Pickpockets, manque de toilettes, transports… le parcours du combattant des touristes à Paris

Dans la capitale, les missions des guides deviennent un vrai casse-tête. Ils demandent que la ville investisse pour mieux accueillir les touristes.

    Et si Paris risquait le surtourisme? La semaine dernière, la Ville a organisé un colloque sur le thème : « Y a-t-il trop de touristes à Paris? » Avec 50 millions de visiteurs recensés en 2018 à Paris et sa région, les questions peuvent en effet se poser. Sur le terrain, les professionnels du tourisme doivent, eux, gérer au quotidien les difficultés que subissent les visiteurs étrangers. Or, la situation se dégrade, dénoncent les guides.

    « Bien que ces flux touristiques contribuent au développement économique et culturel des territoires, une croissance rapide et mal régulée peut perturber le quotidien des habitants avec des nuisances sonores, pression sur les loyers, transformation du tissu commercial, congestion des transports… » soulignait l'équipe municipale lors de la présentation générale de son colloque. L'Hôtel de Ville pense aux conséquences pour les habitants, en se demandant si « les Parisiens ne risquent pas d'en avoir assez des touristes… »

    La Fédération nationale des guides interprètes et conférenciers (FNGIC), qui regroupe en France 1200 professionnels, dont la moitié à Paris, a un autre angle de vue… celui des touristes et de ce qu'ils ressentent en visitant la capitale. « Non, il n'y a pas trop de touristes. Mais Paris doit s'engager pour assurer un accueil de qualité de ses visiteurs, lance Aude Deboaisne, vice-présidente de cette fédération. Actuellement, c'est totalement bâclé. »

    Pour elle, qui a sa carte professionnelle depuis 1996, qui fait visiter Paris aux Américains et aux Chinois, soutenue par l'ensemble de ses équipes, « il n'est pas normal qu'une ville aussi touristique, qui engrange les taxes de séjour, n'investisse pas dans des infrastructures adaptées aux besoins. »

    «Se déplacer en sécurité sans se faire arracher son sac»

    Et pour ces professionnels, ce sont des problèmes très quotidiens qui s'imposent. « Quand vous avez derrière vous un groupe de 40 personnes, des enfants ou des personnes âgées, votre souci c'est de les déplacer en toute sécurité sans qu'ils se fassent arracher leur sac, de rattraper les retards quand on a passé des heures en car dans les embouteillages, leur trouver des places pour entrer à la tour Eiffel ou au Louvre sans faire des heures de queue et de leur trouver des toilettes »… décrit Rola Cusson, 55 ans, 20 ans d'expérience qui assure des visites en français, espagnol et en arabe.

    En suivant quelques heures ces professionnels qui tentent de garder le sourire, qui trouvent une solution à tout, la mission est de plus en plus difficile surtout en pleine saison et sous la canicule.

    « Nous avons organisé des réunions il y a dix jours et la fédération n'est pas venue… Ils peuvent toujours se plaindre », dénonce la Ville. « En plein pic d'affluence, nous ne pouvons pas nous permettre d'annuler des contrats alors que ces réunions pourraient se tenir hors saison », réagit Aude Deboaisne, bénévole au sein de la Fédération. Pourtant, le besoin de trouver des solutions est de plus en plus… pressant.

    «Impossible de trouver des toilettes»

    La pause « pipi » est redoutée par les guides qui rivalisent d’imagination pour aider leurs clients./LP/Eric Le Mitouard
    La pause « pipi » est redoutée par les guides qui rivalisent d’imagination pour aider leurs clients./LP/Eric Le Mitouard Eric Le Mitouard

    Imaginez-vous responsable d'un groupe de quarante personnes… qui ont toutes à un moment donné de la journée un besoin pressant. « C'est la mission impossible à Paris », raconte Noha Escartin, guide… même si dans les jardins du Champ-de-Mars, quelques cabines en plastique de chantier ont été généreusement installées. Et que le projet de la Ville de créer un jardin entre le Trocadéro et l'École Militaire prévoit ces équipements.

    En attendant, les professionnels du tourisme ont chacun leur solution. Tous ont repéré les toilettes payantes à 1,50 euro sur les Champs-Élysées, à l'entrée du jardin des Tuileries ou dans le parking du Louvre. « Mais quand vous avez un car d'enfants, c'est un véritable budget. » Les sanisettes ? « C'est bien, oui. Mais entre chaque usager, il y a cinq minutes de nettoyage… Il faudrait y passer l'après-midi », regrette Rola Cusson.

    Alors chacun a son système D. « La meilleure solution est de déposer, à la sauvage, notre groupe sur les Champs-Élysées et leur dire de se disperser pour aller prendre un café. C'est presque économique », avoue Noha Escartin.

    Les guides souhaiteraient être entendus sur ce point pour la création de centres de toilettes avec 40 cabines autour des sites touristiques. Ou davantage de toilettes aménagées dans des cars…

    «Les cars sont maintenant des indésirables»

    Le problème de la dépose sauvage des touristes, obligés de sauter des cars…/LP/Eric Le Mitouard
    Le problème de la dépose sauvage des touristes, obligés de sauter des cars…/LP/Eric Le Mitouard Eric Le Mitouard

    « Courez… Courez ! » doivent lancer les guides aux abords de Montmartre, du Louvre ou de la tour Eiffel pour faire sortir leurs quarante touristes des cars. Lors des déposes sauvages, il faut aller vite. « On les prévient avant. Ils préparent leurs affaires et ils descendent en vitesse », raconte Jean, 30 ans de métier derrière le volant.

    Il fait rapidement le compte : « Il reste cinq places de cars à Opéra, mais elles sont occupées par des travaux, le parking du Louvre est toujours complet (à 249 euros les 6 heures), et aucune place autour de la tour Eiffel… » Le casse-tête est quotidien.

    « Avant, c'était tout autre chose. La Ville nous voyait comme un moyen d'apporter les touristes dans les hôtels, les restaurants… Maintenant, nous sommes des indésirables », explique le chauffeur. « C'est simple, précise Rola Cusson, guide. Il y a quelques années, en trois heures, on pouvait faire le City-tour des sites touristiques de Paris. Aujourd'hui, il y a le City-tour Hidalgo, où l'on zappe la moitié des sites, faute de temps. Et on a connu pendant des mois le City-tour Gilets jaunes, où l'on était obligé d'éviter tout le centre-ville… »

    Tous les professionnels, unanimement, rêvent des Yellow cars de Rome : « Les cars restent en dehors de la Ville. Et nos touristes prennent des cars électriques. C'est parfait ».

    «Il faut protéger nos clients des pickpockets»

    Les voleurs affluent autour des sites touristiques et dans le métro./LP/Eric Le Mitouard
    Les voleurs affluent autour des sites touristiques et dans le métro./LP/Eric Le Mitouard Eric Le Mitouard

    Ils font partie du paysage de Paris : aux abords des monuments comme dans le métro sur les lignes utilisées par les touristes. « Tous les jours, nous sommes confrontées aux pickpockets qui s'attaquent à nos groupes », dénoncent tous les professionnels parisiens, presque impuissants.

    L'une d'elles dit avoir été agressée en alertant son groupe. Un autre raconte avoir eu un déferlement de dix pickpockets sur son groupe. « Parfois, on passe plus de temps à surveiller les abords de nos clients qu'à donner des explications culturelles », souligne Noha Escartin.

    La sécurité est le problème numéro 1 du tourisme à Paris, selon Aude Deboaisne, vice-présidente de la confédération des guides et conférenciers. « Naturellement, il nous arrive de porter plainte. Mais même la police se dit dépassée par le phénomène. »

    Une autre guide tente de trouver des solutions : « Il faudrait mettre en place des anges gardiens, des jeunes du service civique ou des retraités, qui seraient chargés de faire de la prévention sur les sites touristiques pour avertir les étrangers. Cela se fait à New York… » Certaines ambassades, comme la Chine, préviennent déjà leurs ressortissants du danger. « Je suis sûre que le Japon, la Chine ou même l'Amérique seraient prêts à financer ces escadrons… » conclut une guide.

    Un marché sauvage des tickets d'entrée au musée

    Des vendeurs à la sauvette récupèrent les tickets à la sortie des musées et les remettent sur le marché./LP/Eric Le Mitouard
    Des vendeurs à la sauvette récupèrent les tickets à la sortie des musées et les remettent sur le marché./LP/Eric Le Mitouard Eric Le Mitouard

    La fédération nationale des guides et conférenciers reconnaît que le Louvre fait son maximum pour trouver des solutions aux tickets d'entrée du musée. Mais les faits sont là : sur les grands sites comme le Louvre ou la tour Eiffel, trouver un billet d'entrée est devenue une galère. Ce qui fait les affaires d'un marché sauvage à l'entrée du Louvre.

    Explications. Au cours de la journée, les caisses du Louvre sont ponctuellement fermées alors que les billets sont normalement vendus au tarif de 15 euros. « C'est pour réguler les flux dans les salles », s'excuse un agent d'accueil en renvoyant sur le site Internet où le billet est à 17 euros. L'entrée est alors renvoyée à quelques heures plus tard, voire au lendemain.

    Vendeurs à la sauvette : l'anarque aux tickets d'entrée devant le Louvre

    Les vendeurs à la sauvette ont senti le filon depuis quelques mois. « Ils sont maintenant tous à la sortie du Carrousel, et demandent aux touristes de leur redonner leurs tickets d'entrée qui peuvent être utilisés — en théorie — trois fois. Au début, ils donnaient une petite tour Eiffel en échange. Maintenant, ce n'est même plus le cas », racontent les guides qui dénoncent le trafic où les tickets sont revendus 20 ou même 25 euros.

    Mercredi après-midi, aux abords du Louvre, un touriste allemand, sans aucun moyen d'entrer au musée de façon officielle avec sa famille, voyait ce marché secondaire comme une aubaine. « Mais parfois, les billets revendus ne sont plus du tout valables, préviennent les guides. C'est donc l'arnaque complète ! »

    « Nous y travaillons », affirme un agent de sécurité du musée, passablement dépassé.