Le pari de Pascal : croire en Dieu sur un coup de dés

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Le pari de Pascal : croire en Dieu sur un coup de dés

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Blaise Pascal et des dés.
Blaise Pascal et des dés.
- G. Edelinck, F. Quesnel/ Wikipédia

Blaise Pascal est bien connu pour ses "Pensées". Parmi celles-ci, son célèbre pari", qui encourage le sceptique à croire en Dieu, puisqu'il n'a rien à y perdre. Réflexions autour de cet argument avec Adèle Van Reeth et le philosophe Francis Kaplan.

Existe-t-il une vie après la mort ? Certains occultent la question, d'autres en font dépendre toute leur conduite, ce à quoi Blaise Pascal encourage ses lecteurs à travers son "pari", théorisé dans ses Pensées (imprimées en 1669). Avec Adèle Van Reeth, productrice des Nouveaux chemins de la connaissance, et une archive de 1989 faisant entendre la voix du philosophe Francis Kaplan, on décrypte cet argument, alors que s'ouvre à la BnF, à Paris, une exposition consacrée au philosophe et mathématicien.

Alors, qu'est-ce que ce "pari de Pascal" ? L'appellation vient de Pascal lui-même ("Pari sur le problème de l'éternité") et qualifie un argument philosophique qui fit florès, et pourrait se résumer trivialement ainsi : que Dieu existe ou qu'il n'existe pas, autant croire en lui pour être sûr de gagner sa place au paradis, si paradis il y a. Car l"’immortalité de l’âme est une chose qui nous importe si fort, qui nous touche si profondément, qu’il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l’indifférence de savoir ce qui en est. Toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes, selon qu’il y aura des biens éternels à espérer ou non...", estime le philosophe, théologien et mathématicien.

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À lire sur Gallica : Le "pari" de Pascal est théorisé au chapitre II de ses Pensées

"Nous ne naissons pas pour quelque chose, nous allons mourir pour rien… c’est une espèce de scandale de la raison qui fait qu’on ne peut pas accepter cette vérité-là. Donc on peut lire le pari de Pascal non pas comme un texte uniquement de prosélytisme religieux, mais comme une invitation pressante qui nous est faite, à nous lecteur, de trouver un sens à notre existence, parce qu’il est absurde de ne pas postuler un sens à notre existence." Adèle Van Reeth

En décembre 1989, c'est sur ce sujet qu'était précisément invité à s'exprimer le philosophe Francis Kaplan sur France Culture. C'était dans l'émission Les Chemins de la connaissance, au micro du producteur Emmanuel Hirsch. "Pour Pascal, on a à penser que Dieu existe non pas parce que c’est vrai que Dieu existe, parce que c’est une vérité et qu’il faut l’admettre (…) Nous avons à nous préoccuper du problème de l’existence de Dieu parce que nous sommes mortels, que nous ne pouvons pas échapper au problème du sens de notre vie", expliquait-il.

"L'autre Pascal", dans Les Chemins de la connaissance, décembre 1989. Avec Francis Kaplan.

18 min

Durée : 18 min

Un pari rationnel, mais néanmoins philosophique

Comme le souligne Francis Kaplan en 1989, Pascal commence ("et peut-être même de manière indiscrète") par mettre son lecteur en face de sa propre mort. Mais à l'inverse des directeurs de conscience, comme Bossuet, ou des sermonnaires qui s'appuient sur la Bible et s'adressent à des croyants, le philosophe s'adresse... à des libertins : "Il ne peut pas leur dire 'Attention vous allez vous trouver devant Dieu', il peut dire 'Faites attention, le problème est important. Peut-être que vous allez vous trouver devant Dieu. Peut-être que Dieu existe. Alors ça suffit pour que vous posiez réellement le problème de savoir si Dieu existe, ou n’existe pas.'", explique Francis Kaplan.

Il s'agit aussi de rappeler que Pascal était mathématicien, qu'il théorisa sur les jeux de hasard, et fut à l'origine du premier pas dans l'univers des probabilités. C'est ainsi qu'il estimait que son propre pari avait des chances d'être valable : "Nous connaissons qu’il y a un infini et ignorons sa nature, comme nous savons qu’il est faux que les nombres soient finis, donc il est vrai qu’il y a un infini en nombres. Ce que Pascal veut montrer dans ce texte, c’est que nous sommes nécessairement amenés à des positions contradictoires, sur l’existence de l’infini, sur l’existence de Dieu. Dieu est infiniment incompréhensible, puisqu’il n’a nul rapport à nous, nous sommes donc incapables de connaître ce qu’il est, ni s’il est.", précise Francis Kaplan.

"Ce qu’on appelle le pari de Pascal est extrêmement précis, c’est un calcul. Il s’adresse à des libertins, mais aussi à des joueurs, ceux qu’on appellerait aujourd’hui des joueurs de casino, qui sont capables de faire des calculs pour essayer de savoir quelle combinaison de dés ils doivent faire pour obtenir le gain d’argent qui est sur la table. C’est le génie de Pascal je pense, de s’adresser à ces personnes-là, des gens qui sont très loin de lui, de cette manière-là. Il les condamne sans doute moralement mais finalement ce n’est pas son affaire ! Ce qu’il y a de génial dans ce texte c’est de voir que, à tout prendre, sur un malentendu, ça peut marcher ! Pascal n’est pas dogmatique en la matière. Il dit que même dans une logique qui est absolument profane, complètement rationnelle et pas du tout de l’ordre de la croyance, il y a une bonne raison de croire en Dieu." Adèle Van Reeth

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Mais alors, le pari n'est-il pas un peu vain, faussé ? Quel non-croyant pourrait devenir croyant par la seule persuasion d'une théorie qui lui présente les avantages de la foi ? Comme si la foi était performative... "Je dis donc je crois" ?... "Pascal pense, comme Aristote d’ailleurs, qui disait que c’est en forgeant qu’on devient forgeron, que peut-être qu’en s’agenouillant à l’église devant Dieu, la foi va pouvoir naître… Enfin, il le croyait oui ou non, parce qu’il savait très bien que tout était une affaire de grâce en dernière analyse. Il y a une grande inégalité des hommes à l’égard de Dieu chez Pascal et chez les jansénistes en général", explique Adèle Van Reeth.

Posé ainsi, le problème peut sembler prosaïque... Pourtant, c'est bien à l'aune de la philosophie que le traite Pascal, à l'inverse de philosophes comme Descartes, ou Malebranche, qui ont fait de la question de l'immortalité de l'âme une question purement intellectuelle. "C’est philosophique parce que le pari lui-même est un choix de vie en réalité. Vivre en pariant l’existence de Dieu, c’est choisir de vivre sa vie comme si un être supérieur existait. Et toutes les questions relatives à la ligne directrice qu’on va donner à sa vie, au but qu’on veut s’assigner, ont des dimensions philosophiques.", explique Adèle Van Reeth, qui rappelle que si la philosophie sert à quelque chose, c’est bien à interroger le sens de l’existence. "Pascal ne fait pas autre chose dans ses Pensées. Pour lui, cette démarche n’est pas à proprement parler philosophique, mais nous pouvons y trouver un intérêt philosophique, c’est la différence."

Mais Dieu n'est pas le résultat d'un raisonnement

Pour Francis Kaplan en 1989, l'originalité de Pascal réside aussi dans son refus de s'essayer à une démonstration abstraite de l'existence ou de l'inexistence de Dieu. Son refus même de croire qu'une telle démonstration puisse exister. Et si Pascal refuse la raison, c'est parce que par sa dimension universelle, elle entérine le déisme, fortement condamné par le philosophe, qui éloigne du christianisme. "Ce qu’on entend par 'déisme', c’est une attitude qui consiste à prouver l’existence de Dieu par un raisonnement. Pour Pascal, ça n’a aucun sens, en terme de croyance, et de foi. Dire que Dieu est le créateur de cette manière-là, c’est juste une manière de raconter une histoire pour expliquer le monde", explique Adèle Van Reeth.

"Il est clair en effet que si vous faites une démonstration rationnelle de l’existence de Dieu, il sera très difficile après de passer à une démonstration d’une religion particulière. Ce qui caractérise la raison, c’est son aspect universel. (...) Or Pascal refuse le déisme. Il dit quelque part que le déisme et l’athéisme sont aussi abominables l’un que l’autre. Et il refuse le déisme parce que précisément, une fois admis le déisme, comment ensuite démontrer la religion particulière à laquelle veut aboutir Pascal." Francis Kaplan

Pascal distingue donc le Dieu des croyants du "Dieu des philosophes", pour lequel il a tout le mépris possible car il est artificiel, il est le résultat d’un raisonnement, explique Adèle Van Reeth : "Ce n’est pas que Pascal ne croit pas en la raison, qu’il la nie ou qu’il la croit dangereuse, c’est juste que pour lui, la raison appartient à un autre ordre. Il y a trois ordres, chez Pascal : l’ordre des corps, qui est l’existence corporelle, biologique, des sentiments…, l’ordre de la raison, qui est celle de la connaissance, l’ordre des savants, des sages, des philosophes, et l’ordre du cœur, qui est celui de la charité. Donc il y a comme une hiérarchie, du corps, à l’esprit, à Dieu. Et tout ce qui a lieu dans l’ordre de l’esprit est complètement valable, mais n’a aucune prise sur l’ordre du cœur, de la croyance, de la charité."

"La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent. Elle n’est que faible si elle ne va jusqu’à connaître cela. Que si les choses naturelles la surpassent, que dira-t-on des surnaturelles ?" Extrait des Pensées de Pascal

Un pari atemporel

Cette façon spécifique à Pascal de poser un certain nombre de problèmes métaphysiques est-elle encore recevable aujourd’hui, d’un point de vue philosophique ? "Je dirais mieux. Elle a une modernité particulière. Parce que l’originalité de Pascal n’est pas simplement existentielle, elle est aussi intellectuelle", répond Francis Kaplan. La réponse est la même du côté d'Adèle Van Reeth, qui estime que si les questions posées par Pascal dans ses Pensées ont un lien avec la religion, elles ont plus largement un lien avec la dimension existentielle, la question du choix de vie, celle de l'acceptation de l’existence humaine dans son absurdité : "Le raisonnement qu’il fait est valable aujourd’hui, y compris d’un point de vue non religieux, parce qu’il est le résultat d’une analyse très précise et très pertinente de l’existence humaine en général."

"La réflexion philosophique est atemporelle, les problèmes que soulevaient Platon ou même les présocratiques, Héraclite, ou Anaxagore… sont des problèmes qui sont encore valables aujourd’hui parce qu’ils ont trait à l’existence humaine, indépendamment de son contexte." Adèle Van Reeth