Depuis 2001 et à l’initiative de l’ONU, chaque 20 juin marque la Journée mondiale des réfugiés. A cette occasion, nous avons souhaité interroger Florent Gueguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité. Pour lui et d’autres associations, la situation des demandeurs d’asile, en France, “est extrêmement critique”. Et ce, “faute de moyens affectés à l’accueil par l’Etat”.
En quoi est-ce important d’organiser une journée mondiale des réfugiés, chaque 20 juin ?
Florent Gueguen – Cette journée mondiale des réfugiés est importante pour les associations qui accompagnent et qui hébergent les personnes migrantes : c’est un moment d’interpellation, à la fois des pouvoirs publics et de l’opinion publique, sur la situation critique des demandeurs d’asile et des personnes migrantes, en France.
C’est aussi une occasion de mettre en avant des projets associatifs d’accueil et d’intégration qui fonctionnent, dans le sens où il y a beaucoup d’initiatives de solidarité sur l’ensemble du territoire national. Cela permet en outre de montrer une image plus positive de l’immigration et de l’intégration.
Ce même jour, la maire de Paris Anne Hidalgo inaugurera dans la capitale une “Maison des réfugiés”. En quoi ce lieu va-t-il consister, et est-ce une bonne initiative ?
C’est un lieu important pour les associations, car il va aider à monter des projets d’accueil et d’accompagnement des personnes exilées, notamment en Île-de-France. Ce sera aussi un centre ressources, lieu de débats, de pédagogie, sur l’accueil et l’intégration des étrangers dans notre pays.
C’est enfin un endroit qui montre un engagement fort de la mairie de Paris sur ces politiques d’accueil, et nous souhaiterions que d’autres collectivités locales prennent ce type d’initiative. Et ce, à un moment où nous craignons qu’à l’approche des élections municipales, il y ait une mise sous le tapis de la question de l’accueil des migrants, voire même la mise en place de politiques de rejet.
Quelle est la situation des réfugiés, aujourd’hui, en France ? Selon vos chiffres, à Paris par exemple, entre 15 et 20% des personnes vivant dans un campement auraient en fait déjà obtenu le statut de demandeur d’asile…
D’abord, au plan national, la situation des demandeurs d’asile est extrêmement critique : seulement un demandeur d’asile sur deux est aujourd’hui hébergé dans ce que l’on appelle le dispositif national d’accueil, c’est-à-dire le parc d’hébergement des Centres d’accueil des demandeurs d’asile (Cada) et des Hébergements d’urgence des demandeurs d’asile (Huda). Ces établissements sont prévus pour héberger et accompagner ces personnes dans leurs procédures.
Or, l’hébergement et l’accompagnement des demandeurs d’asile est une obligation de l’Etat dans le cadre des engagements internationaux pris par la France, ainsi que dans le cadre de la directive d’accueil au niveau européen, qui oblige les Etats membres à proposer des conditions d’accueil dignes. Pour un demandeur d’asile sur deux, ces conditions ne sont pas mises en oeuvre : leurs droits fondamentaux ne sont donc pas respectés.
Cela veut dire qu’il manque beaucoup de places d’hébergement. En 2018, il y avait 122 000 demandeurs d’asile enregistrés par l’Ofpra, et ce, pour un parc d’hébergement qui est d’environ 90 000 places [Les chiffres de l’Ofpra n’incluant pas les personnes en procédure Dublin, plus de 35 000 selon le Ministère de l’intérieur, censées être hébergées, comme l’explique la Cimade, jusqu’à ce qu’elles soient transférées dans l’Etat membre responsable, ndlr] Il y a donc un déficit de places d’accueil qui est très important, et c’est ce même déficit qui explique la reconstitution des campements indignes et des squats dans les grandes villes : Paris d’abord, où il y a entre 1000 et 1500 personnes qui vivent dans ces campements, mais aussi dans d’autres grandes villes, telles que Lyon, Nantes, la métropole bordelaise…
Cette problématique des campements et de l’augmentation du nombre de migrants à la rue touche donc toutes les grandes métropoles françaises, faute de places d’accueil. Enfin, outre cette situation dramatique, ce qui nous met en colère, c’est le fait que même les personnes qui obtiennent l’asile au terme de la procédure font aussi l’objet de remises à la rue.
Avec plusieurs associations, vous avez en effet publié le 13 juin un communiqué dénonçant des instructions de l’Etat “visant à remettre à la rue des ménages trois mois après l’obtention du statut de réfugié”. Idem, vous dénoncez une disposition de la loi Asile et Immigration qui prévoit que les demandeurs d’asile refusant une orientation, sans hébergement, dans une autre région perdront leur allocation de demandeur d’asile… De quoi s’agit-il exactement ?
Entre 15 et 20% des personnes qui vivent dans les campements parisiens, et qui sont ce que l’on appelle des réfugiés statutaires, se sont retrouvées à la rue après avoir obtenu la protection de la France. On assiste donc bien à un double discours du gouvernement, qui déclare que l’intégration des réfugiés est une priorité, mais qui, dans les faits, demande aux associations de remettre à la rue des personnes, lorsque les délais légaux d’occupation des centres d’hébergement sont dépassés. Tout cela est mis en oeuvre pour faire de la place. En attendant, ces personnes sont orientées vers le 115, or les centres d’accueil pour sans domicile fixe sont aujourd’hui totalement saturés. Elles se retrouvent donc en campement, ce qui est à la fois moralement inacceptable, et contraire au droit.
Concernant la disposition de la loi Asile et Immigration, celle-ci prévoit la possibilité pour l’Etat, afin de desserrer l’Ile-de-France – qui concentre aujourd’hui la moitié de la demande d’asile dans le pays -, d’orienter des personnes ou des familles en demande d’asile vers d’autres régions. Et ce, sans qu’il n’y ait de garantie d’hébergement à l’arrivée.
C’est évidemment une disposition tout à fait catastrophique, que nous avions contestée au moment de l’examen du projet de loi, en proposant un amendement qui obligeait l’État à proposer une solution d’hébergement au terme de l’orientation directive. Cet amendement n’a pas été accepté par le gouvernement. On se retrouve dans une situation ubuesque, où des personnes, des familles, peuvent être orientées en région, sans solution d’hébergement, et effectivement en cas de refus, en risquant de perdre leur droit à l’hébergement et l’allocation de demandeur d’asile (ADA).
Le résultat de tout cela – à la fois le manque d’hébergement, la remise à la rue des réfugiés, l’orientation directive des personnes en région sera l ’augmentation tout à fait critique du nombre de personnes en campement, et, au final, du nombre de personnes sans domicile fixe. A Paris par exemple, le comptage effectué en février montrait qu’en 2019 il y avait 3622 personnes sans-abri, contre 3035 en 2018.
Ceci est très largement dû au manque de places d’accueil pour les personnes migrantes, qui alimente par ailleurs le sans-abrisme et la grande pauvreté en France. En fait, tout est fait pour dissuader les exilés de demander l’asile en France. Pour dissuader la demande d’asile, on dégrade les modalités d’accueil, et on fait en sorte que les personnes soient mal accueillies. Ce qui a évidemment des conséquences sociales et sanitaires désastreuses.
Qu’attendez-vous de l’Etat ?
Notre priorité est d’obtenir d’ici la fin du quinquennat un plan massif de création de places, et ce, en Cada et en Huda. Nous estimons qu’il manque 40 000 places pour sortir de cette crise de l’accueil. Cela permettrait seulement d’appliquer la loi, à savoir permettre à tout demandeur d’asile d’obtenir un hébergement et un accompagnement.
Les associations de solidarité vont continuer à mettre la pression sur ce sujet : compte tenu du grand nombre de personnes en situation d’errance faute de moyens affectés à l’accueil par l’Etat, nous craignons une crise humanitaire dans plusieurs grandes villes, et ce, dès cet été. Encore une fois, l’accueil digne des demandeurs d’asile n’est pas une compétence facultative : c’est une obligation des Etats depuis la convention de Genève en 1951.
Propos recueillis par Amélie Quentel