La femme qu’il a chérie pendant vingt-neuf ans disait de lui que c’était un poète, un grand insouciant. Et puis, en trois mois, un cancer foudroyant l’a emportée. Marcel s’est retrouvé seul. Dévasté. À 63 ans. Comme l’appartement était loué au nom de sa compagne, on lui a demandé de quitter les lieux. Alors, sans songer à faire les démarches pour toucher sa retraite, Marcel, ex-cadre dans une entreprise qui vendait des lessives, s’est retrouvé à l’hôtel. Cela a duré onze ans. À raison de 50 € par jour, toutes ses économies y sont passées.

« À 74 ans, j’étais à court d’argent et on m’a montré la porte, raconte-t-il. Je me suis retrouvé dans la rue. J’avais une valise de souvenirs personnels, qu’on m’a volée au bout de trois jours. » Le septuagénaire s’installe dans un parc parisien, entouré de migrants et de toxicomanes, à la merci d’agresseurs. « En quelques semaines, j’ai perdu tous mes repères, c’est un monde extrêmement cruel où les plus pauvres volent les plus pauvres. » Un enfer qui durera six mois.

Hospitalisé pour tout un tas de pathologies (eczéma, ulcères aux jambes, problèmes cardiaques…), Marcel a fini par rencontrer, il y a quelques mois et grâce à son assistante sociale, Anne-Cécile Graillot, qui travaille pour la mission Interface du Samu social de Paris. Elle a déjà une piste pour Marcel.

18 % des SDF de plus de 50 ans

Créée en mai 2017, sur le modèle d’un dispositif existant depuis dix ans à Nantes, Interface accompagne des sans-domicile âgés, à la rue ou en hébergement temporaire, vers des logements pérennes adaptés. « On est parti d’une étude qui disait que plus de 18 % des personnes accueillies en centre d’hébergement d’urgence à Paris avaient plus de 50 ans », résume Anne-Cécile Graillot. Certains sont dans la rue depuis très longtemps, les SDF plus âgés connaissant une durée d’errance plus longue : deux tiers d’entre eux sont à la rue depuis plus d’un an et 45 % depuis plus de cinq ans. D’autres ont basculé dans la précarité au moment de la retraite ou d’un deuil, comme Marcel.

En tout, 40 personnes ont été installées dans un logement et 250 sont en cours de processus. Le Samu social de Paris, qui mène actuellement une campagne de dons sur son site pour étoffer l’équipe de la mission Interface, s’apprête à lancer une autre mission d’aide aux SDF handicapés.

« On est un peu le Stéphane Plazza des sans-domicile »

Repérés par les maraudes d’intervention sociale ou par les professionnels des centres d’hébergement, les SDF seniors sont mis en contact avec l’un des deux salariés d’Interface. Ils interviennent d’abord en appui des travailleurs sociaux pour accompagner les personnes dans leur accès au RSA, CMU, minimum vieillesse… « Cette étape permet aussi de créer des liens avec eux pour bien comprendre leur degré d’autonomie et leur projet de vie », reprend Anne-Cécile Graillot.

Logement social indépendant, maisons de retraite médicalisée, résidences services… Vient ensuite l’étape de la recherche de logement à proprement parler. « On essaie de trouver ce qui leur plaît, on est un peu le Stéphane Plazza (1) des sans-domicile », plaisante la jeune femme. « Ensuite, complète-t-elle, quand la personne a emménagé, on ne rompt pas les liens, on continue à venir la voir, selon ses besoins. »

Ce jour-là, Anne-Cécile Graillot rend visite à Félix, 78 ans, qui a emménagé il y a trois semaines dans une résidence services. Souffrant de nombreux problèmes de santé, l’homme, qui a été abrité pendant cinq ans dans un centre d’hébergement, ne se voyait pas dans une maison de retraite. Ni dans un appartement trop petit, car ce grand amateur de littérature possède 400 livres, qu’il entend bien garder.

Dans son nouveau studio, Felix bénéficie de l’aide d’une infirmière, qui vient lui faire ses pansements, et d’une aide-ménagère. « Le personnel, je lui donne 99,5 sur 100 », se réjouit-il.

(1) Du nom de l’animateur de l’émission télévisée de recherche de logements.