Thomas Pesquet : "Le plus difficile dans la préparation de la mission a été d’apprendre le russe"

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Thomas Pesquet : "Le plus difficile dans la préparation de la mission a été d’apprendre le russe"

Thomas Pesquet en juin 2016
Thomas Pesquet en juin 2016
© Getty - Sascha Steinbach

Du rêve d’enfant à la sélection pour la mission de six mois dans la Station Spatiale Internationale en novembre 2016, en passant par le décollage depuis Baïkonour, retour avec l’astronaute sur son expérience incroyable deux ans après son retour sur Terre.

Dans le top 10 des métiers que tout le monde connaît mais que quasiment personne n’exerce, celui d’astronaute occupe une bonne place. Voilà typiquement le genre de métier auquel on rêve, petit et qu’on oublie en grandissant… à quelques exceptions près.

Il se raconte qu’avant de devenir le dixième astronaute français, le petit Thomas Pesquet a passé de longues heures à piloter le vaisseau spatial en carton confectionné par son papa. Trente ans plus tard, il s’asseyait dans un vaisseau Soyouz et mettait le cap sur la Station Internationale pour y travailler pendant six mois.

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La question se pose : qu’est-ce que Thomas Pesquet a de plus que les autres enfants de sa génération qui rêvaient eux-aussi d’aller voir les étoiles de plus près ? Faut-il déjà être un peu extraterrestre pour obtenir son ticket pour l’espace ? 

Extraits de la rencontre avec Thomas Pesquet dans l’émission Le temps d’un bivouac

En route pour l'ISS

Daniel Fiévet : Le 17 novembre 2016, le lanceur Soyouz s’arrachait du sol de Baïkonour. Vous étiez à bord. Quel souvenir conservez-vous du lancement ? 

Thomas Pesquet : "Un souvenir de concentration extrême pour l’équipage à bord. Le lancement est spectaculaire de l’extérieur, mais de l’intérieur, ça l’est beaucoup moins. On l’a vécu de nombreuses fois auparavant au simulateur. Là, ça vibre un peu plus. Il y a plus de tension, parce qu’il y a plus d’enjeux. On sait que cette fois-là, on risque notre vie pour de vrai. On est sous la coiffe de la fusée et on regarde nos instruments, et on contrôle cette première partie du vol. Donc on est très concentré."

Sous la coiffe, au sommet de la fusée, vous êtes dans quelle position ? 

Thomas Pesquet : "On est en position quasi-fœtale. On est recroquevillés dans nos sièges qui sont moulés. La coque du siège est moulée à notre dimension. On est attachés avec pas mal de sangles. La sensation est un peu étrange on a l’impression d’être ligoté. Pour atteindre cette capsule, on monte en ascenseur le long de la fusée. Cela me semblait interminable. A chaque fois, je me disais qu’on était arrivé, et non… On continuait de monter. 53 mètres, ça commence à faire haut. Il faut ensuite descendre se loger dans la fusée. C’est petit, il n’y a pas de place. Il y a un côté sous-marin : on ferme des sas métalliques sur vous qu’on boulonne."  

Quand les moteurs s’allument, que tout vibre, que la fusée décolle… Physiquement, que ressent-on ? 

Thomas Pesquet : "On est écrasé. Mais l’accélération est contrôlée pour être supportable. Elle démarre assez doucement, et elle va rester à deux G : donc deux fois l’accélération de la pesanteur, on pèse deux fois son poids, mais on peut quand même lever les bras, on peut quand même bouger. Le reste du corps est attaché, mais on a besoin des bras pour les tableaux de contrôle. Et on va monter vers environ 3G au décollage. C’est très supportable et assez doux. 

C’est une accélération constante. La fusée accélère jusqu’à la mise en orbite. A part à la transition entre les différents étages de la fusée, là c’est assez drôle parce que l’accélération s’arrête. On est projeté vers l’avant. On ne freine pas. On arrête juste d’accélérer. Ensuite le deuxième étage se met en marche, c’est un véritable coup de pied aux fesses. On repart dans le siège et là c’est parti !"

Cette aventure démarre huit ans avant, quand L’Agence Spatiale Européenne lance un grand recrutement dans toute l’Europe…

Thomas Pesquet : "Il faut remettre ça dans le contexte. En 2008, on vient de lancer le module Columbus que l’on vient d’installer sur la station spatiale internationale (ISS). C’est la participation de l’Agence Spatiale Européenne au programme de la station. Donc ça nous donne accès, droit de contribuer à cette station à des vols européens. D’où cette nouvelle campagne de recrutement. Cela n’arrive pas souvent. Il faut être au bon endroit au bon moment."

Dans tous les parcours, il y a de la chance. J’ai le bon âge, au bon moment, la bonne formation, etc…

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Quand vous vous inscrivez, vous y croyez ?

Thomas Pesquet : "On ne se dit pas « je vais réussir, c’est moi le meilleur ». Si on se dit ça, j’imagine qu’au moment du test psychologique, ça se passe un peu moins bien. On y croit un petit peu, mais on se dit : « on verra bien »"

Devenir astronaute, c’était un rêve d’enfance ?

Thomas Pesquet : "Oui. Bien sûr, mais ça me semblait pas raisonnable de bâtir une carrière dessus. Un recrutement tous les 15 ans ! Il y avait des personnes qui étaient trop jeunes en 1992, et trop vieux en 2008 et qui étaient meilleurs que nous. Il ne faut faire que des choses qu’on aime. Moi, tout ce que j’ai fait  - être ingénieur en aéronautique, être pilote - c’était des choses que j’aimais. Et qui m’ont permis d’avoir les bonnes croix dans les bonnes cases à la sélection."

C’est vrai, l’histoire de votre père et du vaisseau en carton quand vous étiez petit ? 

Thomas Pesquet : "Oui, c’est un peu l’image d’Epinal que tout le monde retient. Mais c’est exact, mes parents ont retrouvé des photos : c’était réaliste, il y avait des cadrans. Mais ce n’est pas le seul élément déterminant de mon parcours. Il y a plein de petits garçons et de petites filles qui ont les mêmes expériences quand ils étaient jeunes. 

Ce qui est vrai, c’est que j’avais cet intérêt, cette passion pour l’aéronautique, l’espace, qui arrivait de nulle part. Je n’avais personne autour de moi qui gravitait dans ce milieu-là ou qui ait pu m’aiguiller à droite ou a gauche. Moi, c’était mon truc : je mettais des posters dans ma chambre, mais je n’étais pas le seul."

Sur les 8000 candidats, 1000 ont passé les premières épreuves…

Thomas Pesquet : "Les premiers tests sont psychotechniques : des suites de chiffres. C’est similaire à une sélection de pilote. Des suites de chiffres sans fin qu’on entend dans un casque. La voix énumère des chiffres et va s’arrêter et il va falloir entrer sur son clavier tous les chiffres dont on se rappelle de la fin en remontant vers le début. 

Ou on a un cube vectoriel (en 3D) qui s’affiche sur l’écran avec une croix rouge sur une face. L’écran devient noir, on a des sens de rotation dans le casque : à gauche, à droite, en arrière… Et de plus en plus vite. A un moment ça s’arrête. Le cube revient sur l’écran, et là, il faut cliquer sur l’emplacement de la face à la croix rouge, si on a bien fait tourner le cube dans sa tête. C’est toute une journée de tests assez courts, deux ou trois minutes. On est quarante dans une grande salle."

Les tests psychologiques ensuite ? 

Thomas Pesquet : "On est 182. C’est un travail en groupe de six avec un problème complexe à résoudre dans un temps limité pour rajouter un facteur de stress. Ce qui est important : ce n’est pas de réussir, mais de travailler en groupe. Ça a l’air simple comme ça, mais on voit vraiment des gens qui tirent la couverture à eux, d’autres qui stressent beaucoup. Le panel qui nous observe est là pour détecter ces comportements-là."

Après, c’est l’attente ?

Thomas Pesquet : "Ensuite, il y a la visite médicale, un premier round d’entretiens avec les responsables de l’agence. Ensuite il y a un dernier entretien avec le directeur de l’agence qui a tenu à voir personnellement tous les candidats. On n’est plus que 45. Ensuite, 10. C’est là que ça devient stressant. A 8000, les chances sont tellement minces… Là, on s’autorise à y croire. Quand on est 10 pour quatre places (ils ont été six finalement). 40% de réussite, c’est énorme ! C’est de loin, la phase la moins sélective." 

Vous vous souvenez de quand vous avez été pris ? 

Thomas Pesquet : "On voit sur le site de l'Agence  : « publication de la conférence de presse ». On apprend ça une semaine avant. Ils publient la conférence et on n’a pas entendu parler de quoi que ce soit. Donc, on se dit que c’est fini. J’attends jusqu’à la fin de la semaine. Si le vendredi, ils ne nous ont pas convoqués pour une conférence de presse la semaine suivante… C'est fichu. On n’y croit plus trop. 

Le lundi, je dîne chez des amis chez moi à Paris. Coup de fil. Je m’isole un petit peu. C’est le DRH de l’ESA qui me dit : est-ce que vous voulez toujours faire astronaute ? J’ai failli dire non (rires), mais ce n’était pas une bonne blague… Donc je me suis dégonflé ! J’étais surpris. J’étais avec des amis, avec ma compagne qui a compris tout de suite. Ils ont vus que je m’isolais, que j’étais un peu spécial. C’était inespéré, c’était énorme pour moi. On est sortis. On a bu un verre pour fêter ça. 

Dès le lendemain, on a commencé à préparer la suite…."

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Après, vous retournez à l’école, c’est ça ? 

Thomas Pesquet : "D’ailleurs, j’y suis encore. Etre astronaute, c’est être à l’école toute sa vie. Il faut aimer ça. Le petit message à faire passer aux personnes attirées par cette carrière : il faut aimer étudier et se remettre en question régulièrement. 

L’entraînement se fait en Europe, pour la première fois. Auparavant on faisait confiance à la NASA ou à nos partenaires russes. On envoyait nos astronautes à l’école primaire des astronautes chez eux. Là, on décide de le faire chez nous, en Allemagne. On nous donne l’emploi du temps de la semaine avec sport le matin, russe l’après-midi etc… "

Le russe, une des étapes les plus difficiles…

Thomas Pesquet : "Oui, sauf pour Samantha, italienne, l’une des six recrues qui parlait déjà bien le russe ! Mais pour les cinq autres, c’est ce qui a été le plus difficile. Partir de zéro pour arriver à maîtriser suffisamment une langue pour pouvoir voler dans un véhicule."

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