Haine sur internet : Belloubet envisage de réformer la loi de 1881 sur la liberté de la presse

La ministre de la justice Nicolle Belloubet à l’Assemblée le 15 mai 2019.

La ministre de la justice Nicolle Belloubet à l’Assemblée le 15 mai 2019. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

La réforme consisterait à sortir l’injure et la diffamation de la loi pour les inscrire dans le code pénal. Une « grave menace », selon des avocats.

Nicole Belloubet s’attaquera-t-elle à la loi de 1881 ? Pour mieux réprimer la haine sur internet, la ministre de la Justice envisage de sortir l’injure raciale du texte qui régit la liberté de la presse, ce qui constituerait un « non sens » et une « grave menace » préviennent des avocats.

La justice est lente et la propagation de la haine fulgurante : alors que doit être bientôt débattue à l’Assemblée nationale la proposition de loi Avia pour lutter contre la haine en ligne, la ministre veut améliorer la réponse pénale.

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Le débat est « complexe et délicat », reconnaît Nicole Belloubet dans le « Journal du Dimanche ». Mais elle veut lancer « une réflexion approfondie sur la liberté d’expression sur les réseaux sociaux », s’apprête à constituer un groupe d’experts sur le sujet et à « saisir pour avis » la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Plusieurs avocats spécialisés en droit de la presse ont dénoncé « l’hypocrisie » et la « dangerosité » d’une telle réforme.

Le vice-bâtonnier de Paris Basile Ader met ainsi en garde contre des « idées fausses » :

« Ce n’est pas la loi de 1881 qui entrave la répression, mais plus sûrement l’inaction des parquets et surtout la difficulté d’identification des auteurs d’injures haineuses (via les données de connexion) » et donc la nécessité de « responsabiliser les plateformes », ce à quoi s’attèle justement la loi Avia.

« C’est mettre à néant la loi sur la presse »

Fondamentale pour les journalistes, la loi du 29 juillet 1881 instaure un régime dérogatoire leur permettant de protéger leurs sources et de livrer des informations d’intérêt général en prenant le risque parfois de la diffamation publique.

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Pour l’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka, « l’équilibre de cette loi, c’est d’accorder un régime procédural plutôt très protecteur pour la liberté d’expression, avec des règles sur le fond qui sont très sévères, en particulier en matière de preuve de la vérité ». 

« Y toucher de manière aussi profonde est irresponsable. »

« Depuis le début, ce gouvernement a montré qu’il considérait la liberté d’expression comme très secondaire », abonde Christophe Bigot, vice-président de l’Association des avocats praticiens du droit de la presse. « Sortir l’injure et la diffamation, c’est mettre à néant la loi sur la presse puisqu’elles représentent 90% du contentieux. C’est une abrogation », tempête-t-il.

Et aussi « une très grande hypocrisie », car pour lui ce n’est pas la loi de 1881 qui est inadaptée à la haine en ligne, mais toutes les lois « à cause de la difficulté de l’anonymat » sur Internet.

« Il suffirait d’un alinéa de plus »

Dans une tribune récente publiée dans « Libération », la procureure générale de Paris Catherine Champrenault réclamait, elle, cette réforme, jugeant le texte plus que centenaire inadapté. Elle épinglait notamment des contraintes procédurales contribuant « à allonger les délais de jugement et à retarder l’exécution effective des sanctions prononcées ». « Un faux débat » pour les avocats.

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« Pourquoi ça dure longtemps les affaires de presse ? Parce qu’on n’a pas assez de magistrats », réplique ainsi Christophe Bigot.

Basile Ader relève aussi que « le seul exemple de délit sorti de la loi de 1881 - l’apologie du terrorisme en novembre 2014 - a été un fiasco » : « Le Défenseur des droits relève qu’on n’a jamais vu autant d’arbitraire. »

Le vice-bâtonnier estime qu’une piste pourrait être explorée pour améliorer la réponse pénale : « Quand le message est évident et les conditions de flagrance sont réunies, le parquet pourrait agir en comparution immédiate pour injure raciale : il suffirait d’un alinéa de plus à l’article 54 de la loi de 1881. »

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