FOOTBALLMalgré Marta et la Seleção, le foot reste «un espace masculin» au Brésil

Coupe du monde féminine: Interdit aux femmes jusqu'en 1983, le foot reste «un espace masculin» au Brésil

FOOTBALLSi la Seleção est au centre des attentions pendant la Coupe du monde, les femmes sont encore délaissées par la plupart des clubs professionnels
Marta et Thaisa célèbrent un but pendant la Coupe du monde
Marta et Thaisa célèbrent un but pendant la Coupe du monde - CHRISTOPHE SAIDI/SIPA
William Pereira

William Pereira

Le compte Twitter de Jair Bolsonaro, c’est un peu le marché aux puces de Saint-Ouen : on y trouve tout et n’importe quoi. Du lobbying pour les armes, une déclaration d’amour pour l’armée, un zeste de misogynie, une photo aux côtés de Ronaldinho… Par contre, quand il s’agit d’avoir un mot sympa pour l’équipe féminine qui joue la Coupe du monde en France, il n’y a plus grand monde. « Je n’ai vu aucun encouragement de Bolsonaro pour la Seleção féminine, confirme Marcel Diego Tonini, chercheur brésilien en sociologie spécialisé dans le football. Il est allé voir le match des hommes [un amical contre la Bolivie avant la Copa América] mais c’est tout. Pour les filles, rien. »

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A défaut d’avoir la bénédiction du chef d’État, la bande à Marta peut toujours se consoler en se disant que le peuple suit plus que jamais ses aventures. Pour la première fois de l’histoire, la première chaîne nationale (TV Globo) retransmet les matchs du Mondial féminin avec un certain succès. Ils étaient ainsi 20 millions devant Brésil-Jamaïque, avec un pic à 30 millions de téléspectateurs. L’engouement est sincère : comme pendant la Coupe du monde des garçons, certaines entreprises accordent une demi-journée à leurs salariés ou les autorisent à mater les matchs à la télé au boulot. Et pour ce qui est de la couverture médiatique globale, elle atteint également des sommets à en croire l’attachée de presse de la Seleção, Laura Zago, citée par L’Équipe.

« On n’a jamais eu autant de médias au quotidien. Le football féminin est en train de prendre une autre dimension. » « Mais on remarque la différence de traitement entre les deux sélections, surtout en période de Copa (América). Les gens font plus attention à l’équipe masculine », tempère Tonini. « Les gens qui suivent les filles sont principalement les progressistes ancrés à gauche. »

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C’est à peu près tout pour la partie optimiste. Le reste, c’est un pays où la meilleure joueuse de l’histoire de son sport (Marta) ne touche pas 1 % du salaire de Neymar, où on ne peut pas voir de football à la télé en dehors de la Coupe du monde et où il faut se battre tout une vie pour en arriver à poser un pied sur le ballon quand on n’est pas un petit garçon. Le sociologue poursuit : « au Brésil, le terrain de football est considéré comme un espace masculin. Dans les écoles, c’est considéré comme un jeu de garçons. Il suffit de regarder les cours d’EPS, les profs donnent un ballon aux garçons et pendant ce temps, les filles font de la gym. »

42 ans d’interdiction de football pour les Brésiliennes

L’Histoire y est pour quelque chose. Un décret-loi du 14 avril 1941, a interdit aux femmes la pratique de sports dits masculins – dont le football – pendant 42 ans. Et en Chine, pendant la première Coupe du monde (1991), les joueuses de la Seleção pouvaient certes faire usage de leurs pieds, mais on les empêchait de parler, raconte Fanta, ancienne internationale brésilienne, sur le plateau de TV Globo : « en réalité, je pouvais parler. Mais si je faisais ça, je pouvais être sûre que je ne serais pas convoquée pour le match suivant. » Autant de raisons qui expliquent le retard pris par le pays du football sur les nations nordiques chez les filles, fossé que les instances sud-américaines essayent aujourd’hui de combler en mettant les clubs professionnels à contribution.

En 2017, la fédération brésilienne (CBF) a annoncé qu’elle appliquerait dès 2019 et de manière stricte un règlement de la Conmebol (l’équivalent sud-américain de l’UEFA) obligeant les clubs désireux de disputer la Copa Libertadores de se prévaloir d’une équipe féminine. Dans le cas contraire, c’est la mise au ban pure et simple. Marta comprend la mesure de la fédération mais « aurait préféré que ce ne soit pas une obligation mais plutôt une volonté propre des clubs », comme à Corinthians ou Santos, deux références du foot féminin brésilien.

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Au total, et malgré l’entrée en vigueur de l’obligation cette année, seuls sept clubs de Serie A ont une équipe féminine adulte dotée d’une structure pro. Les autres semblent privilégier l’option d’un partenariat pour ne pas avoir à investir. Marco Aurélio Cunha, directeur du football féminin à la CBF, estime pourtant à seulement 5 % du budget total l’établissement d’une structure féminine décente. « Si les dirigeants des clubs masculins ne se trompaient pas sur deux transferts par an, ça leur permettrait de se payer une équipe technique de bon niveau dans le football féminin ».

La première sélectionneuse virée au bout de dix mois

Si la CBF monte sur ses grands chevaux pour défendre sa réforme, elle a été moins conciliante avec la première et seule sélectionneuse de l’histoire de la Seleção, Emily Silva. L’actuelle coach de Santos a été virée en 2017 après dix mois en poste pour des défaites en amical contre l’Australie et les Etats-Unis. Dans une interview accordée à TV Globo, elle dit être convaincue d’avoir été remerciée aussi vite parce que c’est une femme.

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« Quand j’ai été licenciée, je me posais la question, mais maintenant j’en suis sûre. Parce que mon bilan, c’était sept victoires, cinq défaites et un match nul. Après moi, il y a eu dix victoires et neuf défaites. » Sous-entendu : son successeur (et aussi prédécesseur) Vadão est toujours en poste alors qu’il fait moins bien. Mais pour le moment, ses joueuses sont toujours en vie en France, avant d’affronter les Bleues. Pas de quoi enthousiasmer Diego Marcel Tonini : « si on perd contre la France, ce qui est très probable, les gens oublieront vite Marta et la Seleção jusqu’à la prochaine compétition ». Le pays du football donc, mais pas encore pour les femmes.

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