Pédaler : épisode • 2/5 du podcast La philosophie en cinq activités estivales

Louison Bobet poursuit son ascension du Mont Ventoux, le 18 juillet 1955 ©AFP
Louison Bobet poursuit son ascension du Mont Ventoux, le 18 juillet 1955 ©AFP
Louison Bobet poursuit son ascension du Mont Ventoux, le 18 juillet 1955 ©AFP
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Pédaler ou le paradoxe d’avancer tout en tournant en rond…

Un livre / une activité estivale, c’est le principe de la sélection que je vous propose cette semaine dans le Journal de la philo. Hier, je me suis arrêtée sur : photographier. Demain, je vous parlerai de « bronzer ». Mais aujourd’hui : on se penche sur cette activité que l’on peut, par besoin ou envie, pratiquer toute l’année, mais que l’on aime particulièrement l’été, pour se promener ou, en bon paresseux, que l’on aime à regarder à la télé en juillet… Cette activité, c’est : pédaler ! 

Qu’est-ce que pédaler ? Est-ce seulement courir, avancer, galoper, comme le signifient tous les synonymes du verbe, ou est-ce aussi faire du sur-place, tourner en rond, mouliner, comme le laisse entendre cette formule prolongée et péjorative de « pédaler dans la semoule » ? 

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Autrement dit, quand on fait du vélo, veut-on seulement aller d’un point A à un point B, veut-on avancer et remporter la victoire comme les coureurs du Tour de France, OU ne fait-on que répéter ce même mouvement de pédalage ? 

On pourrait au fond poser cette question à tout mode de déplacement et à tout véhicule : car marcher, c’est bien mettre un pied devant l’autre, et conduire, c’est bien appuyer sur une pédale d’accélération et tourner un volant. Alors pourquoi s’impose cette question du sens du pédalage ? Pourquoi une telle interrogation sur le fait de pédaler, de faire du vélo ? 

Comme le précise Christophe Salaün dans son Eloge de la roue libre (et c’est ma recommandation de lecture sur le sujet), c’est qu’à la différence d’autre divertissement, sport, activité ou déplacement, pédaler, avec ce mouvement cyclique de la roue, c’est à la fois répéter, mais c’est aussi avancer… Comment comprendre ce progrès tout en répétition, ressassement, rumination du pédalage ? 

Si la marche a beaucoup inspiré les penseurs, le vélo n’en est pas moins une activité pas mal pratiquée ou suivie par les philosophes ou écrivains : Barthes commentant le Tour de France dans ses Mythologies, Zola évoquant « l’enivrante sensation de rouler à perdre haleine » dans son texte Paris, Mark Twain qui raconte comment il a dompté la bicyclette, entre autres déboires, ou là, à l’instant le philosophe Peter Sloterdijk se livrant sur sa passion du vélo…

Chacun s’attaque à souligner ce que lui fait le vélo, ce qu’il nous procure comme sensations, ce qu’il attend de nous comme effort, comme discipline, comme implication du corps et de l’esprit. C’est comme si pédaler, c’était non seulement répéter, ruminer, ressasser, mais aussi se plier, se soumettre au mouvement. 

Barthes parle ainsi de « prométhéisme » à propos de l’ascension du Mont Ventoux. Et la question de se reposer : comment comprendre ce déplacement, cette avancée, ce défi tout en rumination, soumission, où le vélo nous domine, où pédaler nous entraîne dans un éternel retour, où les idées n’ont plus lieu d’être ? 

Dans Mon vélo et autres amis, Henry Miller, loin de voir ce compagnon comme un rival, le voit comme un allié, un meilleur ami. Sans renier cet effort, que Christophe Salaün voit comme une éthique, il évoque ainsi un hédonisme, la volupté qu’il y a à pédaler, et une esthétique, le fait de s’insérer par la course dans le paysage, d’y tracer sa voie… 

Et c’est peut-être cela toute la saveur du pédalage : c’est le pur mouvement où l’on répète et où l’on progresse, où l’on donne le coup de pédale mais on se laisse porter, où l’on s’éprouve tout en se livrant aux éléments… Et c’est bien la définition des vacances : être soi sans plus s’appartenir…  

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