Cinq battantes passent à l'attaque pour faire du foot un sport de femmes

Portraits.- Footballeuses depuis l’enfance ou simples amatrices, artistes ou dirigeantes de club, toutes, à leur échelle, s’engagent à faire évoluer le football pour mieux que les femmes s’en emparent.
Passer la publicité Passer la publicitéNathalie Boy de la Tour, 50 ans

Elle a su trouver sa place dans le monde très masculin du football. À 50 ans, Nathalie Boy de la Tour dirige la Ligue de football professionnel (LFP). L'un de ses combats ? Lever les freins à la pratique du football par les filles. Un pari réussi puisque "le nombre de licenciées est passé de 50.000 à 200.000 en peu de temps", assure la présidente. Avant de se réjouir : "J'aime raconter cette anecdote. J'ai deux garçons de 11 et 21 ans. Il y a dix ans, quand mon aîné jouait au foot, il n'y avait pas d'équipes féminines et seule une fille tapait dans le ballon avec les garçons. Mon cadet est inscrit dans le même club. Et aujourd'hui, il existe trois équipes féminines, preuve que les mentalités ont évolué. Tant mieux." Si aujourd'hui, rien ne lui échappe sur le ballon rond, Nathalie Boy de la Tour était par le passé très loin des pelouses et des gradins.
Son diplôme de l'ESCP Europe en poche, la jeune femme débute sa carrière dans le consulting, puis emprunte la voie de l'entrepreneuriat. C'est là qu'elle décide de créer en 2004 le salon Galaxy Foot : "Cette expérience m'a permis de découvrir la richesse de l'écosystème du football." Neuf ans plus tard, elle devient la première femme à siéger au conseil d'administration de la LFP, qu'elle commencera à diriger en 2016 en recueillant 94% des suffrages. Dans deux ans, son mandat prendra fin. Avant cela, Nathalie Boy de la Tour compte bien "faire venir les femmes dans les stades". "On le voit avec la Coupe du monde féminine de football, les choses changent. Personne ne s'attendait à un tel engouement, confie-t-elle. Aujourd'hui, les enfants connaissent par cœur les noms des Bleues à l'instar de Wendie Renard ou Eugénie Le Sommer. C'est incroyable !"
Chloé Wary, 23 ans

Enfant, Chloé Wary n'a jamais hésité à frapper dans un ballon. Y compris face aux garçons dans la cour de récré. "À l'école primaire, je me sentais super libre. Je jouais avec les mecs et j'étais douée", se rappelle la femme de 23 ans. Le passage au collège a tout changé. "Filles et garçons ne se mélangent plus, le foot devient une pratique exclusivement masculine." Chloé Wary parvient pourtant à tirer son épingle du jeu : "J'étais celle qu'on choisissait avant les autres quand on composait des équipes en cours d'éducation physique et sportive", précise-t-elle. Alors que le football ne fait plus partie de son quotidien, l'ado aime regarder les matchs de ses équipes favorites, exclusivement masculines.
Il y a trois ans, c'est le déclic. "Au moment de l'Euro 2016, j'ai remarqué à quel point le football était traité sous le prisme masculin. Les femmes étaient encore vraiment dans l'ombre", raconte Chloé Wary. Elle-même graphiste et illustratrice, elle décide alors de consacrer sa deuxième bande-dessinée (la première traitait des femmes d'Arabie saoudite qui se battent pour obtenir des droits, dont celui de conduire une voiture, NDLR) aux footballeuses. Saison des Roses était née. "À travers ma B.D., j'ai eu envie de titiller les acquis masculins. J'ai donc choisi comme héroïne principale une ado en quête de féminité", explique la jeune femme qui joue en club à Wissous (Essonne) depuis deux ans. "On met souvent en avant le fait que foot et féminité ne sont pas compatibles. À tort." Si les stéréotypes dans le football ont encore la peau dure, la ferveur autour de la Coupe du monde féminine est très "encourageante", note Chloé Wary. "Il faut qu'en septembre cela continue et que ça ne fasse pas l'effet d'un soufflé qui retombe."
En vidéo, la tumultueuse histoire du football féminin
Nicole Abar, 59 ans

Elle connaît le terrain comme sa poche. Nicole Abar a porté le maillot bleu durant dix ans, de 1977 à 1987. "J'ai joué à une époque où le foot dit féminin était dénigré. Il n'y avait pas d'agressivité permanente, mais on nous faisait comprendre qu'on nous tolérait et que c'était déjà pas mal, avance l'ex-footballeuse professionnelle. En jouant, on transgressait quelque chose. On n'avait donc pas intérêt à réclamer quoi que ce soit. Et la peur de perdre le droit de jouer nous maintenait muselées." À 59 ans, l'ancienne attaquante compte parmi les premières à participer aux compétitions de football réservées aux femmes. Sur les pelouses, Nicole Abar gagne confiance en elle : "J'étais d'origine algérienne, j'avais les cheveux frisés et le teint mat. Cela m'a value d'être souvent victime de racisme. Quand j'étais sur la pelouse, j'oubliais tout. Ma passion pour ce sport m'a permis de me réparer."
L'ancienne Bleue a mis au point le premier baby-foot mixtePlus tard, une fois les crampons rangés au placard, celle qui se revendique féministe bataille pour voir plus de femmes dans le foot. Puis, encourage les enfants dans les écoles à pratiquer ce sport qu'elle aime tant. Le ballon rond lui a tant donné, Nicole Abar le lui rendra. Cette année, à l'occasion de la Coupe du monde féminine de football, l'ancienne Bleue a mis au point le premier baby-foot mixte. "Je voulais développer quelque chose pour mobiliser et encourager les femmes. Alors pourquoi pas un baby-foot ? Tout le monde peut y jouer et c'est souvent l'occasion de bien rire", assure cette ancienne cadre de la fonction publique, responsable de la mise en place des ABCD de l'égalité. Avant d'ajouter : "On doit tous gagner à ce que l'égalité avance. Et si ce baby-foot n'était pas un beau challenge pour fabriquer le monde de demain ?"
Virginie Nguyen Hoang, 32 ans

Virginie Nguyen Hoang a décidé de mettre à l'honneur celles qui trouvent le moyen de s'émanciper grâce au ballon rond. C'est le projet "What the Foot ?!", porté par le collectif de photographes HUMA auquel appartient la jeune femme. "À la base, c'est Frédéric Pauwels, cofondateur du collectif, qui s'est intéressé au football joué par les femmes. Cette idée lui est venue en entendant le récit de mes matchs étant moi-même footballeuse", explique la Belge de 32 ans. Enfant, Virginie Nguyen Hoang frappe déjà dans la balle. "Ça commence dans mon jardin puis à l'école", se souvient-elle. "À l'adolescence, la plupart des filles arrêtent de jouer. C'est à ce moment-là que j'ai cherché un club à intégrer." On l'envoie alors au but en tant que gardienne. "J'adore ce poste, mais c'est quelque chose qui s'était en fait imposé dans la cours de récré. La fille allait au but. Peut-être que de moi-même je serai devenue attaquante." Alors que les années passent, les stéréotypes ont la peau dure : "Heureusement, ça bouge, mais on taxe encore souvent les footballeuses de "garçons manqués"".
Pourtant, Virginie Nguyen Hoang en est certaine : le football est un vecteur d'empowerment pour les femmes. C'est pourquoi elle a décidé, avec son collectif, d'observer l'impact du foot sur les femmes du monde entier. "Il fallait dépasser la frontière belge et même européenne. De mon côté, je suis partie avec une rédactrice en Inde, dans le Jharkhand. Sur place, on a rencontré des jeunes filles qui, à travers le football, arrivaient à s'affirmer. Delà, elles ont dit non aux mariages forcées et aux maternités précoces", affirme la photoreporter. Rien de surprenant pour la Belge : "Quand on fait un sport considéré comme masculin et qu'on le pratique aussi bien que les hommes, voire mieux, le caractère se forge. On gagne en confiance en soi, c'est certain."
Cécile Chartrain, 42 ans

"Je me souviens d'un match où j'avais marqué deux buts. À la fin, un éducateur est venu me voir en me disant que le foot n'était pas un sport assez gracieux pour les filles et que je devrais plutôt essayer la danse." Que nenni, se dit la jeune femme intérieurement. Car la passion de Cécile Chartrain pour le football est plus forte. Elle remonte même à "la cour d'école et surtout avec mes petits voisins". Dès l'âge de 7 ans, elle obtient sa première licence dans un petit club du Finistère, en Bretagne. La fillette est la seule footballeuse au milieu des garçons : "À l'époque, il n'y avait aucune équipe féminine dans la région où habitaient mes parents, j'étais une anomalie". Malgré tout, la sportive persiste. Cécile Chartrain ne quittera jamais le terrain. Un terrain qui s'avère pourtant être le premier endroit où la femme est confrontée au sexisme et à la lesbophobie. "Dès que je descendais de la voiture, j'entendais certains garçons de l'équipe adverse rire et commencer à annoncer la défaite de mon équipe parce qu'elle comprenait une fille", rapporte la joueuse.
Être présentes sur les terrains de foot, c'est déjà une forme d'acte militant en soiAlors, dès 2010, Cécile Chartrain décide de créer les Dégommeuses, une équipe composée majoritairement de femmes lesbiennes ou bisexuelles et de personnes transgenres. Son objectif ? Se servir de la discipline comme levier pour déconstruire les stéréotypes. "Le football est le sport le plus pratiqué au monde, il touche un nombre incroyable de gens, et en même temps il reste fortement associé à une culture "viriliste", sexiste, homophobe", analyse la femme de 42 ans. Pour changer la donne, Cécile Chartrain croit que la visibilité est la clé : "Être présentes sur les terrains de foot, en tant qu'équipe féminine, c'est déjà une forme d'acte militant en soi, tant le sexisme est encore présent autour des stades."
Qui plus est, les Dégommeuses sensibilisent les plus jeunes et élèvent la voix dans les médias et sur les réseaux sociaux. Si les mentalités évoluent, le sexisme dans le football persiste, assure Cécile Chartrain. Preuve en est : "De nombreux journalistes continuent de poser aux femmes des questions qu'ils ou elles ne poseraient pas aux hommes qui jouent au foot. On les interroge sur leur "vie de femme", leurs aspirations à la maternité, ce que pensent leurs compagnons de leurs absences…" Le chemin est encore long.
dorléans gaston
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Moins que le repassage, quand même.