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Quand le cerveau revit après la mort

Une expérience américaine réalisée sur des cerveaux de cochons décapités a livré des résultats étonnants. La mort n'est pas un phénomène aussi rapide ni aussi synchrone qu'on le pensait. La question des dons d'organes risque de s'en trouver affectée.

Grâce à une machine appelée BrainEx, des expérimentateurs de l'université de Yale ont pu rétablir l'arrivée et la circulation d'oxygène dans un cerveau de cochon mort.
Grâce à une machine appelée BrainEx, des expérimentateurs de l'université de Yale ont pu rétablir l'arrivée et la circulation d'oxygène dans un cerveau de cochon mort. (Shutterstock)

Par Yann Verdo

Publié le 22 juin 2019 à 14:00

Si la mort est vieille comme le monde, la thanatologie, science qui lui est dédiée, n'en est encore qu'à ses balbutiements. Et ceux-ci sont macabres souvent, terrifiants parfois, mais fascinants toujours. L'étude parue dans la célèbre revue « Nature » le 17 avril dernier sous le titre « Restauration de la circulation sanguine et des fonctions cellulaires du cerveau plusieurs heures après la mort » est dans cette veine : macabre, terrifiante et fascinante.

Imaginez plutôt : une équipe de scientifiques américains emmenée par un certain Nenad Sestan, de l'université de Yale, se rend dans un abattoir de New Haven, dans le Connecticut, pour y récupérer les têtes d'une trentaine de jeunes cochons âgés de 6 à 8 mois et fraîchement décapités. Ils rapportent les trente têtes dans leur laboratoire et là, plusieurs heures après le dernier couinement, les « raccordent » à une machine de leur invention ressemblant grosso modo à un appareil de dialyse. Et que constatent-ils ? Que les cerveaux des malheureux cochons se sont remis - partiellement - à fonctionner !

On pourrait croire à de la (mauvaise) science-fiction, mais ce n'en est pas. La machine en question s'appelle BrainEx et elle permet de rétablir l'arrivée et la circulation d'oxygène dans un cerveau mort. Une fonction éminemment vitale, puisque l'oxygène permet aux mitochondries, ces centrales à énergie de nos cellules, de « brûler » la matière organique pour produire de l'énergie sous forme d'adénosine triphosphate (ATP) - un corps humain consomme et régénère chaque jour l'équivalent de son propre poids en ATP.

Au moment de la mort, la cessation de l'alimentation en oxygène - un phénomène appelé anoxie - prive les cellules de leur source en énergie. Telles des piles arrivées au bout de leur réserve, elles cessent de fonctionner et meurent. Les cellules nerveuses de notre cerveau ne font pas exception, elles qui utilisent notamment cette énergie pour maintenir leur « potentiel de membrane », cette différence de potentiel électrique née de la présence d'ions (des atomes électriquement chargés) sur les faces interne et externe de leur enveloppe protectrice.

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« La 'vie', pour une cellule excitable comme un neurone, réside tout entière dans sa capacité à répartir différentiellement ces ions de potassium ou de sodium de part et d'autre de sa membrane, pour maintenir cette différence de potentiel électrique qui lui permet de communiquer avec les autres cellules de son espèce », explique Pierre-Marie Lledo, chercheur en neurosciences à l'Institut Pasteur et au CNRS.

Activité locale

Tout dépend donc in fine, dans le cerveau comme dans les autres organes de l'organisme, de l'alimentation en oxygène. Et le rôle de BrainEx consiste bien à prendre le relais du système sanguin après l'anoxie. Pour ce faire, la machine injecte dans les cerveaux des cochons décapités un substitut sanguin, à la température de 37°C. L'expérience ne visait aucunement à « ressusciter » un cerveau mort, objectif parfaitement inatteignable en l'état actuel de l'art (et qui le restera peut-être toujours). Mais les résultats obtenus n'en sont pas moins spectaculaires.

Les chercheurs de Yale ont en effet pu constater que, au bout de quatre heures d'anoxie - le laps de temps écoulé entre la décapitation des cochons et la re-irrigation de leur cerveau par ce système de perfusion de sang artificiel -, le système vasculaire cérébral s'est remis à pulser normalement. Parallèlement, l'imagerie cérébrale a montré que certains circuits neuronaux se remettaient à fonctionner, même si cette activité électrique est restée cantonnée à un niveau local.

A l'échelle cellulaire aussi, beaucoup des fonctions que l'on pensait incompatibles avec la mort ont pu être récupérées grâce au système de réoxygénation : celui-ci a non seulement permis d'éviter en grande partie le processus de mort programmée connu sous le nom d'apoptose (lire ci-contre) mais aussi de diminuer très fortement les réponses inflammatoires dues au dérèglement du système immunitaire. Dans les circuits neuronaux qui se sont remis en route, les neurones sont redevenus normalement excitables et ont recommencé de communiquer activement avec leur entourage…

Autant de résultats jugés impressionnants par les neuroscientifiques. « Qu'une seule de ces différentes fonctions ait pu être recouvrée est déjà extrêmement étonnant. Alors, cinq à la fois… », s'exclame Pierre-Marie Lledo, qui estime que les comités d'éthique impliqués dans cette expérience n'auraient peut-être pas donné leur aval à cette expérience s'ils en avaient connu les résultats à l'avance.

Comme indiqué plus haut, les cerveaux des pauvres cochons n'ont pas ressuscité pour autant. L'électroencéphalogramme est resté plat, signe de l'absence de toute forme d'éveil ou de conscience. La seule activité électrique enregistrée était locale, non globale.

Cette nuance peut déconcerter les non-spécialistes. Mais il faut savoir que, dans le cerveau, tous les neurones ne sont pas égaux quant à leur fragilité face à un même stress. Qu'il s'agisse de ceux du système reptilien ou du système limbique, les neurones du cerveau profond, situés sous le cortex, sont tout à la fois les plus archaïques - nous les partageons avec les reptiles - et les plus résistants, parce que les moins gloutons en énergie. Privés d'oxygène, ils peuvent réduire leur métabolisme et résister plus longtemps. Ce sont d'ailleurs eux qui ont repris du poil de la bête - si l'on peut dire - dans l'expérience de Yale. A l'inverse, les interneurones, qui sont l'apanage des mammifères et servent à interconnecter des zones éloignées du cerveau, sont beaucoup plus énergivores et ce sont aussi les premiers à flancher en cas de privation… Or, sans ces neurones plus évolués, situés dans le cortex, il n'est pas de conscience possible.

« Il n'en reste pas moins que cette expérience, et le recouvrement d'une activité électrique locale qu'elle a mis en lumière, devrait nous amener à redéfinir la mort, comme cela a déjà été fait par le passé », estime Pierre-Marie Lledo. Jusqu'en 1968, en effet, un individu était déclaré mort quand il ne respirait plus et que son coeur ne battait plus ; mais les progrès des respirateurs artificiels et de la réanimation cardiaque ont conduit à repréciser le moment de la mort : aujourd'hui, c'est l'état du cerveau qui sert d'ultime critère légal du décès. « Des processus que l'on pensait irréversibles ont pu être 'réversés', poursuit le chercheur de l'Institut Pasteur. Il apparaît que la mort n'est pas un phénomène aussi rapide ni aussi synchrone qu'on le pensait. Tout ne meurt pas en même temps dans un organisme, ni même dans le seul cerveau. Cela soulève forcément des questions d'ordre éthique et juridique. »

Bienfaits et méfaits d'une expérience

Pour la médecine, l'expérience choc de Nenad Sestan a ses bons et ses mauvais côtés. Pour les bons, il est clair qu'elle ouvre d'intéressantes perspectives aux urgentistes se débattant pour maintenir une personne en vie après un AVC. Encore faudra-t-il que la machine BrainEx, utilisée sur des cochons (et, qui plus est, sur de jeunes cochons) soit améliorée pour pouvoir être testée sur des primates non humains, avant de pouvoir envisager toute expérimentation sur l'homme et, a fortiori, son utilisation de routine en clinique.

Plus problématique sont ses conséquences possibles sur les dons d'organes. Ceux-ci étant prélevés sur des personnes en état de mort cérébrale, que va-t-il se passer maintenant que l'on sait que cette mort cérébrale n'est peut-être pas aussi « irréversible », ni surtout aussi complète, qu'on le pensait jusqu'à présent ? « Il se trouvera forcément des associations pour arguer de cette expérience devant les tribunaux », commente Pierre-Marie Lledo, de l'Institut Pasteur. A l'heure du retour au premier plan de l'affaire Vincent Lambert et du prochain passage devant le Parlement de la loi de bioéthique, le sujet est particulièrement sensible.

La thanatologie, science naissante

1800 : Dans « Recherches physiologiques sur la vie et la mort », le médecin et anatomo-pathologiste français Xavier Bichat définit la vie comme « l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort ». Mais qu'est-ce que la mort ?

1903 : Le bactériologiste et immunologiste russe Ilya Ilitch Metchnikov (prix Nobel de médecine 1908) propose la naissance d'un nouveau domaine de recherche : la thanatologie, ou étude de la mort.

1972 : En observant des tissus par microscopie électronique, les pathologistes John Kerr, Andrew Wyllie et Alastair Currie découvrent le mécanisme de l'apoptose, ou mort programmée des cellules.

2002 : Les biologistes Sydney Brenner, Robert Horvitz et John Sulston se partagent le prix Nobel pour avoir identifié les gènes contrôlant l'apoptose.

2018 : Une étude conduite par Jens Dreier, professeur de neurologie à l'université La Charité de Berlin, et parue dans les « Annals of Neurology », permet pour la première fois de visualiser la « vague de dépolarisation » qui embrase le cerveau d'un mourant au moment fatidique.

Yann Verdo 

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