Cet article a initialement été publié le 13 juin 2019.

D'accord pour témoigner. Mais seulement sous pseudonyme, le traumatisme des humiliations dans l'enfance et à l'adolescence rend sa condition non-négociable. Elle n'a pas oublié la mine inquiète de ses parents quand ils ouvraient leur courrier : des lettres anonymes, des menaces de mort. Elle avait six ans.

La violence de l'entourage

Léa décrit ensuite l'horreur d'un ton calme. Si elle a pu grandir auprès de son père, depuis décédé, et sa mère, ils furent tous trois stigmatisés par le reste de leur village, au courant de la situation. Un jour, alors qu'elle était promenée au marché par sa mère, un villageois avait glissé un sac d'excréments dans son landau. Il y a eut aussi cet incendie criminel déclenché à domicile, le chat tué, puis les policiers, qui déconseillaient à ses parents de l'inscrire à l'école. Léa n'a pas fait ses classes de maternelle. 

Je n'en parle plus à mes amis, on finit toujours par se faire traiter de bâtarde.

"Ce n'est pas courant d'être enfant de prêtre. On se sent rejeté, stigmatisé, humilié, c'est douloureux, ça marque", lâche à la suite Léa. Puis à l'adolescence, les réactions violentes, les insultes. Alors depuis, plus un mot. Léa a 40 ans aujourd'hui, et seuls deux de ses proches sont au courant. "Je n'en parle plus à mes amis, on finit toujours par se faire traiter de bâtarde." 

Isolement

Des cas similaires au sien ? Léa n'en connaissait pas un seul avant de fréquenter l'association les Enfants du silence, dans laquelle se rassemblent les progénitures de prêtres et/ou de religieuses. Ils sont environ 70 à se soutenir depuis 2013.

Comme tous les bébés, quand nous sommes venus au monde, nous n'avons pas choisi où nous allions atterrir.

Vidéo du jour

Et ce jeudi 13 juin 2019, trois d'entre eux ont rencontré la Conférence des évêques de France. Pour Léa, c'est une première étape, et elle est immense. Elle se souvient s'être rendue il y a quelques mois à une conférence où intervenait un prêtre. "Il paraissait ouvert, parlait clairement du problème de la pédocriminalité dans l'Église. Alors, à la fin de la conférence, je me suis présentée à lui comme cela : Bonjour, Léa, fille de prêtre. Son visage s'est décomposé et il a filé." Un regard lourd, comme tant d'autres posés sur elle avant, qui justifie l'espoir placé dans ce rendez-vous exceptionnel. "Après le rejet et l'humiliation, enfin des religieux veulent nous serrer la main", se réjouit-elle. Et de poursuivre, comme soulagée : "Nous sommes enfin salués, reconnus comme des humains, simplement. Comme tous les bébés, quand nous sommes venus au monde, nous n'avons pas choisi où nous allions atterrir." 

Secrets de famille cadenassés par l'Église

La reconnaissance, voilà la première chose que les Enfants du silence réclament. Que leur existence ne puisse plus être passée sous silence, justement. Car si Léa a connu son père prêtre pendant 20 ans - qui a pu quitter les ordres après deux ans de négociations compliquées avec le Vatican - de nombreux confrères et consoeurs, comme elles les surnomment, ont été abandonnés à la naissance. 

Après le rejet et l'humiliation, enfin des religieux veulent nous serrer la main.

C'est le cas d'Anne-Marie Mariani-Jarzac, présidente et fondatrice de l'association, née d'une mère pieuse et d'un père prêtre. Elle a été donnée à un couple d'amis, qu'elle a cru être ses parents durant la moitié de sa vie. Ceux-ci étaient restés proches de sa mère et son père, ils se fréquentaient, et la petite fille pensait rendre visite à son oncle et sa tante. Un vécu hors-normes, qu'elle raconte dans Le droit d'aimer (J'ai Lu, 2015).

Certains membres de l'association sont nés d'une femme dite civile et d'un prêtre. Dans leur cas, explicite Léa, l'Église forçait le prêtre à abandonner l'enfant, placé alors en orphelinat. Dans d'autres configurations, quand le bébé était aussi celui d'une religieuse, celle-ci était payée pour déguerpir. "Le problème était ainsi enterré", regrette Léa. 

Tant d'histoires familiales cadenassées dans les archives de l'Église et auxquelles les Enfants du silence espèrent avoir accès. Voilà leur souhait dans un second temps. Puis, pourquoi ne pas débattre ensemble du mariage des prêtres ?

Léa exprime un dernier vœu : la création d'une sorte de fondation pour aider les ex-prêtres quand ils quittent les ordres, ce qui pourrait d'avantage les encourager à le faire. "Ils sont comme des adolescents, repartent de rien tant ils ont tout donné à l'Église. Ils n'ont pas de vêtement, pas de toit, ne savent pas remplir une fiche d'impôts. Il faut les accompagner pour qu'ils se réinsèrent dans notre société." C'est ce que Léa aurait souhaité pour son père. 

*Le prénom a été modifié.