70 féminicides conjugaux depuis janvier

Des familles et proches de femmes tuées par leur conjoint, ou ex-compagnon, lancent un appel aux pouvoirs publics pour une action plus vigoureuse.

 «Nous voulons qu’une véritable politique de prévention se mette en place», demande une militante et amie d’une des victimes.
«Nous voulons qu’une véritable politique de prévention se mette en place», demande une militante et amie d’une des victimes. Teresa Suarez

    Briser le silence, exiger des actions. Le tout récent « Collectif des proches et familles de féminicides » s'est fixé l'objectif de réunir celles et ceux qui, dans leur entourage, affrontent cette horreur : une femme tuée par son conjoint ou ex-compagnon et disent : « Plus jamais ça ». Leur appel, que nous publions en exclusivité, convoque les pouvoirs publics et sonne la mobilisation. A l'origine de ce texte, un duo, Noël Agossa et Céline Lolivret. Le premier est l'oncle d' Aïssatou, 21 ans, décédée sous la violence de son ex-petit ami jaloux, le 30 octobre 2016 à Valenton (Val-de-Marne).

    La seconde, Céline Lolivret, est une amie de Julie Douib, 34 ans, une mère de famille abattue le 3 mars dernier à l'Ile-Rousse, en Corse, par le père de ses enfants dont elle était séparée, un assassinat que les alertes et plaintes déposées par la jeune femme ont échoué à stopper.

    « Cinq autres familles nous ont déjà rejoints, d'autres souhaitent pour l'instant attendre que les procédures judiciaires en cours soient terminées avant de se mobiliser officiellement », explique Noël Agossa. « Je me suis engagée dans ce combat, ajoute Céline Lolivret, car dans l'affaire de Julie, il y a eu trop de manquements, sa mort aurait pu être évitée. Nous voulons désormais être entendus, pour qu'une véritable politique de prévention se mette en place. »

    En finir avec l'idée de crime «passionnel»

    Le nombre de féminicides en France ne baisse pas. Cette année, dès le mois de janvier, la liste comptait déjà seize noms. Et vendredi dernier, le triste compteur en affichait 70, des femmes de tout âge et de toute région. Ce recensement, effectué par la page Facebook « Féminicides par compagnons ou ex » est le travail d'une quinzaine de militantes, qui depuis plusieurs années tentent de rendre visible cette criminalité.

    Le résultat de leur veille quotidienne sur Internet et dans la presse a le mérite de donner une idée précise du phénomène, même si les suites judiciaires de ces faits ne leur sont pas toujours connues. « Il faut sortir de l'image du crime dit passionnel, du suicide altruiste, ou de la minimisation du fait qu'une femme tuée par un conjoint ce n'est pas grave », explique une administratrice de la page.

    Côté chiffres officiels, la dernière « Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple », menée par la Délégation aux victimes au ministère de l'Intérieur, recense 151 faits en 2017. 130 femmes victimes par leur conjoint et 21 hommes victimes. Dans ces derniers cas, la majeure partie des auteures étaient victimes de violences. Une situation mise en lumière par l'affaire Jacqueline Sauvage, en 2012, qui s'était soldée en 2016 par une grâce présidentielle.

    «Une origine sexiste de la violence»

    Les assassinats de femmes, meurtres ou violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, selon les qualifications pénales retenues contre les auteurs, ont des mobiles récurrents et répertoriés dans les études annuelles de l'Intérieur. La dispute (souvent dans un contexte de violences conjugales) est, dans la majorité des cas, le déclencheur du passage à l'acte.

    Viennent ensuite la séparation et la jalousie. Puis la maladie ou la vieillesse de la victime. « Il y a une origine sexiste de la violence, note Cémentine Lévy, psychologue à la Fédération nationale Solidarité Femmes. Elle s'ancre dans les inégalités, les stéréotypes sexistes, les formes de domination masculine qui aboutissent à l'appropriation par les hommes du corps des femmes. Face à cela, le législateur a le mérite de pouvoir faire évoluer aussi les mentalités ».

    Encore faut-il que les lois soient appliquées, renforçant les nombreuses initiatives existant déjà partout, menées parfois de manière éparpillée. Trop souvent, notamment dans les cas de violences conjugales, des alertes lancées par les femmes soutenues par des associations actives sur le terrain, restent vaines.

    Mobiliser les services de l'Etat

    L'édifiante histoire de Gulçin, 34 ans, tuée par son mari dont elle était en instance de divorce, en est un dramatique exemple. « Le phénomène des violences est massif, note Françoise Briet de la Fédération nationale Solidarité Femmes, responsable du 3919, le numéro d'urgence national ouvert 7 jours sur 7, qui reçoit chaque année entre 45 000 et 50 000 appels. Toutes les violences conjugales n'aboutissent pas à la mort, mais dans nombre d'affaires meurtrières, on découvre qu'elles existent et même dans les couples où il n'y avait pas de tension apparente, en fait on découvre lors des procès d'assises qu'il y en avait quand même, insidieuses et cachées. »

    Samedi 6 juillet, le Collectif, soutenu par nombre d'associations féministes, appelle à un rassemblement Place de la République à Paris. L'actrice et humoriste Muriel Robin, qui a embrassé la lutte contre les féminicides, sera présente.

    Des mesures concrètes seront demandées : « Nous voulons un engagement de tous les services de l'Etat, partout sur tout le territoire, détaille Anne-Cécile Mailfert de la Fondation des Femmes. Les réponses sont encore trop inégales d'une région à une autre. » Une circulaire de la Chancellerie, fraîchement datée du 9 mai et relative « à l'amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes » exige des Parquets une mobilisation, jusqu'alors bien trop timide dans certaines juridictions.

    Recourir à l'ordonnance de protection

    Le texte se veut volontariste pour stopper l'engrenage avant que l'irréparable soit commis : assurer l'éviction effective du conjoint violent, s'assurer que les peines prononcées soient respectées. Et, surtout, « recours accru à l'ordonnance de protection » dont l'usage par les juges aux affaires familiales reste « faible ». Cette mesure permet de saisir un juge sans porter plainte et d'obtenir de vraies sauvegardes : dissimuler une adresse, éloigner le conjoint, interdire le contact etc. « En Espagne, cette loi a été utilisée massivement et a eu des résultats immédiats, pointe Caroline de Haas de Nous Toutes, il faut faire la même chose en France ».

    Appliquer réellement le dispositif existant, donc. Mais aussi l'améliorer, notamment lors de l'accueil des femmes dans les commissariats. Egalement le compléter, par exemple en débloquant une aide juridictionnelle immédiate. Et miser sur la prévention auprès des auteurs de violences. Le parquet de l'Essonne a ainsi mis en place des groupes de paroles d'hommes dès les premiers signes de violences. Car rien n'avancera non plus sans évolution des mentalités : « La violence est le délire du pouvoir », notait l'écrivain suisse Jacques-Henri Meister au siècle des Lumières.

    La liste des 70 femmes tuées depuis janvier