Suicide d’un rescapé du Bataclan : Guillaume, 131e victime du 13 novembre

Il était un rescapé. Mais ce jeune trentenaire, brisé psychologiquement, a mis fin à ses jours deux ans après l’attaque du Bataclan, en 2015. La justice vient de reconnaître son statut de victime directe de cet attentat.

 Atteint d’un sévère état de stress post-traumatique, Guillaume Valette s’est pendu le 19 novembre 2017.
Atteint d’un sévère état de stress post-traumatique, Guillaume Valette s’est pendu le 19 novembre 2017. DR

    Deux ans après la tragédie du 13 novembre, le Bataclan était redevenu une salle de spectacle et La Belle équipe un café convivial. Le Stade de France s'était remis à vibrer au son des supporters et les soirées parisiennes avaient retrouvé leur insouciance. Mais Guillaume Valette, lui, n'avait jamais retrouvé la paix intérieure. Survivant du Bataclan, indemne physiquement, mais atteint d'un sévère état de stress post-traumatique, il s'est pendu le 19 novembre 2017, dans sa chambre de la clinique psychiatrique du Val-de-Marne où il avait été admis un mois et demi plus tôt. Il avait 31 ans.

    Depuis le mois dernier, le suicide de Guillaume Valette n'est plus seulement une tragédie. Sur la base d'un rapport médical ayant imputé son geste à l'attaque, les juges d'instruction ont considéré que cet ancien analyste dans un laboratoire scientifique pourrait bien être le 131e mort des attentats du 13 novembre. Pour ses parents, qui se sont battus pour obtenir cette première reconnaissance, c'est un soulagement, même s'il n'atténue pas leur peine et que leur combat n'est pas terminé. Car il appartiendra à la cour d'assises d'apporter une réponse définitive.

    Le cas de Guillaume illustre aussi combien le terrorisme fait des ravages longtemps après que le fracas des bombes et des coups de feu se sont tus. Mercredi, on apprenait ainsi le décès de Tahar Mejri, dont l'épouse et le fils de 4 ans avaient péri dans l'attentat de Nice. Même si les circonstances de son décès prématuré ne sont pas connues, le quadragénaire était enfoncé dans une profonde déprime depuis la tragédie.

    Son état se dégrade et il est interné

    Guillaume Valette avait fait l'objet d'un examen médico-légal par le psychiatre du Fonds de garantie des actes de terrorisme et autres infractions (FGTI), l'organisme chargé d'évaluer le préjudice des victimes, en janvier 2017. Le médecin avait constaté les dégâts provoqués par l'attentat sur le psychisme du jeune homme, en proie notamment à des phobies.

    « Ce sujet présente un trouble psycho-traumatique caractérisé, qui reste évolutif, avec de très nombreux évitements, des moments d'anxiété majeure en de nombreuses circonstances […], une modification de son rapport à l'existence, un remaniement de son système de valeurs, le sentiment d'un éloignement dans son rapport aux autres », relate le psychiatre, indiquant que son état n'est pas encore stabilisé.

    L'état médical de Guillaume s'aggrave à l'été 2017. Hypocondriaque, il multiplie les visites chez le médecin. Son état d'anxiété est tel qu'il est admis en psychiatrie en août. Trois mois plus tard, il met fin à ses jours. Alain et Arlette Valette prennent attache avec Me Claire Josserand Schmidt, une avocate qui intervient notamment auprès de l'Association française de victimes du terrorisme (AFVT). Ils sont persuadés que le suicide de leur fils est la conséquence de l'attentat.

    Aucun antécédent psychiatrique

    Leur avocate entame les démarches au printemps 2018. Elle sollicite le Dr Catherine Wong, une psychiatre spécialisée dans la réparation juridique du dommage corporel. En prenant connaissance du dossier de Guillaume, la praticienne pose un diagnostic : au moment de son décès, le jeune homme souffrait d'une « dépression délirante ». Sa phase hypocondriaque en attesterait. Dans sa lettre d'adieu, le rescapé du Bataclan écrit qu'il se croit atteint d'un cancer de l'œsophage…

    Le Dr Wong cherche ensuite à savoir si cet épisode dépressif est une coïncidence fortuite liée à une maladie antérieure. Or, constate-t-elle, ce célibataire ne présentait pas d'antécédent psychiatrique. Elle privilégie donc la piste du traumatisme psychique.

    « On peut établir que le traumatisme du 13/11/15 a été responsable d'un état de stress post-traumatique chez M. Guillaume Valette, qui s'est compliqué d'un épisode dépressif majeur […] et que le suicide a été une complication de cet épisode dépressif majeur. Le suicide de M. Valette Guillaume est donc bien la conséquence ultime de l'attentat du 13/11/15 », indique-t-elle dans un rapport de janvier 2019.

    Le poids des blessures invisibles

    Les juges d'instruction ont, semble-t-il, été convaincus. Le 2 mai, ils ont envoyé aux parents de Guillaume un avis à partie civile, reconnaissant ainsi implicitement le statut de victime de leur fils. « C'est une avancée considérable, se réjouit Me Josserand Schmidt. En accueillant la constitution de partie civile de la famille de Guillaume, les juges d'instruction admettent la possibilité du lien de causalité entre l'attentat et son suicide. La discussion médicale se poursuivra devant la cour d'assises qui tranchera lors du procès. »

    Sur le fond, l'avocate insiste sur le poids des blessures invisibles pour les victimes qui n'ont pas été atteintes dans leur chaire. « Ces blessures peuvent, tout autant qu'une jambe amputée ou un œil arraché, handicaper la victime dans sa sphère personnelle, familiale, intime, sociale, professionnelle… » détaille-t-elle.

    « L'histoire de Guillaume doit alerter les pouvoirs publics sur le nécessaire accompagnement des victimes d'attentats sur la durée. Notre système d'indemnisation devrait aussi en tirer les conséquences : si les atteintes fonctionnelles sont plutôt bien évaluées en cas de blessures corporelles, nous en sommes encore très loin s'agissant des blessures psychiques. »

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