Samsung France mis en examen pour "pratiques commerciales trompeuses"

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Samsung France mis en examen pour "pratiques commerciales trompeuses"

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La multinationale sud-coréenne proclame son ambition de devenir "l'une des entreprises les plus éthiques au monde.
La multinationale sud-coréenne proclame son ambition de devenir "l'une des entreprises les plus éthiques au monde.
© AFP - Bertrand Guay

[INFO FRANCE INTER] C'est une première : la justice a engagé des poursuites contre Samsung France pour "pratiques commerciales trompeuses". Le géant des téléphones affiche des engagements éthiques sur le respect des droits des travailleurs, pourtant bafoués dans certaines de ses usines en Chine, en Corée et au Vietnam.

Des mineurs de moins de 16 ans employés à la chaîne pour assembler des téléphones. Des horaires de travail à rallonge. Des conditions d'hébergement déplorables, entassés à 6 ou 8 dans un dortoir de 10 m², sans eau courante. L'exposition sans protection à des substances chimiques toxiques. C'est ce qu'ont constaté entre 2012 et 2017 plusieurs ONG dans des usines où sont fabriqués les produits Samsung.

Pourtant, la multinationale sud-coréenne aux 219 milliards de dollars de chiffre d'affaires proclame son ambition de devenir "l'une des entreprises les plus éthiques au monde". Sur le site français de la marque, on peut lire à la rubrique "Philosophie" : "Samsung s’engage à respecter les lois et les réglementations locales ainsi qu’à appliquer un strict code de conduite global à l’ensemble de son personnel [...] Samsung est déterminée à devenir une entreprise citoyenne socialement et environnementalement responsable dans toutes ses communautés, de par le monde."

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Une mise en examen historique

Ces beaux discours ont-ils valeur d'engagement commercial ? Le consommateur qui pense acheter un téléphone éthique est-il trahi s'il découvre que Samsung ne peut pas garantir de manière certaine que pas un gramme de cobalt utilisé pour le fabriquer ne provient d'une mine qui emploie des enfants ?

Pour la première fois, un magistrat français a estimé que ces promesses ne devaient pas rester des paroles en l'air. Le 17 avril dernier, Renaud Van Ruymbeke, juge d'instruction au pôle financier du TGI de Paris, a mis en examen Samsung France, pour avoir, entre 2012 et 2017, commis des "pratiques commerciales trompeuses" en diffusant sur son site internet des engagements éthiques, notamment le respect des droits fondamentaux (interdiction du travail forcé, exploitation salariale, esclavage des enfants), la responsabilité sociale et environnementale de la société, et le recours à des fournisseurs intègres.

Une mise en examen historique, selon les associations Sherpa et Action Aid, à l'origine de la plainte avec constitution de partie civile contre Samsung. Marie-Laure Guislain est responsable du contentieux chez Sherpa. "Le discours de Samsung, c'est d'être une des entreprises les plus vertueuses au monde, de respecter les droits des travailleurs sur toute sa chaîne de production. Cette mise en examen est un tournant important dans la lutte contre l'impunité des multinationales : ce qu'on demande à ces entreprises, c'est de respecter leurs engagements éthiques."

Moins de 200 euros par mois pour assembler 1 600 téléphones par jour

"Depuis plus de sept ans, nous documentons des violations graves dans les usines Samsung en Chine, au Vietnam, et en Corée, notamment grâce à l'ONG China Labor Watch, qui s'infiltre dans les usines. Des journées de 12 à 15 heures sans pause, des enfants de moins de 16 ans qui travaillent à la chaîne, dans des conditions indignes, avec une mise en danger des travailleurs qui manipulent des produits toxiques. Ces ouvriers sont payés moins de 200 euros par mois, pour assembler jusqu'à 1 600 téléphones par jour. On les punit s'ils arrivent en retard, on leur demande de rester debout toute la journée. Certains sont exposés à un véritable harcèlement."

C'est la première fois en France que des engagements éthiques sont considérés sous l'angle des pratiques commerciales trompeuses. Une manière, pour Sherpa, de contourner un vide juridique. "La loi de 2017 sur le devoir de vigilance des multinationales ne couvre pas toutes les entreprises (seules celles qui ont plus de 5 000 salariés en France y sont soumises, NDLR). Samsung France n'est pas tenue par cette loi, qui impose aux entreprises d'être responsables sur leur chaîne de production", rappelle Marie-Laure Guislain. L'association milite pour baisser ces seuils, et pour l'adoption d'un traité international sur le sujet.

En attendant, Samsung se défend d'exploiter ses travailleurs. Les difficultés viendraient de certains sous-traitants, explique l'entreprise. Un problème qui se pose à tous les acteurs de l'électronique et que le groupe est résolu à traiter. L'ONG China Labor Watch a conduit une vingtaine d'enquêtes entre 2012 et 2014 dans onze usines chinoises où sont fabriqués des produits Samsung. Face au juge qui lui demande pourquoi la société n'a pas mis fin à ces pratiques, le directeur juridique de Samsung France répond qu'elle y travaille, en demandant à ses sous-traitants d'améliorer les choses, et que cela prend du temps.

Dans les mines de cobalt, des enfants âgés d'à peine 7 ans

Même souci pour les mines de cobalt en République démocratique du Congo. Selon les ONG Amnesty international et AfreWatch, Samsung figurait en 2016 dans les acheteurs finaux de cobalt provenant de mines artisanales dans lesquelles travaillent des enfants, dont certains âgés d'à peine 7 ans.

En réponse au juge, Samsung conteste acheter "consciemment" du cobalt issu de ces mines ; seulement, il y a parfois dix intermédiaires entre le minerai et l'acheteur final. Samsung affirme avoir pris le problème en main en s'associant avec d'autres acteurs de l'électronique et une ONG allemande. Mais elle ne peut affirmer, pour l'heure, qu'aucun cobalt utilisé dans ses usines ne provient d'une mine qui emploie des enfants.

Samsung a toujours veillé à ne pas communiquer de manière exagérée sur l'éthique

Au Vietnam, les 45 ouvrières des usines Samsung interrogées en 2017 par deux ONG racontent être obligées de rester debout de 9 à 12 heures d'affilée. Elles n'avaient pas conscience de travailler avec des produits chimiques. Le benzène y est pourtant utilisé comme nettoyant et comme enduit. En Corée du Sud, l'association SHARPS a enquêté sur la santé des ouvriers dans les usines Samsung : selon son comptage, au moins 200 personnes sont tombées malades, 70 seraient déjà décédées. Samsung a refusé de reconnaître la responsabilité des produits manipulés par ses employés, mais a accepté de verser des indemnisations.

Alors que valent les proclamations éthiques de Samsung, du type "Ensemble, un futur plus vert" et autres "People first" ("L'Humain d'abord")? Elles sont un idéal vertueux, plaide la société, pas un engagement. D'ailleurs, dans le bureau du juge, le directeur juridique de la filiale française a fait cette étonnante confession: Samsung a toujours veillé à ne pas communiquer de manière "exagérée" sur l'éthique.

Chez Samsung France, "on ne commente pas une procédure en cours". Un responsable du service de presse nous a indiqué que l'entreprise conteste le bien fondé des plaintes : "I_l est de notre responsabilité de veiller à ce que Samsung, ses fournisseurs et ses sous-traitants respectent les meilleures pratiques concernant les conditions de travail, la protection de l'environnement et le respect des réglementations locales._"

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