Figure du Museum of Modern Art (MoMA), à New York, où elle est conservatrice du département d’architecture et de design et directrice de la R&D, Paola Antonelli était cette année membre du jury de la Design Parade Hyères.
Pourquoi avez-vous accepté d’être membre du jury Design Parade Hyères ?
J’ai été invitée par Mathieu Lehanneur que j’ai connu en 2005 dans le cadre de l’exposition « Safe : Design Takes on Risk », la première grande exposition de design depuis la réouverture du MoMA en 2004, et dont j’étais la curatrice. J’y ai présenté, parmi 200 pièces, son projet de diplôme baptisé Objets Thérapeutiques. Des dispositifs ingénieux qui permettent d’améliorer la prise ou la délivrance de médicament pour les enfants ou les personnes âgées atteints d’une maladie chronique.
En 2008, j’ai encore montré son travail avec notamment les prototypes des purificateurs d’air végétaux, véritables filtres vivants, dans l’exposition « Design and the Elastic Mind ». Je suis très fière d’avoir dans notre collection au MoMA ses Objets Thérapeutiques et de l’avoir connu si tôt. J’aime sa philosophie qui consiste à soulager non seulement le corps humain, en l’aidant à se soigner, mais aussi l’esprit, en sortant d’une esthétique punitive. En participant au jury de Design Parade Hyères, je peux découvrir de nouveaux jeunes talents et leur donner une visibilité.
Quels ont été vos critères pour élire l’un d’entre eux ?
Je participe à des jurys partout dans le monde, en Italie comme au Japon, et, ici, à la Villa Noailles, j’en suis très impressionnée par le niveau de production des candidats et la richesse de leurs idées. Nous avons beaucoup débattu entre membres du jury. Nous cherchons le mouton à cinq pattes : une idée nouvelle, une philosophie forte, un bon niveau de production. Il y aussi le message que la Villa Noailles, centre d’art d’intérêt national, veut envoyer au monde. On n’oublie jamais que le design est un acte politique. Il a une responsabilité citoyenne vis-à-vis des êtres humains et de la planète, une dimension esthétique et éthique. Pour ma part, je cherche toujours l’unicité, le talent et la philosophie individuelle. J’aime le design spéculatif qui explore les implications d’évolutions futures, celui de Revital Cohen ou de Neri Oxman, la spécialiste du biodesign à laquelle l’on dédie en février 2020 une monographie au MoMA.
Dans « Broken Nature : Design takes on Human Survival », l’exposition dont vous êtes la commissaire à la Triennale de Milan, à voir jusqu’au 1er septembre, vous prônez surtout un design réparateur…
Oui, je pense que l’humanité est vouée à s’éteindre comme d’autres espèces avant elle. Les designers ne pourront pas empêcher cela mais ils peuvent faire en sorte que cette fin soit encore lointaine et élégante. Que nous laissions une trace sur la Terre, pour la prochaine espèce dominante, qui soit un exemple d’une relation apaisée et intelligente avec notre milieu naturel. Le concept d’un design réparateur (restorative design), visant à corriger la course de l’humanité vers l’autodestruction, embrasse un vaste champ de solutions. Il explore tantôt la technologie, tantôt l’artisanat ou une combinaison des deux. Il ne s’agit pas seulement de recyclage mais aussi d’acheter moins et de se transmettre, comme le faisaient nos grands-mères, le lit ou le canapé d’une génération à l’autre.
Cela pourrait être ce que Martino Gamper fait en métamorphosant d’anciens éléments de mobilier trouvés dans la rue en une nouvelle famille d’objets, ou Studio Formafantasma, alias Andrea Trimarchi et Simone Farresin avec leur projet Ore Streams qui recycle nos déchets électroniques. Cela peut être aussi le travail des chercheurs interdisciplinaires des Ateliers Luma à Arles, qui transforment l’algue qui prolifère du fait du réchauffement climatique en nouveau matériau… L’ambition de Broken Nature est non seulement d’influer sur les habitudes des designers ou des industriels, mais aussi de changer celles du citoyen.
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