Photo : Alexa Vachon
Photo : Alexa Vachon

A Berlin, des femmes réfugiées venues d’Albanie, de Syrie, d’Afghanistan, de Somalie ou encore d’Iran ont trouvé dans le football une manière de faire de nouvelles rencontres et d’évacuer le stress du quotidien.

L’équipe a vu le jour en 2013 sous l’impulsion de "Champions ohne Grenzen", une association qui porte des projets d’intégration autour du football. Selon l’entraîneuse Carmen, il s’agit de la seule formation de football uniquement composée de femmes réfugiées en Allemagne. 

Hava, a 19 ans et a été l’une des premières à rejoindre l’équipe. Elle a fui le Kosovo en 2014. "Jouer au foot vous fait vous sentir libre, dit-elle. Peu importe que vous soyez heureux ou triste. Vous allez sur le terrain et vous jouez. Cela fait partir le stress."

Hava se rend deux par semaine à l’entraînement. Pour le moment, elle vit dans une centre d’hébergement pour les jeunes, parce que ses parents ont été expulsés deux ans après l’arrivée de la famille en Allemagne. Elle s’est ainsi retrouvée seule à Berlin. Hava a entendu parler de l’équipe pour la première fois quand l’entraîneuse s’est rendue dans son centre d’hébergement en 2015. La jeune femme se souvient qu’elle était très nerveuse pour son premier entraînement. "Je pensais que ce serait vraiment dur, que peut-être je n’y arriverais pas et que les autres seraient des joueuses professionnelles. J’avais un peu peur et des doutes, mais elles ont été tellement sympas et gentilles avec moi que je me suis immédiatement senti dans mon élément. Cela a été une famille pour moi dès le premier jour."

Photo : Alexa VachonC’est en jouant au foot que Hava a rencontré Hadisa. Elle aussi vit seule à Berlin. Hadisa est née en Iran ou ses parents d’origine afghane vivent en tant que réfugiés. Contrairement à Hava, Hadisa ne s’intéressait pas au football avant de venir en Allemagne. Elle se souvient qu’en Iran elle tentait de changer de chaîne quand son père regardait un match à la télévision.

A Berlin, son petit-ami, également footballeur, a réussi à la convaincre de venir à un entrainement. "Quand j’y suis allée avec mon copain, j’ai été, disons, surprise, de voir des femmes avec des foulards, d’autres sans, certaines portaient un foulard et un pantalon, d’autres des shorts et des petits hauts." Lors de sa première séance d’entraînement il y a presque trois ans, elle ne savait quasiment pas taper dans le ballon. Cela n’avait empêché Hadisa d’y retourner la semaine suivante.

Jouer au foot vous fait vous sentir libre. Peu importe que vous soyez heureux ou triste. Vous allez sur le terrain et vous jouez. Cela fait partir le stress.
 _ Hava, réfugiée à Berlin

La pression du quotidien

La plupart des joueuses ont entendu parler de l’équipe par bouche à oreille. Mais ce n’est pas évident de trouver de nouvelles recrues. Carmen fait partie des entraîneuses et estime qu’il n’est pas seulement intimidant pour un adulte de démarrer une nouvelle activité sportive, d’autant plus pour ces femmes réfugiées qui n’ont pas la vie facile. 

"Il y a des préjugés chez les femmes que l’on a tenté de motiver ou d’inviter à un entraînement, explique Carmen. Certaines disent : 'je fais déjà du sport tout la journée parce je dois courir derrière mon enfant et toutes les obligations qu’il me faut remplir. Je dois aller aux cours de langue, ensuite il faut aller voir les services administratifs.'

Tous ne peuvent pas assister à tous les entraînements chaque semaine. Mais avec les années, Carmen a vu naître une réelle équipe. Elle se souvient avec fierté de la première dispute qui a éclaté sur le terrain, la preuve selon Carmen que les joueuses ont fini par être réellement impliquées dans la vie et les enjeux de l’équipe.

Sortir de chez soi

En se rapprochant, les joueuses se sont également confrontées à la vie des autres. Déracinement, séparations et la galère administrative que représente le système d’asile font partie des pressions que les unes et les autres ont à surmonter.

L’une des footballeuses est venue à l’entraînement à peine quelques semaines après être arrivée en Allemagne. Au même moment, elle commençait à prendre des cours d’allemand. Mais un an plus tard, elle refusait toujours encore de répondre à de simples questions comme "comment ça va ?". C’est seulement lorsqu’elle a reçu son autorisation de séjour pour trois ans en Allemagne qu’elle a commencé à s’ouvrir aux autres. "Nous étions tous submergés par l’émotion", raconte Carmen. "Nous avions vraiment fini par croire qu’elle ne savait pas parler un seul mot d’allemand, puis d’une séance d’entraînement à l’autre elle a commencé à parler. Cela montre à quel point la plupart de ces femmes sont sous pression, et certaines continuent à l’être parce qu’elle n’ont toujours pas reçues leur autorisation de séjour."

Après des problèmes familiaux et des mauvaises nouvelles d’Iran, Hadisa s’est sentie mal pendant plusieurs mois et n’était pas d’humeur de sortir de chez elle ou de se rendre à l’entraînement. Mais c’est finalement en retournant à l’entraînement qu’elle a vraiment réalisée l’importance que le football joue désormais dans sa vie. 

"Ce mois-ci, je suis allée régulièrement aux entraînements, assure Hadisa. Finalement, quand je suis fatiguée et ne me sens pas bien, je vais à l’entraînement, on s’amuse et c’est cool. Je retrouve alors de l’énergie et me dis 'Tu sais quoi, mes problèmes c’est pour plus tard. Le moment présent m’appartient, il est juste pour moi.'"

Lutter contre les préjudices

A l’avenir, Carmen souhaiterait voir son équipe jouer plus souvent en compétition et éventuellement l’inscrire comme équipe officielle. Pour Hadisa et Hava, les plus beaux moments ont été des déplacements en dehors de Berlin pour aller se mesurer à d’autres équipes. Néanmoins, ce n’est pas toujours facile, admet Carmen. "Je pense que l’idée que le football est une langue universelle est un peu un mythe. Pendant notre déplacement lors du dernier tournoi en novembre, l’une de nos joueuses s’est fait cracher au visage quand nous étions à la gare. Ce genre de choses font également partie du quotidien de l’équipe. Nous devons faire face à des attaques misogynes, parfois homophobes, islamophobes, etc."

Parfois ce sont les mères qui emmènent leurs filles à l’entraînement, parfois l’inverse. L’équipe compte environ 25 joueuses, sans compter les familles et les amies qui viennent grossir les rangs lors de déplacements ou d’événements. L’équipe voudrait d’ailleurs organiser davantage d’activités avec l’ensemble de la communauté qui gravite autour d’elle.

Hava et Hadisa passent actuellement toutes les deux une formation pour devenir elles-même entraîneuses. Pour Hava, il s’agit de convaincre encore plus de femmes à venir, à sortir de leurs appartements et centres d’hébergement, à parler allemand, à gagner en confiance. "Je pense que le football m’a fait grandir et que cela a rendu mon coeur plus fort, assure-t-elle. J’ai aussi gagné en confiance. Les expériences que les autres femmes ont partagé avec moi m’ont aussi rendu plus forte. Avant je ne ressentais pas cela."


Auteure : Holly Young

Traduction : Marco Wolter

Première publication : 29 mai 2019

Source: dw.com

 

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