Lutte

Nazanin Zaghari-Ratcliffe en grève de la faim à Téhéran, son mari Richard lui emboîte le pas à Londres

La jeune Britanno-Iranienne, emprisonnée sans raison depuis trois ans, a entamé une grève de la faim, soutenue par son mari, pour réclamer sa libération.
par Sonia Delesalle-Stolper, Correspondante à Londres
publié le 18 juin 2019 à 8h33

Très exactement 5 492,7 kilomètres séparent l’ambassade d’Iran à Londres et la prison d’Evin à Téhéran. Depuis trois jours, un fil invisible relie ces deux lieux symboliques. Richard et Nazanin Zaghari-Ratcliffe font la grève de la faim, en même temps, mais pas ensemble. Richard est installé dans une petite tente devant l’ambassade qui fait face à Hyde Park. Nazanin a arrêté de s’alimenter dans le quartier des femmes de la célèbre geôle iranienne. Le couple, parents de Gabriella, 5 ans, est séparé depuis plus de trois ans. Nazanin purge une peine de cinq ans de prison pour de pseudos faits d’espionnage. En réalité, la femme de 40 ans, qui possède la double-nationalité, est l’otage de conflits obscurs entre le Royaume-Uni et l’Iran qui n’ont rien à voir avec elle. Londres comme Téhéran l’ont reconnu à plusieurs reprises.

Sur le trottoir, la tente est toute petite, bleue turquoise, presque assortie aux pensées qui débordent des pots de fleurs suspendus aux grilles noires de l’ambassade. Deux policiers britanniques observent d’un œil bonhomme le flux incessant de visiteurs qui viennent, pour quelques minutes ou quelques heures, soutenir Richard. Un homme en costume sort régulièrement de l’ambassade d’Iran et discute avec les policiers. Il voudrait que la tente, Richard et ses soutiens disparaissent. Mais ils ne font rien d’illégal. Le trottoir et le perron de l’ambassade restent accessibles au public. Mais Richard reste là, assis sur une chaise de camping, s’hydratant d’eau ou de tisanes, rappel constant de la situation. Le personnel de l’ambassade a bien installé deux grandes parois de métal pour dissimuler le mini-campement. Raté. Les parois servent d’appuis aux panneaux demandant la libération de Nazanin.

«Nazanin a droit depuis longtemps à une libération sans conditions, elle a accompli plus de la moitié de sa peine, ou pour bonne conduite, et rien ne bouge. Elle avait prévenu que si elle devait passer un quatrième anniversaire sans sa fille [le couple n'a fêté ensemble que les un an de Gabriella, ndlr], elle prendrait des dispositions», raconte Richard à Libération. Gabriella a fêté ses cinq ans la semaine dernière. Elle vit avec ses grands-parents maternels à Téhéran, ne voit sa mère qu'en prison, son père qu'à travers un écran d'ordinateur et ne parle que farsi. Samedi matin, Nazanin a appelé Richard pour le prévenir qu'elle avait décidé d'arrêter de s'alimenter.

«Trop c’est trop»

Elle avait déjà mené une grève de la faim en janvier pour réclamer une attention médicale qui lui est refusée, alors qu'elle souffre de multiples kistes à la poitrine. Ils devraient être contrôlés régulièrement, ils ne le sont pas. En août, trois jours de permission de sortie lui avaient laissé espérer une libération rapide, en vain. «Je lui avais promis de la suivre si elle recommençait. Alors voilà. Je suis plus visible qu'elle en prison. Trop c'est trop. Mon rôle est d'amplifier sa voix, de la faire résonner le plus loin et le plus fort possible», explique-t-il de sa voix calme et toujours posée.

Nazanin Zaghari-Ratcliffe n'est pas la seule victime innocente enfermée à Evin et dont la double-nationalité – que ne reconnaît pas Téhéran – sert de moyen de pression à l'Iran. Selon Human Rights Watch, au moins onze personnes seraient dans cette situation. En mars, le Foreign office a mis en garde les détenteurs de la double-nationalité contre tout déplacement en Iran. Certaines familles préfèrent essayer de régler la situation dans la discrétion. Pas Richard Ratcliffe, qui remue ciel et terre depuis l'arrestation de sa femme. «Parler publiquement est le seul moyen de dénoncer cette industrie de prise d'otages.» Employée de Thomson Reuters Foundation, la branche caritative de l'agence de presse Thomson Reuteurs, Nazanin a été arrêtée le 3 avril 2016, alors qu'elle s'apprêtait à regagner Londres avec son bébé, après une visite à ses parents. Séparée de sa fille, elle avait été placée à l'isolement, emmenée à l'autre bout du pays, interrogée brutalement avec une cagoule sur la tête, avant d'être finalement ramenée à Téhéran et enfermée à Evin.

«Une forme de torture»

En 2017, Boris Johnson, alors ministre des Affaires étrangères, avait aggravé sa situation en déclarant que Nazanin était en Iran pour y enseigner le journalisme. Or, elle n'a jamais exercé de fonction en rapport avec le journalisme, Boris Johnson n'avait simplement pas lu son dossier. Il avait reconnu son erreur, mais l'Iran avait utilisé ses déclarations pour renforcer les charges contre Nazanin. Son successeur, Jeremy Hunt, a pris la situation plus à cœur. Il a rencontré Richard plusieurs fois, multiplié les demandes de libération et a placé l'Irano-Britannique sous protection diplomatique, mais sans effets.

Que pense Richard de la forte probabilité que Boris Johnson devienne le prochain Premier ministre britannique ? «S'il entre à Downing Street, il y entrera avec un poids autour du cou, et nous nous chargerons de le lui rappeler», dit-il doucement. Monique Villa, ancienne directrice de la Fondation Thomson Reuters, l'employeur de Nazanin, sourit en l'écoutant. Elle est aux côtés du jeune couple depuis le premier jour. «Nazanin a travaillé quatre ans pour moi, je savais qu'elle était dotée d'un caractère fort. Je n'ai découvert son mari Richard qu'après son arrestation et très vite constaté qu'il a en lui la même détermination, explique-t-elle. J'ai une immense admiration pour tous les deux. Ce qui leur est imposé, à eux et à leurs familles en Iran et au Royaume-Uni, est une forme de torture. Voilà plus de trois ans que Nazanin est en prison, reconnue innocente par tous, otage et avec un état de santé qui se détériore. Laissez-les enfin vivre en famille !»

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