«Le stress post-traumatique est la pathologie la plus fréquente chez les victimes d’attentat»

Guillaume Valette, rescapé du Bataclan qui s’était donné la mort deux ans après l’attaque, vient d’être reconnu par la justice victime directe de cet attentat. Le psychiatre Eric Caillon explique ce qu’est le stress post-traumatique, maladie dont souffrait le trentenaire.

 « Le regard de la société sur les handicaps invisibles doit changer », estime Eric Caillon.
« Le regard de la société sur les handicaps invisibles doit changer », estime Eric Caillon. LP/Arnaud Journois

    Survivant du Bataclan, indemne physiquement mais atteint d'un sévère état de stress post-traumatique, Guillaume Valette s'est pendu le 19 novembre 2017, dans sa chambre de la clinique psychiatrique du Val-de-Marne où il avait été admis un mois et demi plus tôt. Il avait 31 ans. La justice vient de reconnaître son statut de victime directe de cet attentat.

    Le docteur Eric Caillon, psychiatre des hôpitaux qui accompagne plusieurs blessés des attentats du 13 novembre, revient sur la maladie du stress post-traumatique.

    Une de vos collègues a imputé le suicide d'un rescapé du Bataclan à l'attentat. Êtes-vous surpris ?

    ERIC CAILLON. Je ne connais pas ce dossier, donc je ne vais pas m'exprimer sur ce cas particulier. Mais, d'un point de vue clinique, je ne suis pas surpris. Une des complications psychopathologique du traumatisme de l'attentat peut être la dépression majeure. Or la dépression est parfois telle que le sujet va jusqu'au suicide. Mais c'est, fort heureusement, une issue très rare. À ma connaissance, parmi les milliers de victimes d'attentats récents en France, ce cas est unique.

    Guillaume Valette souffrait initialement d'un état de stress post-traumatique (ESPT). Quelle est cette maladie dont on parle tant ?

    Ce terme a une histoire. Il est issu des recherches sur les vétérans américains de retour de la guerre du Viêt Nam. Mais c'est une pathologie connue depuis l'Antiquité. Les soldats de Sparte (400 avant J.C.) avaient déjà droit à une pension d'invalidité en raison des troubles psychiques liés aux combats ! À la fin du XIXe siècle, en France, on parlait du syndrome du « vent du boulet » pour décrire l'état de stupeur des soldats napoléoniens frôlés par un boulet de canon. Après la Première Guerre mondiale, Freud a écrit sur ces soldats totalement désorientés qu'on peut voir dans certains films d'époque errer nus en adoptant des attitudes incroyables. On employait alors le terme de névroses traumatiques. Aujourd'hui, on parle d'état de stress post-traumatique.

    Quels sont les symptômes ?

    Ils sont nombreux. Les victimes ont des réminiscences, c'est-à-dire qu'ils revoient les scènes traumatiques auxquelles ils ont été confrontés. Ils font des cauchemars et développent une série de troubles anxieux, à commencer par l'évitement. Cela se traduit par la peur de prendre les transports en commun ou de retourner dans une salle de spectacle… L'ESPT est la pathologie que l'on retrouve la plus fréquemment chez les victimes d'attentat. C'est une complication qui peut apparaître immédiatement ou après une période de latence de plusieurs mois ou années.

    Comment traite-t-on l'ESPT ?

    Il y a des soins psychiatriques adaptés. Mais on constate que le soutien de l'environnement – familial et professionnel – du patient est primordial.

    Aujourd'hui, comment vont les victimes psychiques du 13-novembre ?

    La plupart souffrent d'un ESPT chronique. Entre 30 et 40 % d'entre eux présentent un état dépressif. Mais, si la prise en charge est bonne et le soutien efficace, on constate des améliorations. Pour d'autres en revanche, la dépression se complique par des troubles addictifs (consommation d'alcool) ou des modifications durables de la personnalité : tristesse permanente, perte d'insouciance ou d'invulnérabilité en raison de la proximité vécue avec la mort. Cela modifie leur rapport à l'existence avec un impact sur la vie quotidienne ou celle des proches. Mais il peut aussi y avoir des effets positifs.

    C'est-à-dire ?

    On a constaté que plusieurs rescapés avaient changé d'univers professionnel. Alors qu'ils travaillaient jusque-là dans la publicité, le marketing ou le design, ils se sont engagés dans des métiers davantage tournés vers l'autre. Toute crise, quand elle est dépassée, peut susciter du positif. C'est le principe même de la résilience.

    Les blessés psychiques sont-ils moins considérés que les blessés physiques d'un attentat ?

    Oui. Il faut déjà partir du constat de la situation dramatique dans laquelle se trouve la psychiatrie hospitalière. Les victimes d'attentat ont certes été « favorisées », mais cela s'est fait au détriment d'autres patients. Par ailleurs, le regard de la société sur les handicaps invisibles doit changer. Plusieurs victimes ont par exemple entendu des réflexions peu amènes dans le monde professionnel du style : Bon maintenant ça fait six mois que l'attentat est passé, tu as tes deux jambes, il serait temps de te remettre au boulot… Enfin, jusqu'aux attentats, les barèmes d'indemnisation étaient scandaleusement faibles pour les victimes de troubles psychiques. Comme si ces souffrances étaient différentes. C'est un long combat pour faire comprendre que se sentir déprimé et avoir du mal à se lever le matin nécessite la même considération que la perte d'un membre. Certains médecins du Fonds de garantie ont pris conscience de la faiblesse des taux reconnus en psychiatrie et les ont augmentés pour les victimes des attentats. Mais tous ne l'ont pas fait et pour les autres situations (viol, accident, agression…) les taux demeurent trop faibles.

    Peut-on guérir d'un tel traumatisme ?

    Dans le langage médico-légal, on parle de consolidation. Mais être stabilisé ne veut pas dire être guéri. Fondamentalement, on ne peut pas guérir d'une telle expérience traumatique. Mais cela ne veut pas nécessairement dire qu'on va se sentir mal toute sa vie. Plusieurs rescapés ont appris à vivre avec. Chaque situation est unique. Certaines victimes ont encore besoin d'une prise en charge au long cours quand d'autres n'ont plus besoin d'être soignées.