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«Le regard des gens sur le foot féminin a changé»

Noémie Beney se réjouit de l'immense succès populaire que connaît le Mondial.

Quelle que soit l'affiche de la finale, dimanche, cette 8e Coupe du monde marquera un tournant dans l'histoire du football féminin. Mais pour connaître le réel impact de cet engouement populaire sur une discipline en pleine évolution, il faudra attendre un peu. C'est l'un des constats que fait Noémie Beney (34 ans). Après un beau parcours qui l'a amenée jusqu'au plus haut niveau – elle a porté à 43 reprises le maillot de l'équipe de Suisse –, la Vaudoise a mis un terme à sa carrière internationale il y a huit ans. Avec la noble ambition de continuer de défendre la place des femmes dans le football. Plus sur le terrain donc, mais au sein de l'UEFA, où elle s'occupe des compétitions réservées aux M17 et aux M19.

Noémie Beney, aimeriez-vous avoir 20 ans aujourd'hui? Quand je vois le développement qu'a connu le foot féminin ces dernières années, absolument. Ce qui se passe en France, avec ces stades pleins et cet extraordinaire engouement populaire, ma génération en a rêvé. Elle a vécu autre chose mais elle peut être fière d'avoir contribué à cette évolution.

Ce succès vous étonne-t-il quand même un peu? D'un côté oui, parce que personne n'imaginait que le public et les médias allaient adhérer à ce point au foot féminin. Mais d'un autre côté, la Coupe du monde 2015, au Canada, avait déjà connu un très gros succès et on pouvait donc s'attendre à revivre cela en France, même si les mentalités y sont différentes. Et puis, ce grand intérêt est la récompense logique des gros efforts faits depuis des années, à tous les niveaux. La qualité des entraîneurs, les conditions d'entraînement et les moyens mis à disposition des joueuses sont incomparables avec ceux que l'on connaissait il y a seulement dix ans. Du coup, le niveau général a beaucoup progressé, le public s'en rend bien compte. En France, il se déplace pour voir un vrai match de football.

Y a-t-il d'autres raisons? Il y en a plusieurs. Il me semble que le foot masculin et le business qui l'accompagne ont tendance à irriter de plus en plus de gens. À leurs yeux, le foot féminin est plus sain et pur d'une certaine manière. Il amène de la fraîcheur et cette spontanéité qui a un peu disparu chez les hommes. D'après ce qu'on m'a raconté, les mentalités sont celles que l'on trouvait sur les terrains il y a 40 ou 50 ans.

Ne craignez-vous pas un simple effet de mode? Seul l'avenir nous le dira mais je ne me fais pas trop de soucis. Les footballeuses ont conquis le cœur du public et les grands événements, comme les JO, la Coupe du monde ou l'Euro, continueront d'attirer du monde. En revanche, il est clair que les stades ne vont pas tout à coup se remplir pour les compétitions nationales. Une telle évolution nécessitera encore du temps et beaucoup de travail.

Il a déjà fallu beaucoup de temps au football féminin pour se faire une place. C'est vrai car les femmes jouent depuis un siècle et qu'il n'a été reconnu par les instances internationales que dans les années 70. Et à l'époque, ces instances l'ont plus fait pour le contrôler et bloquer son évolution que pour le développer et le promouvoir. Dans certains pays, où il devait rester un domaine réservé des hommes, le foot féminin dérangeait vraiment. À tel point que de fausses idées étaient véhiculées pour dissuader les jeunes filles de jouer. Comme, par exemple, que la pratique du foot constituait un danger pour la fertilité.

Même si les progrès sont spectaculaires, on a l'impression que le niveau des joueuses peut encore beaucoup progresser, non? Bien sûr, mais pour cela il y a encore un palier à franchir. Dans ce Mondial, beaucoup de joueuses sont des amatrices. Des investissements importants ont été faits pour leur permettre de bénéficier de meilleures conditions, mais tant qu'une footballeuse de haut niveau devra travailler à 100% à côté, il sera difficile d'en attendre beaucoup plus.

Y aura-t-il un avant et un après-France 2019? J'en suis persuadée. Je ne dis pas que cet après-Coupe du monde sera facile et incroyable mais cette compétition a permis de changer le regard de beaucoup de gens. J'espère qu'il sera désormais naturel de voir une fille jouer au foot.

Pour se développer, l'argent est indispensable mais ne craignez-vous pas les dérives qui l'accompagnent souvent? Oui et il est aujourd'hui déjà bien plus présent qu'on le souhaiterait parfois. Tout va vite et il faut faire très attention à bien gérer cet aspect, en évitant de partir dans les travers que l'on connaît. Le foot féminin plaît aussi par les valeurs qu'il dégage, le comportement des joueuses et leur fair-play. Et je suis d'accord qu'avec un éventuel gros afflux d'argent, le risque qu'il perde son âme existe bel et bien. Mais, j'insiste sur ce point, l'arrivée de l'argent ne comporte pas que des aspects négatifs. Sans son apport, le foot féminin n'en serait pas là.

Que faut-il faire pour éviter les excès que l'on constate chez les hommes? J'avoue ne pas savoir comment protéger les joueuses de tout cela. Même si les salaires n'atteindront sûrement jamais ceux de leurs collègues masculins, ce sera difficile. (Elle réfléchit.) Peut-être en trouvant le bon équilibre entre le foot et une activité annexe. Garder un pied dans le monde réel me semble être une chose très importante qui présente aussi l'avantage de bien préparer l'après-carrière.

Malgré son absence en France, la Suisse profitera-t-elle de cette popularité? En premier lieu, je pense que cette effervescence attise encore plus la frustration des Suissesses d'avoir manqué d'un rien cet événement. Mais le niveau des équipes de notre continent est tel – l'Europe comptait sept des huit quarts-de-finaliste – qu'il est toujours compliqué de se qualifier. Cela dit, notre proximité avec la France et la diffusion des matches à la TV vont contribuer à changer les mentalités chez nous aussi. En Suisse romande surtout, où on a davantage de peine que les Alémaniques à considérer comme normal de voir une fille jouer au foot. Comment faire pour exploiter cette vague de sympathie? La solution appartient peut-être aux grands clubs, c'est-à-dire à ceux qui ont les moyens d'investir pour contribuer au développement du foot féminin. À l'étranger, des clubs comme la Juventus et surtout Lyon l'ont fait et ont tout de suite connu le succès sans casser leur tirelire. L'idéal serait donc que les principaux clubs romands, comme le fait déjà Servette, prennent le même chemin. Mais il est aussi honnête de reconnaître qu'actuellement il y a, chez nous, un bassin de joueuses trop limité pour avoir autant d'équipes romandes au plus haut niveau.