Le soleil est brûlant sur la base aérienne de l’armée française à Niamey, au Niger, en ce mois de décembre 2018. À l’abri des regards entre deux hangars, un drone MQ-9 Reaper déploie sa silhouette gracile. Haut sur « pattes » et d’une envergure de vingt mètres, il est reconnaissable à sa « boule », concentré de capteurs optiques et électroniques, placée sous son nez.

Aucune opération des militaires français de la force Barkhane au Sahel ne se fait sans l’usage de ce drone de « moyenne altitude longue endurance » (MALE). Piloté à distance, il peut discrètement, jusqu’à 13 000 mètres d’altitude et pendant 24 heures d’affilée, collecter du renseignement. Il observe et traque les groupes armés terroristes.

La France dispose de cinq drones Reaper, dont trois sont déployés à Niamey. C’est en 2013 qu’elle a décidé de les acquérir auprès du constructeur américain General Atomics, en l’absence d’une filière française ou européenne à l’époque. La prise de conscience de la nécessité de s’équiper remontait à 2008, au traumatisme de l’embuscade d’Uzbin en Afghanistan, où 10 soldats français avaient été tués et 21 autres blessés.

« Un drone armé n’est pas un robot tueur »

Fin 2019, la France va armer ses drones Reaper : ils porteront sous leurs ailes des bombes à guidage laser GBU 12 de 250 kg. Puis, en 2020, l’armée française réceptionnera six autres Reaper qui pourront être armés de bombes GBU 49 et missiles Hellfire.

Ce processus d’armement suscite des questions juridiques et éthiques, au motif d’une « déshumanisation » de la guerre. Lorsqu’elle en avait fait l’annonce en septembre 2017, la ministre des armées Florence Parly avait pris soin de « dissiper d’éventuelles craintes ». « Non, un drone armé n’est pas un robot tueur, avait-elle affirmé. Ce sont deux systèmes qui n’ont rien de semblable. Cette décision ne change rien aux règles d’usage de la force, au respect du droit des conflits armés. »

« Avion ou drone, les conditions d’engagement du feu sont les mêmes », ajoute le sénateur Cédric Perrin (LR, Territoire de Belfort). Coauteur d’un rapport sur le sujet, il estime que « l’intérêt de ce type de matériel armé est de limiter les dégâts collatéraux et éviter une prise de risque pour les soldats au sol ».

La localisation du pilote : « le syndrome Good Kill »

Le drone n’est « pas problématique » en soi, c’est un « aéronef d’État », « respectueux du droit international », rappelle Fouad Eddazi, maître de conférences en droit public à l’université d’Orléans (1). « On est sur du matériel militaire : le drone est assimilé à un chasseur bombardier classique, comme les drones marins et sous-marins sont assimilés à des navires et sous-marins classiques. »

En revanche, on peut s’interroger sur certaines utilisations, poursuit l’universitaire, citant « les exécutions extrajudiciaires » menées par les États-Unis. « Leur doctrine de légitime défense préventive est une distorsion du cadre juridique originel », estime-t-il. « C’est le syndrome Good Kill », relève Cédric Perrin, du nom d’un film montrant un pilote de l’US Air Force qui pilote des drones et bombarde le Moyen-Orient depuis Las Vegas. « Chez nous, ça n’existe pas. Nos drones sont hyperpilotés », assure l’élu.

Les Reaper de Barkhane illuminent des cibles

Installé dans un « cockpit », sorte de conteneur, un équipage de Reaper est constitué de quatre personnes : un pilote, un opérateur capteurs, un opérateur images et un officier renseignement chargé d’interpréter les données collectées. Le drone est télécommandé depuis le sol, au plus près des opérations. Quand il sera armé, le tir appartiendra au pilote et à l’opérateur capteur.

« Au Sahel, l’engagement du feu, cela fait longtemps déjà que l’escadron le vit au quotidien », souligne le lieutenant-colonel Romain, commandant de l’escadron de drones « Belfort » de l’armée de l’air. Concrètement, les Reaper de Barkhane illuminent des cibles par une tâche laser, vers laquelle se dirigent les munitions des Mirage 2000.

Avec un objectif de 24 drones en 2030, l’armée de l’air a dû créer une filière dédiée pour recruter 80 à 100 équipages. La formation comprend « une approche humaine », explique le lieutenant-colonel. « Nous avons développé des modules spécifiques sur le fait de donner la mort en opération. Des scénarios ni blanc ni noir qui poussent à la réflexion. »

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Des espions en format poche

– L’histoire du drone remonte à la Première Guerre mondiale mais c’est à partir des guerres du Vietnam puis du Kippour que les États-Unis et Israël développent cette technologie.

– Les premières utilisations de drones armés datent de la guerre Iran-Irak. La lutte contre le terrorisme constitue un tournant, les États-Unis engageant leurs Predator armés en 2001 en Afghanistan. Plus de 80 pays détiennent des drones militaires. Une dizaine utiliserait des drones armés.

– Toutes les composantes de l’armée française sont équipées ou en train d’accélérer leur équipement en drones, minidrones et nanodrones. Le plus petit mesure 16 cm et pèse 18 g.

(1) Le droit à l’épreuve des drones militaires, LGDJ, 2019, 360 p. 44 €.