Écho de presse

1925 : la première révolte massive du peuple kurde

le 27/05/2021 par Pierre Ancery
le 29/09/2017 par Pierre Ancery - modifié le 27/05/2021
Un groupe de cavaliers kurdes ; Les Annales politiques et littéraires, 1925 ; source RetroNews BnF

Menés par cheikh Saïd, 10 000 soldats kurdes se révoltent en février 1925 contre le dirigeant turc Mustapha Kemal. Le soulèvement sera durement réprimé.

Février 1925. À l'appel du prédicateur cheikh Saïd, le peuple kurde se soulève contre le pouvoir turc républicain de Mustapha Kemal (plus connu aujourd'hui sous le nom d'Atatürk), qui a aboli le califat et sommé cette minorité d'oublier sa culture et de se fondre dans la société. L'idée d'un État kurde, vaguement évoquée lors du traité de Sèvres en 1920, n'est en 1925 plus qu'un lointain souvenir. 

La presse française relate les événements. Le 27 février, Le Figaro écrit, dans un article intitulé « La révolte des Kurdes » :

« L'insurrection kurde se propage rapidement en Turquie. Partie du vilayet d'Arghana, elle se serait étendue à l'ouest, au vilayet de Mamouret-el-Aziz et, au sud, au village de Diarkébir. À la tête des révoltés, le cheik Saïd se serait même emparé de Kharpout. L'assemblée d'Angora s'inquiète, à juste titre. La Turquie actuelle compte assez d'éléments inflammables pour que l'incendie se développe. Dans le Kurdistan même, l'insurrection peut s'appuyer sur les revendications autonomistes de la population. »

 

Le journal explique les revendications du peuple kurde de Turquie, quelques années seulement après la campgne d'Arménie et le génocide qui en a découlé.

 

« Ils proclament le respect de la religion. Ils annoncent le rétablissement du calife et du califat. Ils comptent sans doute sur le concours de tous ceux qui se sont crus brimés par Mustapha Kemal. L'agonie de Constantinople, l'extension des épidémies, l'expulsion des Arméniens et des Grecs, ont soulevé d'âpres rancunes contre le gouvernement d'Angora. »

L'article évoque une possible implication des Anglais, ces derniers ayant des visées sur le pétrole de la région. Le 7 mars, L'Ouest-Éclair revient sur l'histoire du peuple kurde, présent depuis des millénaires, et insiste sur la dimension religieuse de leur révolte face au pouvoir kémaliste laïc.

 

« Les Kurdes sont un très vieux peuple, établi dans ses montagnes depuis des milliers d'années. On voit des Kurdes représentés sur les bas-reliefs assyriens. […] Ils sont d'assez mauvais musulmans, mais ils sont très attachés aux formes anciennes et aux traditions. La suppression du khalifat, les mesures prises contre le clergé musulman par les Turcs d'Angora, les ont choqués. Ils ne veulent pas être soumis à un gouvernement d'athées qui ont supprimé le Khalife, ombre de Dieu sur la terre. »

 

Les Annales politiques et littéraires du 12 avril donnent une lecture ethnique du conflit et rappellent que le dépeçage de l'Empire ottoman est à l'origine des problèmes de la région :

 

« Nous connaissons les causes apparentes du conflit : les Kurdes (ou Kourdes), qui sont des musulmans fanatiques, reprochent au gouvernement turc d'avoir supprimé le califat, qui faisait du sultan de Constantinople le chef spirituel de tous les mahométans du monde. Les causes réelles sont plus profondes et plus humaines. Les Kurdes forment une race distincte, qui n'a aucun lien de parenté avec celle des Turcs. Les premiers sont des Iraniens (race blanche), et les seconds sont des Mongoloïdes (race jaune). Les premiers parlent une langue qui dérive du persan, alors que celle des seconds appartient à une famille linguistique très différente. Le seul lien qui les unissait était la communauté de foi religieuse. Ce lien n'existant plus, l'association politique s'écroule. »

 

10 000 combattants, dont de nombreux déserteurs de l'armée turque, s'engagent dans les combats. Ils commencent par gagner des territoires, mais la répression est très dure : le 27 juin, cheikh Saïd et plusieurs de ses partisans sont condamnés à mort et pendus, comme le relate Le Journal :

 

« LONDRES, 29 juin. — On mande de Constantinople que le tribunal d'indépendance à Diar-Bekir a condamné à la pendaison le cheik Saïd, instigateur de l'insurrection kurde et quarante de ses partisans. »

 

L'armée turque, avec son artillerie et son aviation, viendra à bout des derniers récalcitrants en octobre 1927, en détruisant l'éphémère république d'Ararat, proclamée dans les montagnes par les Kurdes survivants de la répression.

 

Ce qui ne réglera nullement la « question kurde » : des soulèvements épisodiques ont lieu dans les décennies suivantes. En 1978, le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) est créé et en 1984, plusieurs membres de celui-ci se lancent dans la lutte armée, qui continuera jusqu'à aujourd'hui.