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Millions en Suisse : la "banquière" de Raymond Barre "stupéfaite"

Millions en Suisse : la "banquière" de Raymond Barre "stupéfaite"

Fisc, oh mon fisc…

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Gilberte Beaux, ancienne trésorière de la présidentielle de 1988, affirme à Marianne "avoir ignoré l’existence" du compte suisse de l’ancien Premier ministre, révélé cette semaine par "Le Canard enchaîné". D’autres proches de Raymond Barre restent interloqués. Plusieurs hypothèses circulent.

Elle « tombe de l’armoire » : « Je ne peux pas croire que Raymond Barre ait eu ce compte en Suisse »… Gilberte Beaux va fêter dans quelques jours ses 90 ans. Aujourd’hui à Paris, elle rentre lundi en Argentine où elle vit. Inconnue du grand public, cette femme d’affaires a longtemps été le bras droit de Jimmy Goldsmith, un flamboyant entrepreneur et patron de presse des années 80, et de Bernard Tapie avec lequel elle s'est fâchée. Mais surtout, dès la fin des années 70, Gilberte Beaux était la « banquière » de Raymond Barre. « C’est elle qui s’occupait de toutes les questions d’argent. Barre lui-même n’y entendait rien et ne s’en occupait jamais », certifie à Marianne un ancien proche du « premier économiste de France ». Cet ancien intime de Barre, lui aussi, depuis la révélation par le Canard Enchaîné de ce compte suisse, est plongé dans des abîmes de perplexité. « Je n’en reviens pas… Cela m’étonne beaucoup. Cela ne ressemble pas du tout à Raymond Barre… », répète-t-il.

La Très chère villa des barre

Selon le Canard, en 2013, une main anonyme a envoyé au fisc un numéro de compte au Crédit suisse de Bâle, accompagnant une notice biographique de Raymond Barre et un montant, « 11 millions de francs suisses », à la date de son décès le 25 août 2007. Soit 6,8 millions d’euros de l’époque. A réception du courrier anonyme, révélant un supposé compte suisse de l’ancien Premier ministre, l’administration fiscale réclame d’abord des explications à Eve Barre, la veuve de l’ancien député-maire de Lyon et à ses deux fils, Nicolas et Olivier. Pas de réponse. Installés en Suisse (Eva Barre est décédée en 2017), le trio estime sans doute être hors d’atteinte des questions fiscales françaises. Mal lui en a pris. En retour, l’administration déclenche un examen approfondi de leur situation, saisit Tracfin, et s’intéresse à la villa de Saint-Jean-Cap-Ferrat, qui, elle, n’a pas déménagé en Suisse. Evaluée à 1,6 million dans la déclaration de succession de 2007, la maison, sur un terrain de 3000 m2, a été réévaluée à l’époque par le fisc à 4 millions d’euros. « Je m'y suis rendu à trois reprises, nous raconte un ancien chef d’entreprise. Certes, c’était un très beau terrain, avec une jolie vue, mais la maison elle même ne payait pas de mine, avec un escalier tout raide jusqu’à l’étage. C’était une belle maison de gardien... ».

Mais fisc découvre que le 28 mars 2013, la villa est officiellement cédée pour la somme rondelette de 14 millions d‘euros à une société de marchands de biens installée à Villeurbanne. Autre découverte troublante, cette société est en réalité contrôlée en sous-main, via le Luxembourg, par les deux fils Barre eux-mêmes ! Une sorte d’opération de « rachat » avec leurs propres fonds off-shore, leur permettant au passage de « blanchir » l’argent de l’étranger non déclaré. En 2016, comme le relève le Canard Enchaîné, Bercy décide de ne pas saisir la commission des infractions fiscales d’une demande de plainte pénale. Mais dans le même temps, Bruno Bézard, le directeur général des finances publiques, signale au PNF, via « un article 40 », une possible opération de blanchiment de fraude fiscale des deux fils Barre. « Ce n’est pas contradictoire, d’un coté l’administration estime que la fraude fiscale n’a pas à donner lieu à des poursuites pénales, et de l’autre, que le blanchiment, lui, peut être poursuivi » confie à Marianne un proche de l’ancien directeur général des finances publiques. Selon nos sources, les services fiscaux informent en personne le ministre des Finances de l’époque, Michel Sapin. François Hollande, à l’Elysée, a également été informé, en tête à tête, par son ministre des Finances.

Une réunion secrète avec Laurent Fabius en 1983

De son coté, le PNF, dirigé par Eliane Houlette, ouvre une enquête préliminaire pour blanchiment de fraude fiscale visant les fils Barre. Celle-ci permettra-t-elle de retracer l’origine des fonds de ce compte suisse qui intrigue tant aujourd’hui les anciens proches du Premier ministre ? Possible. Depuis ce mercredi 3 juillet, plusieurs hypothèses circulent. En premier lieu, celle des fonds secrets de Matignon. Dans les années 70 et 80, tout occupant de Matignon quittait la rue de Varennes avec le coffre plein de billets de 500 francs neufs. C’était « une coutume », évoquée maintes fois dans des affaires politico-financières, qui n’a été abolie que sous Jospin en 1997. L’ancien chauffeur de Jacques Chirac, Jean-Claude Laumond, a raconté en 1976 avoir chargé un coffre de billets de Matignon jusqu’à l’hôtel de ville de Paris. De son coté, Gilberte Beaux « confirme » à Marianne avoir « entendu parler des fonds spéciaux pour les municipales de 1978 ». « Raymond Barre était alors Premier ministre, il fallait les gagner et je sais à ce moment là que les fonds spéciaux de Matignon ont été utilisés pour la campagne », confie-t-elle. Pour autant, quand il a quitté Matignon en 1981 après l’élection de François Mitterrand, Raymond Barre est-il parti lui aussi avec des fonds secrets ? Cela, Gilberte Beaux « l’ignore ».

Nommée trésorière de la présidentielle de 1988, cette dernière a ensuite été en charge de la collecte des fonds, quand les premières lois sur le financement de la vie politique se mettaient en place. Deuxième hypothèse, le compte suisse aurait-il été alimenté par des donateurs de la présidentielle ? « De façon générale, pour cette campagne, j’ai essayé de faire en sorte que cela soit propre », répond Gilberte Beaux à la question sur d’éventuelles espèces. « Il y avait une association de financement, en charge de réceptionner les fonds, et en aucun cas un compte suisse au nom de Raymond Barre n’a été ni alimenté, ni utilisé », ajoute celle qui « ne peut pas croire » que son ancien mentor « ait fait quelque chose d’illégal ». Ses fils ? « Je ne les connais pas suffisamment pour en parler », réagit-elle. Une autre source se souvient que le cadet avait eu « des petits » ennuis d’argent quand son père était à Matignon, « mais rien de très grave », et que l’aîné « a toujours fait des affaires ». « Cela fait longtemps que les fils se sont installés en Suisse », croit savoir cet ancien proche.

« Raymond Barre était quelqu’un de bien, un grand serviteur de l’Etat, et cela m’attriste que sa mémoire soit aujourd’hui entachée » confie cette source. « Pour vous dire qui était Raymond Barre, je me souviens d’une anecdote, poursuit ce très proche. En 1983, quand Laurent Fabius a été nommé Premier ministre et que François Mitterrand a pris le tournant de la rigueur, il a bien fallu faire un budget de la France. Il y a alors eu un déjeuner secret, en tête à tête, entre Fabius et Barre. Le rendez-vous a eu lieu dans un appartement privé d’une tierce personne, dans le XVIe. Ce jour-là, le Premier ministre socialiste de 37 ans et son prédécesseur ont déjeuné puis passé l’après-midi seuls, à discuter du budget de la France. » Une autre époque…

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne