
ÉTATS-UNIS - Il y a des jours où la solitude devient tellement insupportable pour Ramez Alghazzouli que cet analyste commercial de 30 ans ne peut même pas aller travailler.
“Quand je vois que je n’ai pas réussi à faire le bonheur de mon épouse, j’ai du mal à respirer”, confie-t-il. “C’est une sensation horrible. Je me sens oppressé et je sombre dans la dépression”. Ramez et sa femme, Asmaa Khadem Al Arbaiin (27 ans), sont Syriens et contraints de vivre à des milliers de kilomètres l’un de l’autre. Asmaa, étudiante en droit, est bloquée à Istanbul car interdite d’entrée aux États-Unis en raison du décret anti-immigration de Donald Trump. Le mois prochain, le couple fêtera ses trois ans de mariage, à distance.
Il y a un an mercredi, la Cour suprême validait, par cinq voix contre quatre, une interdiction d’entrée sur le territoire pour les ressortissants de sept pays à majorité musulmane. Ce décret, voulu par le Président, a bouleversé la vie de milliers de personnes.
La troisième version du décret, en vigueur depuis plus de deux ans, déchire des familles, empêche des civils de se faire soigner aux États-Unis et contraint certains Américains à se résoudre à quitter l’Amérique pour des pays en guerre afin de retrouver leurs familles.
En 2018, plus de 37 000 demandes de visa ont été rejetées par le ministère des Affaires étrangères. Les organisations de défense des droits humains, et des responsables politiques, ont fermement condamné ces mesures, qu’elles jugent discriminatoires. Selon le ministère, 5% seulement des exemptions de visa ont été émises entre décembre 2017 (date d’entrée en vigueur de la troisième version du décret) et mars 2019.
“Je trouve ça totalement injuste. Tout ça pour une question de religion et de nationalité!” reprend Ramez. Détenteur d’une carte verte, il a déposé une demande pour son épouse en 2016. “Si ma femme était Polonaise ou Norvégienne, elle serait ici.”

Ramez et Asmaa ont grandi à Damas. Quand la guerre a éclaté en 2011, leurs familles ont été dispersées aux quatre coins du monde. Il s’est inscrit à l’université à Mesa, en Arizona, et le reste de sa famille s’est installé en France, au Qatar et au Danemark. La famille d’Asmaa, elle, est allée vivre à Istanbul.
Ramez, analyste pour le service de la sécurité économique de l’Arizona, à Tempe, s’est marié en 2016 et a présenté une demande de visa à la même date pour que son épouse puisse le rejoindre et qu’ils commencent une nouvelle vie ensemble.
Mais leurs projets ont été stoppés net en 2017 lorsque Donald Trump a signé un décret interdisant aux citoyens de sept pays à majorité musulmane, y compris la Syrie, de se rendre aux États-Unis. Au début, il ne s’est pas inquiété. Il était convaincu que si le couple respectait la loi, ils seraient très vite réunis. Après tout, Asmaa est une femme instruite: elle était étudiante en droit avant le début du conflit, parle couramment l’anglais et ne représente aucune menace pour le peuple américain.
Mais il avait tort.
Bien qu’elle soit éligible à une exemption – cette disposition légale ajoutée par la Cour suprême autorise des exceptions dans le cas de citoyens pouvant apporter la preuve d’une situation critique, afin de montrer que l’interdiction n’est pas de nature discriminatoire –, elle s’est vu refuser l’obtention d’un visa.
“J’ai l’impression d’être traité comme un citoyen de seconde zone”, dit Ramez. “C’est un droit fondamental que d’avoir mon épouse à mes côtés pour commencer une nouvelle vie.”
The Bridge Initiative, un projet de recherche sur l’islamophobie mené à l’Université de Georgetown, a analysé les données de 2016 à 2018 afin de déterminer les effets du décret. L’étude, publiée il y a quelques jours, a recensé 549 cas de personnes touchées par l’interdiction actuelle, dont plus de 140 enfants séparés de leurs parents, 37% de situations similaires à celle de Ramez et Asmaa, et 14% d’étudiants séparés de leur famille.
Selon Kristin Garrity Şekerci, directrice des recherches de l’organisation, il s’agit là “d’un exemple parmi tant d’autres qui prouve que le décret anti-immigration équivaut à une interdiction d’entrée des musulmans sur le territoire américain. Le coût humain est dévastateur.”
L’an dernier, le Cato Institute, un groupe de réflexion sur les politiques publiques, a constaté que le nombre de réfugiés musulmans aux États-Unis avait chuté de 91% entre 2016 et 2018. Sur l’ensemble des réfugiés admis en 2018, il n’y avait que 17% de Musulmans, contre 66% de Chrétiens.
“C’est une politique discriminatoire et préjudiciable à l’égard des musulmans”, ajoute Garrity Şekerci. On peut lire sur le site du Bridge Initiative que le but de ces données, collectées à partir de témoignages publics, est de “révéler les griefs systématiques que cette politique a causés et d’en présenter les résultats à l’opinion”.

Ramez a épuisé toutes les voies légales à sa disposition. Il a écrit aux services de citoyenneté et d’immigration aux deux sénateurs de l’Arizona, à la Maison Blanche, au ministère des Affaires étrangères, à l’ambassade américaine en Turquie, au Centre national des visas et au ministère de la Sécurité intérieure.
Rien n’y a fait.
Il a aussi lu plusieurs fois la proclamation présidentielle et étudié tous les sites du gouvernement dans l’espoir de trouver une solution.
“Je suis paré pour ouvrir mon propre bureau d’aide juridique!” plaisante-t-il, dans la mesure où il a consulté tous les documents existants. Malheureusement, aucun de ses efforts ne lui a permis de se rapprocher de sa femme et il continue à tenter de comprendre cette loi qui le plonge dans le désespoir.
“Nous ne rattraperons jamais le temps perdu. Tout ça pour une simple question de nationalité et de religion. À moins de se brancher sur mon cerveau, personne ne peut savoir à quel point je souffre, jour et nuit”, conclut-il.
Cet article, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Karine Degliame-O’Keeffe pour Fast ForWord.
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