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A la SNSM, « on se retrouve à devoir vendre des porte-clés pour sauver des vies humaines »

Du 28 au 30 juin, les 214 stations de sauvetage en mer ont tenu leurs journées de collecte, alors que l’association créée en 1967 vit à 80 % de dons privés.

Par  (envoyée spéciale à Lorient)

Publié le 30 juin 2019 à 22h00, modifié le 01 juillet 2019 à 08h01

Temps de Lecture 4 min.

Une cérémonie d’hommage aux disparus en mer a été organisée à Lorient (Morbihan), le 20 juin.

Le soleil est presque à son zénith lorsque la corne de brune de L’Hermine retentit soudain dans la rade de Lorient (Morbihan), dimanche 30 juin. A bord de la vedette de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), les bénévoles jettent à l’eau une couronne de gerberas orange et violets, puis laissent s’envoler des centaines de pétales de rose qui s’éparpillent sur le plan d’eau, lisse comme un miroir.

L’hommage aux disparus en mer, organisé chaque année lors des Journées nationales de la SNSM, a revêtu cette fois un caractère particulier. « On pense forcément à Alain, Yann, et Dimitri », lance au microphone Thierry Diméet, le président de la station locale.

Le 7 juin, dans une mer déchaînée par la tempête Miguel, ces trois secouristes avaient perdu la vie en tentant de sauver un navire en perdition, à quelques milles des Sables-d’Olonne (Vendée). « On est tous sous le choc, rappelle le marin breton, il faut honorer leur mémoire en poursuivant notre mission, en restant humains et solidaires. »

Le drame, inédit depuis trente ans, a remis en lumière l’engagement de ces 8 000 bénévoles chargés de porter secours aux personnes en danger, en mer et sur le littoral. Durant trois jours, du 28 au 30 juin, les 214 stations de sauvetage françaises ont ouvert leurs portes au public pour récolter des fonds, alors que l’association créée en 1967 vit à 80 % de dons privés. Aujourd’hui, elle a besoin de 4,5 millions d’euros pour continuer à intervenir.

« Ecole de la vie »

En ce week-end caniculaire, les passants sont nombreux à s’arrêter sur le stand des sauveteurs en mer de Locmiquélic. « On n’avait jamais entendu parler de la SNSM avant ce qu’il s’est passé aux Sables » confie, penaud, un couple de trentenaires venus d’Alsace, en vacances pour quelques jours sur la côte. « On a aucun lien avec la mer, mais quand on a compris que c’était tous des bénévoles, on a eu envie de venir faire un petit don », dit le jeune homme, lui-même pompier volontaire et « touché par ceux qui sont prêts à tout donner sans rien attendre en retour ».

Derrière la table, Muriel Rio, 46 ans, s’affaire pour répondre aux questions. Voilà trois ans que cette petite brune énergique s’est engagée dans cette « grande famille de cœur ».

Quelques années plus tôt, son mari, patron de chalutier, avait péri en mer au large de Belle-Ile-en-Mer, après avoir été percuté par un chimiquier turc. Les sauveteurs de la SNSM avaient été les premiers sur place pour tenter de le sauver. « C’était évident pour moi que je devais rendre un peu de ce qu’ils m’avaient donnée », dit, émue, celle qui sillonne la région pour organiser des collectes.

Muriel Rio, 46 ans, est bénévole à la SNSM depuis trois ans.

C’est aussi pour « être utile aux autres » que Laurianne, 39 ans, s’est engagée l’an passé comme secouriste. Pour cette mère de trois jeunes enfants, se former était « un challenge, mais surtout une envie de solidarité ». Tout ici à ses yeux y est une « école de la vie », et un apprentissage de l’humilité face à la nature toute-puissante.

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Le drame des Sables d’Olonne a pourtant été un choc. En voyant les informations à la télévision, son aîné de 8 ans lui a demandé de ne pas y retourner. « Je lui ai répondu : qu’est-ce qu’il se passe demain si plus personne n’y va ? Alors je l’ai emmené avec moi sur la vedette aujourd’hui, pour qu’il comprenne combien c’est important d’aider les gens, et de rester soudés », dit cette vendeuse au rayon informatique d’un hypermarché de Lorient.

Des « consommateurs de la mer »

Préserver l’esprit de générosité qui anime l’association n’est pourtant pas chose aisée, surtout quand les moyens manquent. La suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a fait baisser les dons, et la hausse des tarifs du gasoil se fait ressentir lourdement.

« Aujourd’hui, on se retrouve à devoir vendre des porte-clés pour sauver des vies humaines », résume, las, le président de la station de Lorient, où vingt-six personnes sont formées pour intervenir en mer. « C’est comme si on demandait aux pompiers d’organiser des kermesses pour payer leur équipement », poursuit ce patron d’un centre de formation au permis bateau.

Surtout, il y a ce changement de mentalité qui s’est emparé progressivement du monde de la plaisance. « On est de plus en plus face à des consommateurs de la mer », déplore Laurent, retraité de l’armée, engagé à la SNSM voilà quelques mois. Derrière lui, une dizaine de sauveteurs s’affairent sur le ponton auprès d’un bateau à moteur qui gît sur le flanc, à moitié rempli d’eau. Le propriétaire a laissé un mot sur le pare-brise : « Bateau en panne, désolé. » « On nous voit de plus en plus comme une société de service maritime », déplore Jacky, membre de l’association depuis dix ans. « C’est tellement à contre-courant de ce qu’on est ici, les Restos du cœur de la mer », renchérit Laurent.

Des bénévoles de la SNSM renflouent un bateau dans le port de Locmiquélic (Morbihan), le 30 juin.

Alors pour Thierry Diméet, le drame des Sables-d’Olonne doit permettre au moins de rappeler leurs conditions d’exercices et la réalité des coûts de cette solidarité des gens de mer. « C’est un coup de projecteur sombre, mais au moins on parle enfin de nous », dit-il, regrettant que les pouvoirs publics « se sont reposés sur nous en oubliant de nous aider ».

En déplacement aux Sables-d’Olonne, le 13 juin, le président de la République Emmanuel Macron avait salué le « mérite exceptionnel » et « l’incroyable dévouement » de ces sauveteurs bénévoles, promettant de se battre pour « faire vivre ce beau modèle solidaire et fraternel du sauvetage en mer. »

Tous les « gilets orange » attendent désormais des actes concrets. « Il faut nous aider à continuer d’aider », conclut Thierry Diméet.

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