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«L’affaire Lambert peut précipiter une légalisation de l’euthanasie en France»

Les soins prodigués à l'accidenté ont tenu la France en haleine pendant des années. Devaient-ils se poursuivre à tout prix ou cesser faute d'espoir de rétablissement?

Une infirmière tient une seringue devant une patiente dans une chambre du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne. Image d'illustration. — © Jean-Christophe Bott/KEYSTONE
Une infirmière tient une seringue devant une patiente dans une chambre du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne. Image d'illustration. — © Jean-Christophe Bott/KEYSTONE

Depuis un accident survenu en 2008, Vincent Lambert est resté dans un état végétatif chronique. La bataille tout juste achevée autour de l’interruption de ses soins a-t-elle changé la perception des Français sur la fin de vie ? Interview de Tanguy Châtel, sociologue, auteur de «Vivants jusqu’à la mort».

Le Temps: L'«affaire Vincent Lambert» marque-t-elle un tournant ?

Tanguy Châtel:  Oui, car elle déborde le cas particulier. La population française dans son ensemble se dit qu'il s'est agi d'une horreur, qu’elle n’a pas envie d’être maintenue artificiellement en vie de cette façon. Il n’y a qu’une petite minorité, croyante, qui veut la poursuite des soins à tout prix. L’affaire peut précipiter une légalisation de l’euthanasie en France.

Ce cas a-t-il pu conscientiser les Français sur l’importance des directives anticipées laissées aux médecins ?  

Cela fait des années que les pouvoirs publics encouragent de laisser des directives anticipées, sans grand succès, même chez les personnes âgées. On verra le nombre de Français qui s’y mettront ces prochaines années. Mais je pense que le cas est plus complexe que la question des directives anticipées. Même si Vincent Lambert en avait données, il y a des ramifications si militantes et si passionnées autour de lui que même ces directives auraient été contestées.

Pourquoi si peu de gens s’intéressent-ils à la question des directives anticipées ?

Les directives anticipées supposent de se projeter dans sa propre mort, ce que personne, pas même les personnes âgées, n’aiment faire. De plus, ces directives ont leurs limites : elles ne peuvent pas vraiment être des prescriptions puisque, quand elles sont rédigées, la personne est par hypothèse en bonne santé et ne fait pas l'expérience de l'approche de sa propre mort.

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Concernant l’euthanasie, un autre cas est médiatisé, celui de Jacqueline Jencquel, qui milite pour  «l’interruption volontaire de vieillesse» et a décidé de se donner la mort en 2020 alors qu'elle est en bonne santé. Est-ce nouveau ?

Non. Mireille Jospin (la mère de l’ancien premier ministre Lionel Jospin, ndlr) avait programmé sa mort, en 2002. Il y a toujours eu des gens favorables à l’euthanasie parce qu'ils craignent de devenir dépendants ou souffrants et d'autres qui la revendiquent pour des raisons philosophiques. Il existe de nombreuses nuances devant cette question qu’on présente souvent comme binaire entre «pro-vie» et «pro-euthanasie».

Un sondage de l’Ifop avançant que 89% des Français sont favorables à l’euthanasie a été contesté, car il posait la question de manière orientée. Existe-t-il des données fiables sur l’opinion des Français sur cette question ?

On n'a commencé que très récemment, depuis 2012, à faire des études scientifiques et documentées sur l’euthanasie. On a fait beaucoup de sondages, mais ils supposent que les gens se projettent déjà. Ces travaux prennent du temps, on a encore une grande carence de résultats. Les ministères de la Santé et de la Recherche ont acté la création d’une plateforme d'étude de la fin de vie cet automne. Il est indispensable qu’on se donne le temps de la recherche sur l’euthanasie avant de légiférer.