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Critique

Comment les idéologies nous éloignent du monde réel

De quoi sont faites les idéologies, pourquoi y adhérons-nous, et en quoi faudrait-il croire ? A l'heure du relativisme, Pierre Bentata analyse dans un brillant essai le rapport complexe qu'entretient l'humain avec les croyances.

Pierre Bentata examine les idéologies avec minutie et méthode pour délivrer un diagnostic d'une grande finesse.
Pierre Bentata examine les idéologies avec minutie et méthode pour délivrer un diagnostic d'une grande finesse. (Ed Jones/AFP)

Par Kévin Badeau

Publié le 28 juin 2019 à 06:15

Interroger sa vision du monde, questionner ses propres certitudes. A l'heure des « fake news », des théories du complot et du relativisme qui sévit sur les réseaux sociaux, sommes-nous capables d'en fournir l'effort ? C'est tout l'enjeu de « L'Aube des idoles », un essai brillant signé par Pierre Bentata, professeur d'économie le jour, disséqueur de croyances la nuit.

Dans son livre, l'auteur passe au scalpel les grands courants de pensée qui alimentent aujourd'hui l'espace public, ce « lieu de revendications permanentes » où les analyses scientifiques ont laissé place à la croyance religieuse, ou plutôt, aux « idéologies élevées au rang de vérité ultime », affirmations incontestables et intangibles.

Des caractéristiques communes

Que révèlent leurs entrailles ? Pierre Bentata les examine avec minutie et méthode pour délivrer un diagnostic d'une grande finesse. D'abord, explique-t-il, les idéologues ont pour point commun une extrême mauvaise foi. Quand il est fait remarquer à ses partisans les ravages du communisme (URSS, Cuba, Venezuela ou Corée du Nord), ceux-ci plaident… non coupables. L'échec ne serait pas le projet communiste en lui-même, mais celui des systèmes autoritaires à leur tête. Même constat pour certains partisans du libéralisme. Ils s'attribuent la paternité de notre prospérité actuelle, permise par la globalisation, mais oublient qu'elle est l'oeuvre des nations, qu'ils critiquent vertement par ailleurs.

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Un autre point commun aux idéologies est le refus du réel, comme le montre l'exemple de la théorie du genre. Ses adeptes distinguent le sexe (mâle ou femelle) du genre (homme ou femme), car celui-ci serait une construction sociale. Un point de vue qui se défend : un mâle peut très bien se dire femme, et inversement. Mais cette théorie va parfois plus loin et aboutit à l'idée que le sexe relève d'une décision personnelle. « La biologie perd alors le statut d'une réalité naturelle pour devenir une contrainte culturelle dont il faut pouvoir s'affranchir au nom de l'absolue liberté de se définir», analyse Pierre Bentata.

Le dernier ingrédient qui nourrit les idéologies est l'illusion d'un autre monde. Les antispécistes, par exemple, rêvent d'un monde où les animaux sont les égaux des humains. «Considérant que la nature ne correspond pas à leurs croyances, ils désirent la changer. » Les antispécistes militent ainsi contre la souffrance animale infligée par les humains, mais aussi celle des animaux envers… les animaux. Et tant pis pour les prédateurs sauvages (lions, loups, ours…) que certains antispécistes proposent de castrer ou de nourrir aux compléments alimentaires, « pour annihiler tout besoin et tout désir de manger de la viande », explique l'auteur.

Orgueil blessé

Comment, dès lors, expliquer cet impérieux besoin des humains de croire en des idéologies qui, pourtant, couvrent la réalité de leur voile ? Une explication se trouve peut-être au plus profond de nous-mêmes. Selon Sigmund Freud, père de la psychanalyse, le développement des sciences et des connaissances a infligé à l'humanité trois blessures narcissiques.

La première est l'héliocentrisme. Copernic dévoile que la Terre n'est pas au centre de l'Univers et met en péril le dogme d'un dieu qui aurait créé l'homme à son image. Un sacré coup pour l'orgueil de l'humanité, qui n'est plus la fin d'un projet divin. La deuxième blessure vient de Darwin. Selon sa théorie, l'humain, fruit de l'évolution des espèces, est relégué au rang d'animal et perd ainsi son statut de privilégié. Troisième blessure, théorisée par Freud lui-même, l'humain n'est pas maître de ses pulsions.

Plus la science avance, plus l'humain trouve le monde complexe et mystérieux.

Et comme si cela ne suffisait pas, l'espèce humaine en subirait aujourd'hui une quatrième, avec la concurrence de l'intelligence artificielle. Elle se voit alors surpassée dans de nombreux domaines par des stocks de données et des « composants de cuivre et de silicium ».

Quel rapport avec les croyances ? Ces quatre claques pour l'orgueil de l'humanité auraient, selon Pierre Bentata, « affaibli les religions tout en renforçant un besoin de croire […] en dehors de toute rationalité ». Car plus la science avance, plus l'humain trouve le monde complexe et mystérieux et plus la science est l'objet de soupçons qui légitiment les réponses alternatives.

Besoin de croire

Plus que tout, la bête humaine blessée est condamnée à croire, car la religion - ou l'idéologie - est une promesse de réconfort face au réel, complexe, déconcertant et décevant. « A travers les récits mythiques sur lesquels elles se fondent, les religions dépeignent un monde ordonné, avec une cause ultime, une raison d'être, et un rôle attribué à l'espèce humaine. »

Si l'humain cherche le nord, son nord, lequel choisir ? Pierre Bentata, comme une aiguille, préconise de croire au progrès. L'idée que les choses iront en s'améliorant, grâce à l'apport des avancées scientifiques et des nouvelles technologies. « Parce qu'en croyant au progrès plutôt qu'à la fin du monde ou à la décadence, nous serons moins emplis de haine à l'égard du réel et de nous-même. »

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« L'Aube des idoles », par Pierre Bentata, Editions de l'Observatoire, 176 pages, 17 euros.

Kévin Badeau 

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