Nos industries coupables ?
Pour comprendre ce que deviennent les déchets de nos industries, il faut se tourner du côté de Go4Circle, la fédération des entreprises de l’économie circulaire. Cédric Slegers, directeur adjoint de l’ASBL, souligne la complexité que représente un défi tel que le tri des déchets industriels. "Le PET de la bouteille de San Pellegrino n’est déjà pas le même que le PET de la bouteille de Perrier. Plus un plastique est coloré, plus il sera difficile à recycler", souligne-t-il.
Cédric Slegers reconnaît que l’exportation de déchets est bel et bien une réalité, tant en Belgique que dans d’autres pays occidentaux. "Il ne faut pas se voiler la face, déclare-t-il. C’est une question de prix de la main-d’œuvre. On est dans un secteur où il faut payer pour quelque chose d’inutile puisqu’il s’agit de déchets. Si on exporte autant en Belgique, c’est justement parce que le recyclage est coûteux, en termes de tri, de main-d’œuvre et de concurrence avec la matière vierge." Pour une entreprise s’inscrivant dans un contexte de croissance économique et de productivisme, il est bien sûr tentant de réaliser des économies sur le traitement des déchets puisqu'’ils ne servent à rien.
On est souvent confronté à des producteurs argumentant que le plastique recyclé n’est pas synonyme de qualité.
Mais Cédric Slegers tient à signaler qu’il remarque "une prise de conscience des producteurs qui semblent réfléchir à leur impact". Pour lui, la réflexion doit se faire tant en amont, lors de l’élaboration d’emballages plus facilement recyclables, qu’en aval, avec l’utilisation de ces matières recyclées. "On est encore trop souvent confronté à des utilisateurs ou des producteurs qui ne soutiennent que la vision d’une économie linéaire, argumentant que le plastique recyclé n’est pas synonyme de qualité", déplore-t-il.
Le mirage du plastique recyclé
Même si les mentalités venaient à changer, d’aucuns dénoncent le mirage que constitue le recyclage du plastique. Nathalie Gontard, chercheuse et professeure en sciences de l’aliment et de l’emballage à l’Institut de Recherche Agronomique (INRA), pointe du doigt les failles d’un tel processus dans un article du média scientifique indépendant The Conversation : "Recycler en circuit fermé signifie collecter, trier, décontaminer et repolymériser un plastique qui se dégrade au cours du procédé de recyclage. Les contraintes logistiques de collecte sont importantes, la consommation d’énergie des multiples étapes se discute et sa probabilité de contamination dangereuse également. Aussi, le nombre maximal de cycles de décontamination est limité et le plastique recyclé doit être mélangé à du plastique vierge."
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Recycler des déchets qui ne peuvent se recycler à l’infini revient donc à reporter le problème, tant pour les ordures ménagères qu’industrielles. "Le recyclage d’une matière ne s’inscrit dans un principe d’économie circulaire que si la boucle peut être reproduite à l’infini, ce qui est quasiment le cas pour le verre ou le métal. Les matériaux biodégradables se situent naturellement dans le cycle biologique de la matière organique, qui leur assure un renouvellement illimité (à condition cependant que la vitesse de consommation reste compatible avec celle de production)", précise Nathalie Gontard.
Crise mondiale
L’Alliance Globale pour les Alternatives à l’Incinération (GAIA) appelle les pays dits "en voie de développement" à "interdire l’importation de déchets plastiques". Alors que la Chine jouait le rôle de "poubelle du monde" jusqu’en janvier 2018, "un plus grand nombre de pays se retrouve à présent dans la ligne de mire", déplorent-ils. La Malaisie et la Thaïlande ont commencé à imposer leurs propres restrictions, mais l’Indonésie a également vu ses importations augmenter fin 2018. "Les pays exportateurs doivent assumer la responsabilité de la réduction et du recyclage de leur plastique au niveau national", réclame l’association.
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Écrasé par ses déchets de plastique, le monde est sur le point de vivre une véritable "crise des déchets". Aussi petite soit la Belgique à l’échelle du globe, il semble que nous ayons nous aussi notre rôle à jouer. "Le recyclage du plastique ne devrait pas être utilisé pour justifier la production de plastique à usage unique, mais pour s’engager vers le zéro déchet", conclut GAIA. Car le meilleur déchet, finalement, est celui qui n’existe pas.