Témoignages : "Nous sommes Françaises, mais nous avons été obligées d'avorter en Hollande"

avortement hollande
Alors que l'allongement de deux semaines du délai légal de l'interruption volontaire de grossesse avait été voté par le Sénat le 7 juin dernier, le texte n'entrera finalement pas en vigueur. Que font les femmes quand elles dépassent ce délai ? Marie Claire avait suivi deux d'entre elles, parties avorter à l'étranger.

Paris, à la gare routière Eurolines de la porte de Bagnolet. Il est 23 heures, Sofia, 27 ans, vendeuse en quête d'emploi dans le 93, s'engouffre dans le car pour Amsterdam, puis fouille nerveusement dans son fourre-tout : "Je sais que c'est trop tard, mais je vérifie quand même que j'ai tout : carte de groupe sanguin, adresse de la clinique, échographie..."

"Préjudice pour la santé mentale de la mère"

Sofia a de quoi être angoissée : enceinte de quinze semaines, elle a dépassé le délai légal (douze semaines d'aménorrhée) permettant d'obtenir une interruption volontaire de grossesse en France. Seule solution désormais pour elle : avorter à l'étranger, comme, selon les estimations, entre 4.000 et 5.000 Françaises chaque année (sur un total de 227.000 IVG).

La plupart optent pour les Pays-Bas, où le délai légal est de vingt-deux semaines, ou l'Espagne, destination choisie par celles qui habitent dans le Sud. D'autant que, dans les cliniques de Valence ou de Barcelone, la notion de "préjudice pour la santé mentale de la mère" peut être très facilement invoquée pour permettre des IVG jusqu'à vingt-quatre semaines d'aménorrhée. Pourquoi tant d'IVG à l'étranger ? En France, il s'écoule en moyenne trois semaines entre le premier rendez-vous et l'intervention. Mais les départements sont plus ou moins bien pourvus, expliquent les militantes du Planning familial (MFPF), qui se battent pour éviter les menaces qui pèsent sur le droit à l'avortement, mesures d'économie obligent. 

Le scénario catastrophe type : se présenter ric-rac avant la date butoir, en été. Juste au moment où un maximum de médecins sont en congé, dans l'un de ces hôpitaux qui, faute de personnel, refusent de pratiquer l'IVG au-delà de neuf semaines de grossesse.

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Sofia voyage seule

Eindhoven, Utrecht, Rotterdam... À chaque arrêt, Sofia s'affole : "On est arrivés ?" Elle triture son ticket : "Ce bus de nuit à 77 € l'aller-retour, c'est le moyen de transport le moins cher pour la Hollande. Il me permet d'économiser une nuit d'hôtel et de repartir à Paris tout de suite après l'intervention...", Comment Sofia, qui ne "voyage jamais seule à l'étranger", en est-elle arrivée là ? "Mon gynéco m'ayant dit que j'avais les trompes bouchées, je ne prenais pas de précautions particulières avec mon amoureux, étant sûre de ne pas pouvoir tomber enceinte. De plus, nous sommes ensemble depuis deux ans, et c'est une histoire solide. Donc pas de préservatif entre nous. Mais j'avais des douleurs dans le bas ventre. Pour en avoir le coeur net, mon médecin m'a envoyée faire une échographie. Un vendredi 13 (c'était mon jour !), j'ai donc appris que j'étais enceinte de treize semaines et cinq jours. Trop tard pour avorter en France... "

430 €, non remboursés par la Sécu, évidemment.

Sofia et son chéri ont retourné la question dans tous les sens. "Impossible. Actuellement, nous n'avons même pas les moyens de partager la location d'un appart. Saïd est d'accord avec moi. D'ailleurs c'est lui qui paye l'intervention. 430 €, non remboursés par la Sécu, évidemment." 

C'est le Planning familial qui a fourni une adresse à Sofia : la Beahuis & Bloemenhovekliniek, à Heemstede, près de Haarlem. L'établissement a pignon sur rue et un site web en sept langues. "Avant d'en arriver là, même à trois jours de délai, nous faisons des miracles pour trouver un médecin et une solution in extremis en France", explique Cécile Sarafis, conseillère conjugale du Mouvement français pour le Planning familial de Seine-Saint-Denis.

Sofia voyage seule, car son déplacement est top secret : "Je suis musulmane, et chez nous c'est compliqué : la famille fait mine d'ignorer qu'à plus de 25 ans une fille célibataire a sans doute des relations sexuelles. Mais si mon père apprenait que je suis enceinte hors mariage, il me bannirait immédiatement. Ma soeur me "couvre" en faisant croire que je suis chez elle pour trois jours."

Plus la grossesse est avancée, plus l'IVG à l'étranger coûte cher

Arrivée à Den Haag (La Haye), où il fait encore nuit. Plusieurs autres jeunes femmes désorientées descendent du car et traversent en frissonnant la gare déserte. Toutes les inscriptions sont en néerlandais. Autour des bornes d'achats de tickets la conversation s'engage. Lina, 24 ans, se rend également à Heemstede pour avorter. "Mon fiancé s'est tué en voiture il y a deux ans. J'ai fait une dépression. Puis j'ai eu une nouvelle histoire, avec un garçon dont je me suis séparée récemment. La seule fois où je ne me suis pas protégée avec lui (pensant que j'étais dans les jours 'sans risques') a été 'la bonne'... Ayant des saignements et aucun symptôme de grossesse, je ne me doutais de rien. On me disait que les règles irrégulières étaient fréquentes au cours d'une dépression. Lors d'une visite de routine, le ciel m'est tombé sur la tête : mon gynéco m'a annoncé que j'étais enceinte et envoyée faire une échographie. Le pire était à venir : enceinte, oui, et de vingt semaines ! Et d'un vague ex..." 

Plus la grossesse est avancée, plus l'IVG à l'étranger coûte cher. Et plus les femmes perdent de temps en tentant de trouver l'argent. C'est donc son patron, restaurateur, qui a finalement avancé à Lina les 730 € nécessaires. "Nous avons passé un marché : je vais travailler gratuitement pendant deux semaines pour le rembourser. Donc, après l'intervention, je reprends tout de suite mon boulot de serveuse, d'autant qu'il n'y a personne pour me remplacer."

La clinique de Heemstede n'ouvre qu'à 8 h 30. Les filles, fatiguées, décident de patienter à la gare, dans le seul café ouvert. Ici, on semble habitué à voir débarquer quotidiennement des groupes de Françaises... Il faut ensuite marcher pendant un quart d'heure jusqu'à la clinique. À la Beahuis & Bloemenhovekliniek, on pratique 68 % des IVG du deuxième trimestre réalisées aux Pays-Bas. La majorité de ces IVG tardives concernent des Françaises, qui représentent 30 % des patientes, soit 1 238 interventions en 2008. Qui sont-elles ? "Statistiquement, c'est une fille âgée de 20 à 24 ans, plutôt issue d'un milieu populaire, et qui présente une grossesse entre dix-huit et vingt-deux semaines d'aménorrhée, répond Thea Schipper, directrice de la clinique. C'est une population en augmentation." 

Certaines débarquent parfois sans argent et doivent repartir sans avoir pu obtenir leur IVG. C'est terrible pour elles, mais l'intervention étant gratuite pour les Néerlandaises, ce n'est pas au contribuable des Pays-Bas de financer les avortements des Françaises... Ici, pas « d'IVG business » : les tarifs pour les étrangères sont fixés par le gouvernement.

Bonne surprise pour Sofia et Lina : tout le personnel parle français. La clinique a un vrai passé militant : dans les années 70, lorsque l'IVG venait à peine d'être légalisée en France, on y pratiquait jusqu'à 10 000 interventions chaque année (contre 3 500 en moyenne maintenant). 

Mais aujourd'hui, Thea Schipper s'inquiète : "Dans dix ans, au train où vont les choses, on ne pourra plus faire d'IVG aux Pays-Bas. Comme en France, les médecins militants des années 70 partent à la retraite, et les jeunes ne sont pas intéressés à pratiquer des avortements. C'est une vraie régression." Une infirmière montre un tract coloré : c'est un appel de féministes néerlandaises pour défendre le droit à l'IVG, clairement menacé par l'arrivée de l'Union chrétienne dans le gouvernement. "Les pro-life ne désarment jamais."

Le premier rendez-vous avec le médecin a lieu à 9 h 30. "Elle m'a demandé mes motivations et l'attestation d'un médecin prouvant que j'ai bien réfléchi cinq jours, comme l'exige la loi hollandaise", explique Sofia, secouée d'avoir dû encore raconter... Puis c'est l'entretien avec l'infirmière.

La blonde Yvonne explique à Lina le déroulement de l'intervention. La Beahuis & Bloemenhovekliniek est la seule clinique qui utilise la "méthode Finks", une technique en deux temps pour les IVG tardives du deuxième trimestre, entre dix-huit et vingt-deux semaines d'aménorrhée. "Premier temps : en fin de matinée, on vous administre du misoprostol, qui va dilater le col de l'utérus et provoquer des contractions. Puis premier passage au bloc : le médecin coupe le cordon ombilical et rompt la poche des eaux, ce qui provoque la mort du foetus et une fausse couche. Les patientes sont endormies par 'narcose' (anesthésie générale très légère)". Second temps : en fin d'après-midi, dilatation du col et extraction du foetus et du placenta à la pince. Vérification de la vacuité utérine à l'échographie. Durée : environ quinze minutes. "Après une nuit de surveillance et le petit-déj, vous pourrez partir, avec une liste d'antibiotiques à prendre et une lettre à l'attention de votre médecin." 

Nous soupçonnons que certaines, hélas, se prostituent afin de payer leur IVG. Elles ont "un oncle" qui est "gentil"...

Pour celles qui, comme Sofia, n'ont pas dépassé dix-huit semaines d'aménorrhée, la technique est globalement la même, sauf qu'elles quittent la clinique très vite, trois heures après l'intervention. Dans la "chambre des Françaises", les filles craquent toutes ensemble... Sofia a déjà raccroché plusieurs fois au nez de son copain : "C'est ta faute si je suis ici, en Hollande !" Lina a mal au ventre. Le misoprostol commence à faire effet et elle réclame des antalgiques. Vanessa, 20 ans, caissière dans un supermarché de banlieue, sanglote : brouillée avec ses parents, elle ne sait pas où aller après l'IVG. Jusqu'ici elle était hébergée chez son copain, mais le père du garçon n'est plus aussi conciliant et souhaite voir Vanessa déguerpir... Mais toutes sont soulagées - "le cauchemar est fini" - et échangent leurs numéros de mobile. 

Les conseils en contraception faisant partie de la procédure maison, elles ont toutes opté pour la pilule. La clinique en offre gratuitement trois plaquettes. Et maintenant, promis juré, elles seront hypervigilantes. 

Le point avec Cécile Sarafis, conseillère conjugale du Mouvement français pour le Planning familial de Seine-Saint-Denis 

Marie Claire : Quelles sont les principales raisons qui expliquent les dépassements de délai légal permettant une IVG en France ?

Cécile Sarafis : Beaucoup de femmes confondent les règles et des saignements liés à diverses causes. D'autres laissent traîner les choses par impossibilité d'en parler à leur entourage. Pire : elles peuvent être issues de familles maltraitantes - sachant qu'une enquête réalisée en Seine-Saint-Denis en 2006, portant sur 1 600 femmes âgées de 18 à 21 ans, révèle qu'une fille victime de violences physiques et sexuelles avant l'âge de 16 ans avorte 3,25 fois plus qu'une autre. Plus c'est compliqué d'en parler avec l'entourage, plus cela repousse les délais... Certaines ne comprennent pas trop comment c'est arrivé : rapports non désirés, rapides et bâclés, ou bien c'était la première fois. Certaines ont cru sur parole des rumeurs (parfois propagées par des médecins ou des pharmaciens conservateurs), selon lesquelles, par exemple, prendre du Norlevo (la pilule du lendemain) trois fois dans l'année ou avoir déjà avorté rendrait stérile. Enfin, certaines veulent une IVG parce que le partenaire les a quittées juste avant la date butoir des douze semaines.

Comment cela se passe-t-il en ce qui concerne les mineures qui ne peuvent pas compter sur leur famille pour avorter à l'étranger ?

C'est très compliqué, et c'est au cas par cas. L'essentiel est qu'elles aient un passeport à leur nom. Parfois elles empruntent le passeport et l'identité d'une copine ou d'une cousine. Elles sont malignes, et souvent très habituées à mentir et à transgresser pour déjouer la surveillance d'une famille traditionnelle. Nous soupçonnons que certaines, hélas, se prostituent afin de payer leur IVG. Elles ont "un oncle" qui est "gentil"...

[Dossier] Avortement : tout ce qu'il faut savoir sur l'IVG - 37 articles à consulter

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De anonyme
Anonyme de 17:27 En aucun cas, une césarienne datant de 3 mois n'interdit de mettre en route une nouvelle grossesse. Je connais des femmes qui se sont trouvées dans la même situation et qui, malgré tout, ont mené leur grossesse à terme, et ce, sans aucun souci. Il faut donc croire que votre IVG n'avait rien d'obligatoire... Évitez de porter des jugements sur les autres, alors que vous ne savez rien de leur vie, de leurs angoisses, de leurs espoirs et on s'abstiendra de faire de même en ce qui vous concerne...
De anonyme
Mon gyneco m a fait une prise de sang , m a dit madame vous ne pouvez plus tomber enceinte vous etes menopausee (j ai 38 ans) .ok donc vu mon jeune age il me donne un traitement hormonal pour eviter l osteoprose et les bouffees de chaleur , 3 mois apres une tension dans les seins je retourne le voir en novembre il m augmente le dosage de progesterone,toujours mal aux seins decembre, janvier, je decide de retourner voir le gyneco , fevrier rdv le 20, verdict tombe vous etes enceinte de 4 mois ? Comment est ce possible je suis en menopause? Eh bien non jene veux pas de cet enfant j ai 2 filles une de 19 ans et une de 11 ans alors heureusement qu on peut avorter a l etranger et quand les gynecos font des erreurs , on devrait pouvoir se faire avorter en france
De anonyme
A lire tout ces commentaires ça me fais froid dans le dos, avorter ok mais je trouve normal qu'il y ait des limites, 14 semaines pour se rendre compte qu'on porte la vie n'est ce pas assez? Moi aussi j'ai eu recours à l'avortement mais l'embryon n'avait que 6 semaines, à 5 mois de grossesse c'est tragique, pour moi c'est un meurtre! Qu'on ai ses raisons ou non, on tue un être vivant, son propre enfant, sa propre chair! Heureusement que cela est illégal en France! Faut il tout autoriser? Et bientôt certain changeront d'avis à la naissance parce que leur enfant ne leur plait pas et il voudront l'autorisation de l'euthanasier! On marche sur la tête! Un foetus de 5 mois ressent déjà tout comme un bébé né, c'est honteux de passer par là pour des problèmes financiers ou de famille... à part si la vie de la mère est en danger ou si l'enfant est lourdement handicapé, il faut maintenir ce délais à 14 semaines! On est en 2014, il y a quand même d'autres moyens d'empêcher une grossesse! Et pour ceux qui vont me répondre que je ne suis pas dans le cas détrompez vous, j'ai été enceinte à 17 ans et j'ai mis une belle petite fille au monde à 18 ans et un jour, et je n'ai jamais regretter mon choix, même si mes parents m'ont mise de côté dans un premier temps, et même si le père de l'enfant à pris la clef des champs... aujourd'hui c'est une belle jeune fille de 14 ans... SI j'ai dû avorter une fois c'est parce que je venais de subir une troisième césarienne depuis à peine 3 mois et que cette grossesse était impossible... Aujourd'hui je suis enceinte de bb 4, je suis à 15 semaines de grossesse, et ce sera une quatrième césarienne...
De anonyme
bonjour je cherche des infos d urgence, ma femme est enceinte d environ 18 semaines, on a deja un enfant et bien que d accords ts les deux sur le choix d avorter on a fait l autruche trop longtemps car completments flippés sur les demarches a suivre. du coup ce n est plus possible de reagir legalement et en France et comme je n ai pas voulu faire stresser et pousser ma nana pour qu on fasse ce que pourtant on a decidé de faire et ben le resultat est catastrophique il faut reagir mais ne savons quoi faire... sans parler de ts ceux qui nous denigrent nous jugent ou nous insultent, c est facile de juger mais bon la honnetement on est pommés. si qq un pouvait nous aiguiller un peu nous informer ou si qq un est deja passé par la merci de me contacter car la c est pas cool c qui s passe
De anonyme
Bonjour,
quelqu un aurait il une fourchette de prix à me donner pour cette intervention aux pays bas? j'ai l'intention de m y rendre également mais aimerait avoir un max de renseignements...merci d avance