"Je sens ses genoux derrière moi et sa main puissante sur mon ventre": le récit d'une victime du prêtre niçois accusé de pédophilie

Sébastien Liautaud, 33 ans, affirme avoir été victime d’attouchements, à Rome, à l’âge de 11 ans. Il est le premier à révéler publiquement des faits non prescrits. Le premier hors de Nice, aussi.

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Christophe Cirone Publié le 20/06/2019 à 08:45, mis à jour le 20/06/2019 à 18:57
Sébastien Liautaud devant le palais de justice de Nice, lundi soir, avec la plainte qu’il vient de déposer auprès de la brigade des mineurs de la sûreté départementale. Photo Christophe Cirone

Rome, mars 1997. Sébastien Liautaud est âgé de 11 ans et demi. Il est venu en pèlerinage pour la semaine sainte, avec un groupe de jeunes Azuréens. L’organisateur: Jean-Marc Schoepff, via l’association qui porte ses initiales, JMS (Jeunes pour un Monde Solidaire). "C’est lors de ce voyage qu’il y a eu agression", entame-t-il.

Quelques mois plus tôt, Sébastien a vu débarquer à Antibes le père Schoepff, les yeux grands ouverts. Issu d’une famille catholique pratiquante, il est enfant de chœur à la chapelle Sainte-Marguerite, dans le quartier des Semboules, liée à la paroisse Notre-Dame de l’Assomption.

Jean-Marc Schoepff se fait tutoyer, appeler par son prénom. "C’était limite révolutionnaire. Dérangeant pour certains. Une confiance s’est instaurée, qui est devenue complètement aveugle..."

Dans la ville éternelle, Sébastien et ses camarades séjournent à la Trinité des Monts, un couvent situé piazza di Spagna. "Il y avait un dortoir filles et un dortoir garçons, avec des cellules individuelles qui ne fermaient qu’avec des rideaux." Un épisode va éveiller sa méfiance.

"Tu deviens un homme"

"Dès le premier soir, j’avais remarqué qu’il [Jean-Marc Schoepff] était à l’entrée de la salle de bains. Il n’y avait pas de rideau de douche. Et il nous regardait. Je me souviens très bien d’une réflexion qu’il a faite à un camarade: ça pousse, tu deviens un homme!” Il a rigolé..." échaudé, Sébastien invoque un prétexte fallacieux pour faire sa toilette au lavabo, dorénavant. Réflexe autoprotecteur.

Puis vient cette nuit où Sébastien surprend le prêtre dans sa cellule. "Il mange du chocolat noir - en plein carême. Je lui demande ce qu’il fait là. Il me dit: “En faisant ma tournée, je me suis aperçu que tu faisais du bruit. Je suis resté là le temps de finir ma tablette”." Rien de répréhensible pour la justice des hommes, jusqu’ici.

Mais ensuite, le jeune garçon sent "une présence dans [s]on lit. Je panique et, sans ouvrir les yeux, je parviens à identifier qui c’est. Je sens ses genoux derrière moi. Puis un souffle dans le cou. Et une main puissante sur mon ventre. Malheureusement, elle ne s’est pas contentée d’aller là. Elle est descendue sur le slip, est remontée pour redescendre, s’introduire dans le slip et se faire plus pressante..."

Des attouchements, cantonnés à une seule nuit, à l’occasion d’un voyage. Le scénario rappelle les récits des précédentes victimes. Mais celui de Sébastien Liautaud est précieux pour la justice. Si cette agression sexuelle venait à être établie, la prescription tomberait vingt ans après sa majorité. Sa plainte serait donc recevable.

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"Qu’est-ce que tu fais?"

Cette nuit-là, Sébastien Liautaud dit s’être retourné, et avoir lancé à l’intrus: "“Mais qu’est-ce que tu fais?” Il était d’une assurance hallucinante. Même pas paniqué. Il a retiré sa main délicatement et m’a dit: “Tu n’as pas de souci à te faire. Je vérifiais simplement que tout se développe normalement”. Il m’a même fait la bise, m’a dit que je pouvais me rendormir... Et je me suis rendormi."

Cet épisode, lui aussi, restera en sommeil au fond de sa mémoire. Jusqu’en février 2019.

Sébastien apprend que "Jean-Marc", dont il garde de bons souvenirs, est sur Facebook. Il veut lui écrire. "C’est en voyant une photo de lui, attablé avec quatre jeunes mineurs, que tout se réveille en moi. Je ressens une angoisse terrible. Physique. Elle me saisit le ventre et me monte à la gorge, au point de m’empêcher d’avaler!"

"Une angoisse terrible"

La découverte de l’affaire, les échanges avec d’anciens paroissiens confirment à Sébastien ce qu’il n’osait s’avouer. Vient alors le "sentiment de culpabilité. Peut-on faire cela à un prêtre? à Jean-Marc, qui a fait tant de bien, qui était presque comme un père pour moi?"

Au final, Sébastien s’est résolu à parler. Car il n’est pas seul.

Il a entrepris une thérapie avec une psychologue. Il est soutenu par Thomas et François Bidart, les frères jumeaux qui ont témoigné les premiers. "Je me dois de faire le relais sur Antibes", justifie Sébastien. Qu’importe si les paroissiens sont divisés, entre ceux qui se sentent trahis par le père Schoepff, et ses fidèles qui crient au complot.

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Pour Sébastien Liautaud, pas question de jeter l’opprobre sur l’Eglise tout entière: "Ce qui s’est passé ne m’affecte pas dans ma foi." Vendredi dernier, l’évêque Mgr André Marceau l’a longuement reçu. "J’étais un peu révolté; ça m’a apaisé", confie l’Antibois.

Il incite d’autres victimes à sortir de l’ombre. "ça fait du bien. ça aide à avancer. Et ça peut en aider d’autres."

Le conseil du prêtre y voit "une marque d’ignominie"

"Je ne pourrai pas m’exprimer sur les faits nouveaux, dans la mesure où j’ignore complètement ce qu’en pense mon client", réagit Me Michel Cardix. Avec Me Tina Colombani, cet avocat niçois chevronné a repris les intérêts de Jean-Marc Schoepff il y a quelques mois. Me Cardix a aussitôt brandi l’étendard de la prescription.

La plupart des accusateurs du prêtre ont dépassé la quarantaine. Les attouchements qu’ils dénoncent - des faits de nature délictuelle, et non criminelle - datent d’une trentaine d’années.

"Le problème des prescriptions est incontournable, en déduit Me Cardix. J’ai déposé une requête pour constater la prescription de l’action publique diligentée contre M. Schoepff. Le juge d’instruction, en lien avec le parquet de Nice, a fait droit à notre demande. L’affaire doit être évoquée en appel le 5 septembre."

Mais c’est bien le fond de l’affaire que dénonce Jean-Marc Schoepff. Ce sexagénaire, grâce à un assouplissement de son contrôle judiciaire, est revenu s’établir aux portes des Alpes-Maritimes.

"Il conteste tout, martèle Michel Cardix. Il vit très mal cette affaire. Très, très mal... Il le vit comme une injustice. C’est un homme qui s’est dévoué durant des décennies à ses fonctions de prêtre. Il le perçoit comme une marque d’ignominie lancée contre sa personne."

"On veut les faire taire" estime un avocat de victimes

Me Vincent Ehrenfeld assiste sept des neuf plaignants déclarés à ce jour. "Pourquoi soulever cette prescription si tôt? Pour les faire taire, clairement", estime cet avocat de la partie civile. Il a interjeté appel de la décision. "Nous espérons porter une parole de victime, et non de simple témoin."

Son nouveau client, Sébastien Liautaud, "n’est pas tout à fait de la même génération que les premières victimes, constate Me Ehrenfeld. Cela montre ce qu’on dit depuis le début: il [ce prêtre] a agi sur une période indéterminée, qui dépasse vraisemblablement la génération des premiers plaignants."

l'évêque partie civile

S’il bénéficie de la présomption d’innocence, Jean-Marc Schoepff est relevé de ses fonctions de prêtre par l’évêché de Nice, depuis sa mise en examen pour agressions sexuelles sur mineurs en 2018.

Figure charismatique de la paroisse Notre-Dame du Port à Nice, ce curé a officié trente-cinq ans au sein du diocèse de Nice. Il a été aumônier à l’institution niçoise Stanislas, ainsi qu’à Saint-Joseph ou Saint-Vincent. Mais aussi à Antibes, donc.

Sollicité ce mercredi 19 juin, l’évêché confirme que "l’évêque de Nice a l’intention de se constituer partie civile".

Le procureur de la République, Jean-Michel Prêtre, rappelle que "l’information judiciaire consiste à investiguer sur les faits délictuels ou criminels qui ont pu être commis sur une très longue période depuis 1983 à l’égard de toutes victimes encore à identifier".

Conduite par le juge Alain Chemama, l’enquête est à la sûreté départementale.

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