Bibiana Steinhaus, l'arbitre qui vise la finale de la Coupe du monde
- Publié le 26-06-2019 à 21h52
- Mis à jour le 04-09-2019 à 16h34
Bibiana Steinhaus est l'une des arbitres les plus en vue au monde et est la première femme à arbitrer des matchs de l'un des plus grands championnats européens.
Cette Coupe du monde féminine de football, Bibiana Steinhaus s’y prépare depuis quatre ans. L’athlétique Allemande n’est pas joueuse ni coach, mais elle ambitionne, elle aussi, de se retrouver en finale le 7 juillet à Paris : elle est l’une des arbitres les plus en vue du moment, première femme à arbitrer des matchs de l’un des grands championnats européens, la Bundesliga. "Bien sûr, tout le monde a envie d’arbitrer une finale, mais il n’y en a qu’une qui pourra le faire", remarque celle qui a déjà sifflé des finales de Coupe du monde féminine, des Jeux olympiques et de Ligue des champions. "La Fifa doit à chaque fois trouver la meilleure arbitre pour le match qui s’annonce. Cela dépend évidemment d’abord de nos performances, mais si notre équipe nationale joue en finale, on ne peut rien faire…" À part rester spectateur. Cela pourrait donc être l’Allemagne ou elle.
Après avoir arbitré le France - Norvège, le 12 juin à Nice, Bibiana Steinhaus attend toujours sa prochaine attribution. Elle la connaîtra 48 heures à l’avance, autant de temps mis à profit pour une préparation minutieuse. "Quand on m’assigne un match, je me penche sur les deux équipes de manière très détaillée, explique-t-elle. Mais que ce soit clair, préparer ne signifie pas préjuger. Je me prépare pour me donner la chance d’être dans la meilleure position possible lorsqu’il faut prendre une décision judicieuse", le moment venu.
"La seule queue-de-cheval blonde"
Bibi Steinhaus, officier de police à Hanovre, fait figure de pionnière du sifflet. Elle arbitrait déjà depuis bien longtemps des matchs de divisions inférieures lorsque Lutz Michael Fröhlich, le boss, l’a appelée pour lui annoncer sa promotion en première division. Elle en est restée sans voix. "Toutes les pièces du puzzle sur lequel je n’avais jamais cessé de travailler se mettaient en place. J’ai ressenti d’abord un grand soulagement, puis j’ai embarqué dans une montagne russe d’émotions, je suis passée d’un bonheur fou aux larmes de joie." Subitement, elle s’est aussi retrouvée, malgré elle, au centre de l’attention. Forcément, "quand vous êtes la seule queue-de-cheval blonde dans un groupe de 26 personnes, vous êtes clairement plus visible, même si vous ne le voulez pas, si vous n’avez pas demandé à être le flamant rose. V ous ne pouvez pas vous cacher, vous devez juste l’accepter, ne pas trop y penser, avancer et faire votre travail". Plus facile à dire qu’à faire.
Ce premier match, entre le Hertha Berlin et le Werder Brême, en 2017, elle s’en souvient très bien. La première chose qui lui vient à l’esprit, quand elle en parle, "c’est l’intérêt médiatique complètement dément qui l’a accompagné". "Je m’attendais à un peu d’attention en Allemagne, c’était normal. Mais j’avais tout à fait sous-estimé les réactions à travers le monde sur le thème de l’égalité dans le sport. Je ne l’avais pas anticipé. C’était vertigineux." À tel point que son assistant lui a dit : "Si cela se passe à chaque fois comme ça, je démissionne !"
Elle, insiste : "Qu’un arbitre soit un homme ou une femme, qu’il ait les cheveux bruns ou blonds, ne fait aucune différence. Il n’est question que de compétence. Une arbitre qui joue son rôle convenablement sera acceptée."
Dans les vestiaires, peu avant d’entrer sur le terrain ce fameux jour, la pression se révélait intense. Elle savait intérieurement qu’elle n’avait pas droit à l’erreur. Lui en pardonnerait-on moins une vu qu’elle est une femme ? "Les femmes doivent-elles en faire plus ? Je dirais qu’elles ne sont pas autorisées à en faire moins", botte-t-elle en touche. Le physiothérapeute l’a alors aidée à s’apaiser et se concentrer avec des exercices de respiration. Ils "ont vraiment fait une énorme différence. Quand nous sommes sortis des vestiaires, j’étais convaincue que ce match se déroulerait bien. J’étais très cool". Et de fait. Comme l’a déclaré le président de la Fédération allemande de football Reinhard Grindel, "elle a pris les bonnes décisions dans toutes les situations critiques, on a vu qu’elle avait une incroyable expérience". "Après le premier match, l’attention est retombée : tout s’était bien passé, nous avions, mon équipe et moi, répondu aux attentes", relate-t-elle. "C’était fait et, dès le lendemain, ce n’était plus une information. Et c’était le meilleur moment !"
La passion et un entraînement intense
Si elle est arrivée à ce niveau, c’est à force de travail - la passion ne suffit pas. L’entraînement physique, six jours par semaine, coaché par un Belge, est particulièrement intense. "Nous nous comportons comme des athlètes, nous nous entraînons comme des athlètes, nous vivons notre vie comme des athlètes. Nous devons passer des tests d’aptitude physique, nous courons 12 à 14 km par match à différentes vitesses, nous faisons la même chose que les joueurs, à part shooter dans la balle !"
Du haut de son mètre 81, Bibiana Steinhaus, très souriante de nature, sait se faire respecter et poser les limites à ne pas dépasser. Dans sa carrière, elle a dû faire face à des comportements inappropriés, de l’entraîneur Pep Guardiola ou des joueurs Kerem Demirbay et Franck Ribéry (la star du Bayern Munich avait trouvé drôle de lui défaire ses lacets). Mais aujourd’hui, "en général, je dois dire que les joueurs, les entraîneurs et tous ceux qui évoluent autour du terrain me respectent. Et je suis très heureuse que le feed-back soit si positif. Il y aura toujours des gens qui essaient de repousser les limites. Il est donc important de les fixer et de dire : ‘Vous savez quoi ? Vous dépassez les bornes et je ne l’accepte pas’. Les gens savent bien maintenant sur quoi ils peuvent plaisanter ou non."
Sur le terrain, poursuit-elle, "vous devez partager vos attentes avec les joueurs - comme les joueurs le font d’ailleurs avec vous en tant qu’arbitre ! Je leur dis ce qu’ils sont autorisés à faire et ce qu’ils ne sont pas autorisés à faire. Il a toujours été très important pour moi de donner aux joueurs la possibilité de décider s’ils veulent se comporter selon les règles du jeu ou pas. Après, c’est à eux de décider s’ils suivent mon conseil ou s’ils prennent le risque d’avoir un carton. Moi, je juge, je n’endosse pas la responsabilité de leur comportement. Cela aide aussi les joueurs à savoir où se situent les limites et comment se comporter dans les limites que je leur donne. Ils me défient aussi, en exprimant ce qu’ils attendent de moi. C’est honnête. Cela permet de savoir comment travailler les uns avec les autres."
Pionnière ou exception ?
Pionnière, Bibiana Steinhaus espère bien ne pas rester une exception. L’arrivée de sa collègue française Stéphanie Frappart en Ligue 1 le 28 avril dernier, pour un match opposant Amiens à Strasbourg, l’a sincèrement réjouie. Désormais, elles sont deux à endosser le rôle de modèle. "Quand j’ai commencé ma carrière, je n’ai pas demandé à devenir un modèle. J’ai fait ce que j’aimais faire", affirme-t-elle. "Mais je reconnais que je dois prendre en considération le fait que je suis la seule femme dans cette ligue (la Bundesliga, NdlR) . Mon parcours peut amener les filles et les jeunes femmes à poursuivre leur route dans l’arbitrage. J’ai compris aujourd’hui que ma voix était écoutée. C’est une grande chance pour promouvoir l’arbitrage en général, les femmes dans l’arbitrage, le football, les femmes dans le football."
Si beaucoup de chemin a été parcouru, beaucoup reste aussi à parcourir. "Ce serait génial que la génération suivante aille encore plus loin. J’adorerais les accompagner", dit-elle. "J’ai commis beaucoup d’erreurs, qui ne devraient plus être faites. Ce serait bien de pouvoir partager cela." Son avenir, elle espère bien continuer à l’inscrire dans le monde du ballon rond. "Je suis passionnée, que ce soit sur le terrain ou en dehors."