillés Place de l’Étoile, l’Arc de Triomphe est aussi un lieu d’accueil pour le faucon crécerelle en période de nidification (d’avril à août). Pas plus gros qu’un pigeon, ce petit rapace, protégé depuis 1972, apprécie tout particulièrement les sites urbains pour y établir son habitat. Les monuments élevés de la capitale lui offrent en effet toutes sortes d’abris pour y installer son nid ou simplement prendre le temps de dépecer ses proies. Sa présence est ainsi attestée sur la cathédrale Notre-Dame depuis plus d’un siècle et demi et l’on suppose qu’il se languit aujourd’hui de ses balustres et gargouilles. Au printemps, l’Arc de Triomphe accueille lui aussi de nombreux couples nicheurs dont la couvée attentive ne saurait être perturbée par un geste artistique, si spectaculaire soit-il. Voilà donc un paramètre que n’avait sans doute pas envisagé Christo en concevant son projet d’empaquetage du monument, qui devait être mis en œuvre dans le cadre de son exposition au Centre Pompidou (18 mars-15 juin 2020).

Christo, L’Arc de Triomphe empaqueté (Projet pour Paris – Place de l’Etoile-Charles de Gaulle), dessin 2019 en deux parts, 38 x 244 cm et 106.6 x 244 cm, crayon, fusain, pastel, crayon à la cire, peinture émaillée, étude architecturale et topographique, carte dessinée à la main sur vélin et ruban adhésif. Photo: André Grossmann © 2019 Christo

En avril dernier, le Centre des monuments nationaux et le musée national d’art moderne avaient en effet annoncé que l’installation temporaire serait visible du 6 au 19 avril 2020, mobilisant 25 000 m de tissu recyclable et 7000 m de cordage rouge. Mais ces précautions écologiques n’étaient pas suffisantes, l’emmaillotage du monument risquant d’avoir, à cette période, un impact direct sur la reproduction d’une espèce protégée, qui, certes, goûte particulièrement les petits moineaux. Dans le contexte actuel de prise de conscience mondiale des enjeux de l’écologie, l’art contemporain gagne à être exemplaire et l’on ne peut que saluer la décision qui vient d’être prise, en concertation avec la Ligue pour la Protection des Oiseaux, de repousser cette intervention à l’automne 2020. L’installation L’Arc de Triomphe empaqueté (projet pour Paris, Place de L’Étoile-Charles de Gaulle) sera donc finalement présentée du 19 septembre au 4 octobre 2020. Outre la dimension poétique de ce geste, qui fait de l’Artiste un gardien de la Nature, on peut se demander dans quelles mesures le Land Art, entendu comme véritable mouvement artistique et non comme simple tendance romantico-saugrenue à empiler des cailloux dans la forêt ou sur les plages de Bretagne, est-il finalement écologique ?

À gauche : Robert Smithson, Spiral Jetty, 1970, boue, cristaux de sel, basalte, bois et eau, Grand Lac Salé, Salt Lake City ©Jacob Rak ; à droite, Michael Heizer, Double Negative, 1970, déplacement de rhyolite et grès, Mormon Mesa, Nevada ©Clf23

Prenant la Nature (au sens large) pour cadre et matière, l’œuvre Land Art, d’autant plus quand elle atteint le gigantisme d’une Spiral Jetty (Robert Smithson, 1970) ou d’un Double Negative (Michael Heizer, 1970), transforme, plus ou moins temporairement, le paysage naturel et ouvre une brèche dans l’écosystème. Les matériaux et outils qu’elles utilisent sont-ils systématiquement éco-compatibles, une question d’autant plus cruciales lorsqu’ils sont destinés à durer dans le temps ? Si monumentales qu’elles feraient presque oublier qu’elles sont de mains d’homme, ces créations doivent justement leur beauté à la frontière sur laquelle elles se tiennent, entre Nature et Culture, fini et infini, éphémère et éternel. Jugées souvent mégalomaniaques ou absurdes, elles créent un espace-temps anhistorique et nous plongent dans un monde antédiluvien ou post-apocalytique où l’homme est réduit au silence. Après les constats d’intoxication au plomb dû à la fonte de la toiture de Notre-Dame, le report du projet de Christo suggère, en un sens, que l’œuvre d’art peut être une menace, une posture jusque-là inédite dans notre culture. Ceci va-t-il ouvrir la voie à de nouvelles restrictions, certes bien fondées, en matière de production artistique ? Faut-il se méfier des œuvres d’art ?

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