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Neutralité laïque lors des sorties scolaires : un choix de société !
Crédits : PHOTOPQR/L'INDEPENDANT/MAXPPP

Neutralité laïque lors des sorties scolaires : un choix de société !

Par Guylain Chevrier

Publié le

Le récent rapport de la mission parlementaire sur la radicalisation juge l’école à un niveau de risque "orange". On s’alerte que dès la primaire apparaissent ces refus de petits garçons de prendre la main d’une petite fille, les tables "sans porc" se former dans des cantines scolaires, des anniversaires d’élèves pour lesquels on demande de ne pas apporter de bonbons qui contiendraient du porc, le rejet de certains enseignements... Ce rapport donne ainsi un nouveau relief au débat sur les mères voilées lors des sorties scolaires. Après les premiers voiles dans l’école publique à Creil en juin 1989, il a fallu quinze ans pour que la loi du 15 mars 2004 réaffirme enfin la laïcité de l’école. On n’a pas encore dressé le bilan des dégâts que ce flottement a produit, auxquels risquent de s’ajouter ceux des sorties scolaires vidées de leur caractère laïque. C’est typiquement le genre de zone grise qu’investit l’islam politique.

La République bafouée et un coup de main à la radicalisation

Dans le cadre du projet de loi Blanquer "pour une école de la confiance", l’Assemblée nationale a rejeté un amendement présenté par le groupe LR pour la neutralité laïque des parents accompagnant les sorties scolaires. Réintroduit par le Sénat, il a été abandonné en Commission mixte paritaire le 13 juin, parallèlement au retrait par les élus de LREM de la proposition du remplacement des mentions "père" et "mère" par "parent 1" et "parents 2" dans les formulaires scolaires. Une coïncidence qui ressemble fort à un échange de "bons procédés" sur le dos de notre République.

Le Conseil d’État dans un avis considère les parents accompagnateurs comme n’étant pas des collaborateurs occasionnels du service public. Vision ponctuée d’une interdiction possible des signes religieux s’ils créent un trouble à l’ordre public. Il ne nous avait pas plus aidé, il y a trente ans, lorsque les premiers voiles sont apparus dans les écoles. Les décisions des tribunaux sur ce sujet ont été partagées, mais ce ne sont pas les juges, rappelons-le, qui font la loi.

On a tout entendu sur ce sujet. Emmanuel Macron s’exprimant pour dire, dans un premier temps, qu'"elles n'ont pas à porter le foulard parce qu'elles sont sous la laïcité de l’État" puis que, "si elles sont dans un cadre qui est à côté de cela, elles sont citoyennes, elles ont leur identité, elles sont là et la société, elle n'est pas laïque et leur permet d'avoir le voile", faisant tanguer notre République. Le ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer dit être pour la neutralité tout en considérant comme "contre-productif" de légiférer sur la question. Cela "poserait", dit-il, "tout un tas de problèmes pratiques, qui iraient à l’encontre du développement des sorties scolaires".

Ce n’est pourtant pas ce qui s’est passé lorsque la circulaire dite "Chatel", du nom du ministre de l’époque, a posé cette interdiction pendant plus de deux ans, entre 2012 et 2014, avant que madame Najat Vallaud-Belkacem, qui lui a succédé au même poste, n’en décide autrement. M. Blanquer se défausse finalement sur les directeurs d'établissements, auxquels il renvoie la responsabilité d’interdire. La sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, ex-PS aujourd’hui proche de la France insoumise, a pu justifier la présence de mères voilées, en avançant que, sinon, il n'y aurait "plus de sorties scolaires dans certains quartiers".

Ces sorties inscrites dans le programme d’éducation, par essence réalisées hors des murs de l’établissement scolaire, ne sont pas moins des activités de l’école dépendant de son cadre statutaire.

Autrement dit, et même si elle s’est déclarée en théorie favorable à une neutralité des accompagnateurs, elle en vient à céder face à ce communautarisme qui fait que dans certains quartiers, ces sorties soient systématiquement effectuées en présence de mères voilées. Des sorties scolaires transformées en espace de prosélytisme ouvrant une voie royale aux islamistes et à la radicalisation. Pire encore, Marlène Schiappa interpellée sur Twitter par l’association Lallab, promouvant le voile au nom d’un "féminisme non-blanc", s’est empressée de la rassurer pour écrire, au sujet de l’amendement de neutralité : "J’y suis personnellement opposée (discrimination)..." Cette situation inique, qui réjouit les partisans du multiculturalisme, engage un modèle de société contraire à notre République, comme une bombe à retardement.

Le raisonnement poussé jusqu’à l’absurde des pro-voiles

C’est Gabriel Attal, le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Éducation qui, sur CNews en mai dernier, nous donne la clé de ce débat. Il explique que l’affaire est "un serpent de mer, qui revient depuis des années" et que, "quand on n'est pas dans l'école, on n'est pas dans l'école". On serait ainsi, parce que hors les murs de l’école, hors de son cadre réglementaire ? Ce qui pose une autre question : quel peut bien être alors le statut des enseignants ? Ne seraient-ils plus que des accompagnateurs bénévoles eux aussi ? Ces sorties inscrites dans le programme d’éducation, par essence réalisées hors des murs de l’établissement scolaire, ne sont pas moins des activités de l’école dépendant de son cadre statutaire.

Dire le contraire, c’est vouloir faire prendre des vessies pour des lanternes. Il se trouve que c’est la mission dont on est investi, en fonction de la place que l’on occupe, au regard des responsabilités qu’elle engage, qui définit devant la loi la fonction statutaire de chacun. Ici celle de l’encadrement d’un groupe d’enfants scolarisés dans le cadre des missions d’éducation laïques de l’école. Les enseignants sont toujours des enseignants même lors de ces sorties scolaires. Et donc, les parents qui les assistent endossent bien un rôle d’encadrants exerçant ici une co-responsabilité, qui en fait des collaborateurs occasionnels du service public, auxquels s’imposent ses règles. On peut tordre cette évidence comme on le veut, on n’en sortira pas. Le reste n’est qu’accommodements déraisonnables.

Autrement dit, seule une loi imposant la neutralité laïque des parents accompagnateurs lui procurerait cette liberté de choix : participer ou pas à une sortie scolaire selon qu’elle conserve son voile ou pas.

Mais suivons ce raisonnement absurde de monsieur Attal jusqu’au bout. Puisque hors des murs de l’école ce n’est plus l’école, et que les mères voilées ne sont plus dans ce cas que de simples bénévoles, certains enseignants pourraient se considérer eux-mêmes comme ne relevant plus des obligations réglementaires de leurs missions. Et pourraient y voir l’occasion de manifester, par le port de signes religieux ostensibles, leurs attaches identitaires. Rappelons que cela ne tient en rien du fantasme, on retrouverait à la manœuvre les mêmes qui imposent aujourd’hui leurs signes religieux pendant leur formation en ESPE (Ecole supérieure du professorat et de l’éducation, ndlr). C’est l’étape suivante qui nous attend avec ce type de discours hors-sol, poussant un cran plus loin les contradictions sur lesquelles fructifie la radicalisation. CQFD !

L’enjeu du caractère laïque des sorties scolaires, un choix de société

Ce sujet, par-delà l’école, engage une réalité bien plus large. Un directeur d’école m’expliquait récemment avoir eu une conversation avec une mère voilée lui disant qu’elle ne pouvait pas enlever son voile lors des sorties scolaires en raison du regard du quartier. Autrement dit, seule une loi imposant la neutralité laïque des parents accompagnateurs lui procurerait cette liberté de choix : participer ou pas à une sortie scolaire selon qu’elle conserve son voile ou pas. La pression communautaire, elle, ne lui laisse aucun choix, et lui impose le port du voile. Cette maman nous rappelle ce qu’est la loi, d’abord un espace protégé à l’intérieur duquel on peut agir librement, en égalité avec tous.

Que nos élus réfléchissent bien avant d’adopter cette loi qui passe pour une autorisation à porter le voile dans le cadre de missions laïques de l’école.

Combien de temps faudra-t-il pour qu’on reconnaisse les sorties scolaires comme un simple moment dans l’action éducative menée par le service public de l’enseignement ? Cela concerne pourtant l’intérêt de tous les élèves. Ne peut-on pas concevoir que l’enfant confié à l’école doit pouvoir trouver les moyens de construire le chemin de sa propre liberté, qui ne peut exister qu’en contrariant toute prédestination sociale, culturelle ou religieuse ? N’est-ce pas cela qui caractérise la citoyenneté, cette autonomie de choix qui est à la source de notre démocratie ?L’égalité en la matière ne serait-elle que pour certains, et pour d’autres qu’une vague idée étudiée dans un livre ? Voilà bien ce qui est en cause : la protection d’une éducation fondée sur la laïcité républicaine, parce que l’on forme des citoyens à l’école et pas seulement de futurs demandeurs d’emploi ; mais aussi le libre choix des femmes auxquelles cet espace offre une ouverture tout en leur confiant une vraie mission d’intérêt général.

Le feu est aujourd’hui "orange clignotant", c’est juste avant le "rouge" !

Gérard Collomb, encore ministre de l’intérieur, expliquait qu’il y avait urgence au regard de quartiers qui aujourd’hui en France échappent à la loi de la République. Il soulignait en forme de cri d’alarme que "la situation [s’était] très dégradée" dans certains territoires, pour conclure : "On vit côte à côte, je crains que demain on ne vive face à face." Que nos élus réfléchissent bien avant d’adopter cette loi qui passe pour une autorisation à porter le voile dans le cadre de missions laïques de l’école. Ce serait comme une blessure faite à notre République. Le feu est aujourd’hui "orange clignotant", c’est juste avant le "rouge" !

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne