Des tomates cultivées sous serres chauffées au mois de mars peuvent-elles être labellisées bio ? Pour l'instant oui, mais les acteurs historiques du bio veulent faire interdire cette pratique qui va à l'encontre des valeurs environnementales et sociales qu'ils portent. Un combat contre l'industrialisation du bio difficile à mener : c'est désormais la grande distribution qui tire la croissance du secteur. 

C’est un affrontement entre deux camps et seul l’avis du Comité national de l’agriculture bio, prévu pour le 11 juillet, y mettra un terme. Dans une pétition lancée le 29 mai dernier, la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab), Greenpeace, Réseau Action climat et une dizaine d’organisations, demandent l’interdiction des serres chauffées en agriculture bio.
"Depuis quelques mois, on voit se développer des projets de conversion biologique de serres chauffées pour la production de fruits et légumes hors saison (Pays de la Loire, Bretagne…). Ces projets en gestation vont permettre de retrouver sur les étals de la tomate bio française en plein mois de mars. Une aberration gustative, agronomique et environnementale", dénonce notamment la Fondation Nicolas Hulot dans cette pétition adressée au ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Didier Guillaume.
Une distorsion de concurrence avec les autres pays européens
Pour bien comprendre, il faut savoir que l’Eurofeuille, le label bio européen, sur lequel est calqué le label français AB, n’interdit pas explicitement l’usage des serres pour faire pousser les fruits et légumes bio. Mais il est sujet à interprétation, c’est à chaque pays de décider l’usage sur son territoire. En France, c’est le Comité national de l’agriculture biologique qui est chargé de proposer un guide de lecture pour définir les modalités d’application. Il y a quelques semaines, la Fnab lui a demandé d’interdire les serres chauffées en bio, mais le vote a été repoussé après pression de la FNSEA.
Le principal syndicat agricole estime en effet que l’interdiction ne pèserait que sur la France, la mettant en concurrence avec les autres pays européens qui ne subiraient pas une telle contrainte. Or, aujourd’hui selon l’interprofession des fruits et légumes (Interfel), près de 80 % des tomates bio vendues en grande surface sont importées, tout comme 70 % des concombres. "Le but est d’éviter toute surtransposition réglementaire pouvant conduire à des distorsions de concurrence pour les producteurs français (…)", explique le syndicat qui se défend de vouloir "un système de serres chauffées en agriculture biologique toute l’année".
80 % des serres chauffées alimentées aux énergies fossiles
Des arguments qui ne font pas mouche auprès des "anti-serres". Pour "annuler l’impact de la concurrence étrangère sur nos productions et nos revenus", la Confédération paysanne propose plutôt "l’instauration de prix minimum d’entrée pour les fruits et légumes importés (…)". Surtout, les acteurs historiques du bio voient, dans ces serres, le symbole de l’industrialisation d’une filière qui ne respecte plus "l’esprit du bio". Or les enseignes qui ont construit le bio ne tirent plus la croissance du secteur. En 2018, selon les derniers chiffres de l’Agence bio, la grande distribution a boulotté la moitié des ventes des produits bio. 
Pour l’instant, seulement 0,2 % des hectares cultivés en bio sont couverts par des serres chauffées, comptent les chambres d’agriculture. Mais la croissance du bio est en plein boom tirée par la demande des consommateurs. Et 80 % des serres chauffées dans l’Hexagone sont alimentées aux énergies fossiles comme le gaz ou le fioul. Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) une tomate sous serre produite dans l’Hexagone émet sept fois plus de gaz à effet de serre qu’une tomate de saison et quatre fois plus qu’une tomate importée d’Espagne.
Marina Fabre, @fabre_marina

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