Paris : face à la hausse de la délinquance, les habitants se sentent abandonnés

Drogue, violence, insécurité, trafics : les secteurs populaires du XVIIIe arrondissement crient leur souffrance. La Ville demande des renforts policiers.

 Le trafic de cigarettes, notamment rue Marx-Dormoy dans le quartier de la Chapelle, les vendeurs à la sauvette, la présence de dealeurs sont le quotidien des habitants qui n’en peuvent plus.
Le trafic de cigarettes, notamment rue Marx-Dormoy dans le quartier de la Chapelle, les vendeurs à la sauvette, la présence de dealeurs sont le quotidien des habitants qui n’en peuvent plus. LP/DR

    La Goutte-d'Or (XVIII e ), la violence, la drogue, les commerces qui ferment. Château-Rouge, ses éternels vendeurs à la sauvette, la porte de la Chapelle, sa colline du crack, maintes fois évacuée, et toujours présente. La place de la Chapelle et le quartier Pajol, qui attendent désespérément les renforts policiers promis depuis de longs mois.

    Un quartier devenu un enfer

    Dans ce quartier populaire où se relaient sans relâche, depuis quelques semaines, les candidats aux municipales, Emmanuel Grégoire, le premier adjoint de la maire, Anne Hidalgo a martelé que « les feux de l'enfer » s'abattraient sur ceux qui y commettent des actes délictueux. Les habitants, eux, attendent.

    C'est ainsi que le 18 juin, alors que se tenait à la mairie d'arrondissement une réunion publique destinée à rendre compte des actions menées dans le cadre de la politique de la ville, l'ambiance est rapidement devenue électrique. « J'habite au 112, boulevard de La Chapelle. Depuis 42 ans dans le même immeuble, et depuis six mois, nous trouvons sous nos paillassons des pilules de médicaments. Des jeunes viennent les récupérer . Je commence à avoir peur », s'est exclamée une habitante, les mains en porte-voix.

    Des riverains à bout de nerfs

    Dans la salle, les témoignages se succèdent. Le malaise est si perceptible, que Colombe Brossel, l'ajointe à la Sécurité d'Anne Hidalgo, s'est fendue dès le lendemain d'une lettre ouverte au ministre de l'Intérieur Christophe Castaner. « Une jeune femme avec un tout petit bébé m'a dit droit dans les yeux : Quand je sors du métro, il y a 200 m à faire, et je suis harcelée. Je ne veux pas voir grandir mon enfant dans cet environnement », retrace Colombe Brossel.

    Prostitution, rodéos et ambiance pesante

    Avant de citer cette autre habitante : « Pourquoi ma fille adolescente est obligée de mettre un gilet même en été, pour ne pas se faire insulter par les vendeurs à la sauvette ». Puis une troisième : « Mes voisins et moi sommes à bout. En bas de chez nous, il y a jeux d'argent, prostitution, rodéos, deal. Ça va mal finir ».

    Les commerces ferment

    Dans les rues, mêmes échos. Alors qu'à la Goutte-d'Or, minée par la drogue et la violence des bandes, particulièrement depuis l'arrivée d'adolescents marocains en errance, tous expriment leur épuisement. Les commerces commencent à mettre la clé sous la porte. Institution depuis les années 1970, le café-restaurant A la Goutte d'Or a tiré le rideau. Comme son ami Samir Lebcher, le kiosquier de Barbès, victime d'une agression par un pickpocket, Karim Drif est parti au début du mois de juin… Laissant une affaire qui avait appartenu à sa grand-mère : « ce restaurant, c'était ma vie, mon histoire… Mais je suis usé. »

    Des visites du préfet de police

    A quelques encablures de là, en plein cœur de la Zone de sécurité prioritaire (ZSP) 10-18, place de la Chapelle, devenu le territoire des vendeurs de cigarette à la sauvette et de toutes les violences et incivilités, Philippe Girault, président de Sos La Chapelle fait, lui aussi, d'amers constats : « On nous a inlassablement répété que l'insécurité dénoncée n'était qu'un ressenti. Et, finalement, depuis deux semaines, après plusieurs visites du préfet de police Didier Lallement, un dispositif policier considérable, très visible, a été installé rues Marx-Dormoy, de Jessaint et Pajol. Mais toujours pas les effectifs prévus dans ce Quartier reconquête républicaine! Alors, certes, les sauvettes se sont volatilisées… Mais pour aller quelques mètres plus loin ».

    Une dégradation depuis 2015

    Où se mêlent aux toxicomanes qui ont transité par la colline du crack. Anne * qui vit depuis les années 1990 dans le quartier, ne peut que le constater. La sexagénaire, parle de « mendicité agressive des crackers », de « vols à la tire », sur l'esplanade Nathalie-Sarraute. « Des commerçants sont agressés, le jardin Rosa-Luxembourg, dégradé, abrite tous les trafics… Il y a même eu des rodéos à scooter dans le parc. Et pas un policier à l'horizon… Je crois de moins en moins à l'argument des Gilets jaunes qui les mobiliseraient à ce point ! Quand je suis arrivée, regrette-t-elle, il y avait une ambiance de village. Le quartier s'était bien amélioré avec de belles réhabilitations. Tout a basculé en 2015. »

    * Le prénom a été modifié

    UNE EXPLOSION DE LA DÉLINQUANCE DANS LA CAPITALE

    Selon un décompte de la mairie de Paris, les chiffres de la délinquance ont explosé ces derniers mois. + 68 % des vols à la tire depuis le début de l'année dans le métro parisien, + 71 % des agressions sexuelles en novembre 2018 dans le métro parisien, + 13,5 % des atteintes volontaires, + 8,5 % des recels, + 8 % des violences faites aux femmes, + 18 % des violences intrafamiliales, + 16 % des cambriolages entre 2017 et 2018 dans 19 des 20 arrondissements parisiens, les atteintes aux biens passent de 5,8 % en 2018 à 15 % en 2019, + 37,6 % de vols à la tire et + 7,4 % des vols par effraction, + 12,8 % des affaires de trafics de stupéfiants entre 2017 et 2018.