EXCISION - Chrystelle est en dernière année de médecine. Neuf ans d’études et pas une seule fois en cours elle n’a entendu parler de mutilations sexuelles féminines. C’est pour cela qu’elle est là, ce jeudi 20 juin, assise sur les bancs d’une formation organisée par la Maison des femmes de Saint-Denis. Elle vient apprendre ce qui n’est pas au programme de son cursus et concerne pourtant près de 60.000 femmes en France, selon le gouvernement.
La structure, au sein de l’hôpital Delafontaine, est à la pointe de la prise en charge des femmes excisées. La ministre de l’égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa a choisi ce lieu pour annoncer, ce vendredi 21 juin, un plan national de lutte contre les mutilations sexuelles féminines.
Nous avons franchi ses portes pour comprendre les réalités de l’excision aujourd’hui en France.
À la maternité, une femme sur 10 est excisée
L’excision n’est pas une pratique lointaine ou révolue. Il suffit de regarder les statistiques de l’hôpital Delafontaine. Les chiffres font froid dans le dos. Ici, maintenant, environ 15% des jeunes mères qui accouchent à la maternité sont excisées, selon un audit de l’hôpital.
L’excision consiste en l’ablation partielle des organes génitaux d’une femme. Une intervention extrêmement douloureuse, parfois mortelle, qui laisse des séquelles à vie. L’opération n’est pas toujours précise mais la cible, ce qui doit disparaître, c’est le clitoris. En tous cas, la partie visible de cet organe principalement interne et uniquement dédié au plaisir sexuel.
Elle se pratique -ou s’est pratiquée- à toutes les époques et partout dans le monde avec les justifications les plus absurdes. La Bible, l’hygiène, le Coran... “Au 19e siècle, en France, des médecins la prescrivaient contre ‘l’hystérie féminine’”, explique Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de la Maison des femmes. Au fond, il y a toujours cette même idée du clitoris dangereux.”
Les victimes sont ici, les bourreaux ailleurs
En France, l’excision est un crime puni d’une peine allant jusqu’à 20 ans d’emprisonnement. Mais les procès sont rares. Car, si les victimes défilent par dizaines dans le bureau de Ghada Hatem, leurs bourreaux, eux, sont loin de la Seine-Saint-Denis.
Dans ses consultations, la gynécologue entend parfois des confidences, des rumeurs, un quartier quelque part où il y aurait encore une exciseuse en exercice, “mais c’est marginal”, estime-t-elle. La majorité des Françaises excisées ne l’ont pas été en France mais avant d’y arriver, dans le cas des immigrantes, ou lors de vacances lorsqu’elles étaient enfant, dans leurs pays d’origine. L’excision est encore courante dans certains pays d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Amérique du Sud et du Sud-Est asiatique.
Le premier casse-tête de la Maison des femmes est là: comment lutter contre un crime qui se commet ailleurs ?
“Si on a des soupçons, on peut demander une interdiction de sortie du territoire. Les centres de PMI (la Protection maternelle et infantile) procèdent à des examens avant et après des vacances à risque en prévenant les parents des peines encourues”, détaille Ghada Hatem. Mais la clé, sans surprise, c’est la prévention: “Parler, parler, parler!”, répète la gynécologue qui intervient souvent dans les établissements scolaires.
Même les conseils système D sont bons à prendre. Lors de la formation à laquelle assiste Chrystelle, la future médecin, elle livre par exemple cette astuce: “Une cuillère dans la culotte, à l’aéroport, ça sonne. Si une petite fille se sent en danger, elle peut faire ça pour éviter de prendre l’avion. La sécurité va la mettre à l’écart pour la fouiller et à ce moment là, elle peut expliquer pourquoi elle ne veut pas partir.”
Le diagnostic de l’excision n’est pas si simple
On imagine l’excision comme une amputation flagrante, une blessure à vif. Ça l’est parfois. “Mais il y a plein de femmes pour qui ce n’est pas si clair”, souligne la gynécologue en faisant défiler des photos. Certaines sont insoutenables. D’autres montrent des sexes qui semblent ordinaires. “Il y a de plus en plus de ‘micro excisions’, décrit-elle. Il y a aussi des malformations congénitales qui ressemblent à des excisions. C’est une priorité de bien former les médecins car c’est un diagnostic lourd”. Un certificat d’excision, c’est la prison pour les parents.
Il faut aussi pouvoir identifier le type d’excision dont la femme a été victime, selon une classification de l’OMS. Type 1: la partie externe du clitoris a été coupée. Type 2: l’ablation concerne aussi les petites lèvres. Type 3: suture des lèvres de la vulve ne laissant qu’une petite ouverture pour l’urine et les règles, appelée l’infibulation. En fonction de l’intervention subie, les conséquences pour la femme sont différentes. Les traitements aussi.
Un imbroglio de symptômes
L’excision a des conséquences physiques. Elles sont extrêmes en cas d’infibulation, la suture des lèvres. Dans les autres cas, les médecins ont observé plusieurs symptômes physiques plus ou moins prononcés: douleurs pendant les règles et les rapports sexuels, infections urinaires répétées, déchirures particulières pendant l’accouchement, frottis plus douloureux...
Il y a aussi des impacts psychologiques, comme un syndrome de stress post-traumatique. Quasiment chez toutes, la sexualité est une épreuve. “Le clitoris est un organe qui ressemble par sa forme et sa taille au pénis. Après une excision, l’équivalent du ‘gland’ chez l’homme n’existe plus, explique Ghada Hatem. Il reste encore 80% du clitoris, c’est important de le dire, il est toujours fonctionnel. Mais ces 80% sont internes, moins accessibles, et avec l’excision, l’organe se rétracte et se colle contre l’os pubien, il est plus épais, plus fibreux. Les sensations ne sont pas inaccessibles mais très difficiles à obtenir.” Bref, c’est une véritable bataille pour entrer en contact avec ce clitoris meurtri, caché, qui n’était pas même représenté dans les manuels scolaires de SVT il y a encore deux ans.
La réparation clitoridienne n’est pas LA solution
L’hôpital Delafontaine dispose d’une unité spécialisée dans la réparation des mutilations sexuelles. Ghada Hatem y opère une centaine de femmes chaque année depuis sa création en 2013. La reconstruction chirurgicale du clitoris peut changer la vie. Mais pour “réparer” ses femmes, il ne suffit pas d’un seul coup de bistouri. L'opération ne permet pas toujours la reconquête de sa sexualité. Les douleurs n’ont pas toujours à voir avec l’excision. La “reconstruction” doit aussi être psychologique et sexologique.
C’est la particularité de la Maison des femmes: une prise en charge gratuite et globale. Elle travaille sur l’égalité hommes/femmes. “Si on ne dit pas non, on ne peut pas dire oui. Sans oui, il n’y pas de plaisir”, répète Arnaud Sevène, le sexologue de la Maison.
Il faut parler de droits, par exemple le droit à son intégrité physique, car parfois l’excision est perçue comme “normale”. Reconstruire la confiance, car cette mutilation peut être ressentie comme une trahison. “Elle est pratiquée en famille, par des femmes contre des femmes. Comment se faire confiance alors, faire confiance à quelqu’un, comment faire l’amour sans cette confiance, même avec un clitoris tout neuf sorti de la table opératoire. “Et un orgasme ? C’est quoi?”, lui a répondu une patiente. Son travail est de reconstruire la sexualité des femmes excisées avec les mots et de nouvelles images.
C’est souvent une sexologie de guerre. La lame qui a tranché le clitoris de ses patientes n’est qu’une arme parmi d’autres qui a ravagé leurs corps. “Questionner sur le partenaire, c’est régulièrement tomber sur un mariage forcé, un mariage précoce, des viols conjugaux répétés”, décrit-il. “Il y aussi le parcours d’exil qu’il faut interroger. Souvent, les migrantes sont passées par la Libye, elles y ont été emprisonnées et quasiment systématiquement violées. Une fois en Europe, elles doivent survivre sans papier. Je pose toujours la question des conditions de leurs relations sexuelles, c’est-à-dire de la prostitution.”
Et parfois, devant ces parcours si cabossés, il se pose cette question à lui-même: l’accès au plaisir n’est-il pas la dernière des priorités? Sa réponse est un joli non. “C’est une résilience, le plaisir est une belle manière de se reconstruire”.
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