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À Idleb, les enfants sont « tués sur leurs chaises d’école »

Qu’ils soient tués, blessés, ou privés de scolarité, les enfants paient au prix fort la multiplication des frappes aériennes
Des casques blancs sortent Khaled des décombres de sa chambre (capture d’écran YouTube)

Khaled al-Bakour, 4 ans, essayait de se cacher dans sa chambre avec deux de ses frères pour échapper aux attaques des avions de guerre syriens lorsque les murs de la maison en béton se sont effondrés et l’ont enseveli sous les décombres.

Trop jeunes pour faire quoi que ce soit, ses frères n’ont pu qu’assister à la scène en poussant des hurlements, entourés de ce qu’il restait de la maison située à Maarat al-Numan, au sud de la ville d’Idleb.

« Il est là, aidez-nous, pour l’amour de Dieu ! », pleuraient ses frères alors que des Casques blancs, membres de l’équipe de défense civile qui opère dans les zones sous contrôle rebelle en Syrie, sont arrivés sur les lieux et ont tenté désespérément de retirer les débris de pierre pour le retrouver.

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Sorti de l’immeuble, Khaled a été emmené dans un hôpital voisin suite à l’attaque.

« Mon fils a subi deux fractures et une perte de peau et de muscle à la main gauche », raconte le père de Khaled à Middle East Eye. « Il a perdu un doigt et les médecins m’ont dit qu’il pourrait en perdre un autre. Il a été opéré hier. Il a aussi subi une perte de peau et de muscle ainsi qu’une grave fracture au pied droit. »

Khaled n’est que le dernier enfant en date victime de l’escalade des attaques lancées depuis fin avril par les forces syriennes et russes dans la province d’Idleb, où deux enfants sont tués et une école est prise pour cible chaque jour, selon le Réseau syrien des droits de l’homme (RSDH), un groupe d’activistes.

Selon le RSDH, entre le 26 avril et le 27 juin 2019, au moins 518 civils ont été tués à Idleb, dont 128 enfants et 97 femmes, et au moins 1 612 civils ont été blessés.

L’organisation précise à MEE que l’alliance russo-syrienne a également ciblé 77 écoles.

« Nous soulignons le caractère systématique du ciblage des écoles avec des missiles guidés par les forces de Damas et leurs alliés », souligne à MEE Fadel Abdul Ghany, président du RSDH. « Les écoles sont protégées par le droit international et leur ciblage délibéré constitue un crime de guerre. » 

« Démoraliser les civils »

La région est constamment survolée par des avions de guerre syriens et russes sans que les habitants sachent où la prochaine attaque sera lancée, ni quelle école pourrait être touchée.

« Des enfants ont été tués sur leurs chaises d’école et d’autres ont été ciblés dans des écoles maternelles, afin d’inculquer systématiquement le chaos et la panique et de forcer les gens à retourner sous l’autorité de Damas ou de vivre sans services ni infrastructures », dénonce Abdul Ghany.

« Damas a pour objectif d’arrêter la scolarité, de pousser les enfants à rejoindre les rangs des combattants et de constituer une génération non éduquée et dominée par l’ignorance. »

« Quatre-vingt-dix pour cent des opérations militaires et des attaques menées par Damas et Moscou sont dirigées contre des civils »

- Ahmed Rahal, analyste et expert militaire

Après la prise de contrôle par Damas des gouvernorats de Deraa et de Homs ainsi que de la campagne de Damas, des centaines de milliers de personnes ont été déplacées vers la province d’Idleb, où vivent actuellement environ trois millions de personnes. 

Fin 2018, un accord conclu à Sotchi entre les présidents turc et russe a permis de désamorcer une attaque des forces progouvernementales syriennes prévue à Idleb.

Mais depuis fin avril, les forces syriennes et russes attaquent de façon répétée le sud de la province d’Idleb et les secteurs adjacents de Hama et Lattaquié.

La région attaquée est principalement sous le contrôle de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), ancienne filiale d’al-Qaïda. Les médias syriens affirment que l’escalade vise les « groupes terroristes » présents dans la région.

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En moins de deux mois à Idleb, en plus des 77 écoles, le RSDH a déclaré à MEE que les attaques des forces syriennes et russes avaient ciblé 33 installations médicales, 46 lieux de culte et trois camps.

« Quatre-vingt-dix pour cent des opérations militaires et des attaques menées par Damas et Moscou sont dirigées contre des civils [dans le but de] faire pression sur les combattants », précise à MEE le brigadier Ahmed Rahal, analyste et expert militaire qui a tourné le dos au gouvernement syrien.

« Le ciblage systématique des infrastructures vise à causer le plus de destruction possible, à démoraliser les civils et à couper tous les services. Ces opérations militaires ont pour but de choquer, de créer un public désespéré qui fera pression sur les rebelles pour qu’ils cessent de combattre, comme ce qui s’est passé à Deraa, désormais sous le contrôle de Damas. » 

Des enfants déplacés

Plus tôt ce mois-ci, lors d’un briefing au Conseil de sécurité des Nations unies sur la situation à Idleb, Rodney Hunter, coordinateur politique de la Mission des États-Unis auprès des Nations unies, a dénoncé les agissements syriens et russes dans la province.

« Nous devons assister à une désescalade complète et immédiate de la violence de la part de tous les camps, et en particulier des forces du régime d’Assad et de la Fédération de Russie, dans la province d’Idleb et autour », ajoute Hunter.

« Je ne peux pas faire ma scolarité. Mon école et les autres écoles sont attaquées », déplore Fatima, 7 ans (MEE/Harun al-Aswad)

« L’escalade militaire du régime est inacceptable et constitue une menace irréfléchie et irresponsable pour la sécurité et la stabilité de cette région. »

En plus des enfants tués et touchés par la recrudescence de la violence, nombreux sont ceux qui, comme Khaled, ont perdu leur maison et ont vu leur scolarité entravée.

« Cette dernière escalade en date fait suite à plusieurs mois de violence croissante dans la région qui auraient causé le déplacement d’au moins 125 000 enfants depuis le début de l’année », relève l’UNICEF.

« Près de 30 hôpitaux ont été attaqués. Environ 43 000 enfants ne sont plus scolarisés aujourd’hui et les examens finaux ont été reportés dans certaines parties d’Idleb, ce qui affecte la scolarité de 400 000 élèves. »

Assise parmi les oliviers dans un camp dans le nord d’Idleb, Fatima, 7 ans, parcourt le téléphone portable de sa mère. Elle a été déplacée du sud de la province avec sa famille suite à la récente escalade de la violence.

« Je ne peux pas faire ma scolarité », confie-t-elle à MEE. « Mon école et le reste des écoles sont attaquées. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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