Copies du bac : «Quelque chose de sacrilège a été accompli», accuse Jean-Michel Blanquer

Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education, revient sur la session très chaotique du bac 2019 et annonce les premiers effets de sa réforme du lycée.

 « J’ai cherché à garantir l’intérêt des élèves », se défend Jean-Michel Blanquer, sur le traitement des résultats du bac.
« J’ai cherché à garantir l’intérêt des élèves », se défend Jean-Michel Blanquer, sur le traitement des résultats du bac. LP/Jean Nicholas Guillo

    À l'heure des résultats définitifs du baccalauréat, rendus publics ce jeudi soir, le ministère de l'Education nationale ne compte pas seulement ses admis et ses recalés. Il passe aussi en revue les dégâts d'une crise sans précédent. L'épreuve reine a été frappée de plein fouet par une grève des correcteurs qui a jeté un doute sur une partie des résultats.

    « On a eu 20 164 appels de familles depuis mardi matin », assurait le président de la FCPE, Rodrigo Arenas, ce jeudi, dans une conférence de presse improvisée sur le trottoir devant le ministère. Et de demander « que tous les lycéens de France puissent avoir accès à la moyenne de leurs notes et à la note du jury ».

    Pas de quoi entamer la ligne de conduite du ministre, raffermi ces derniers jours par le soutien public d'Emmanuel Macron et d'Edouard Philippe. « Je suis serein », nous assure Jean-Michel Blanquer, déterminé à tenir ensemble les rênes de la fermeté et de l'ouverture pour mener à terme sa réforme du lycée.

    Edouard Philippe a évoqué devant le Sénat, mardi, le « bras de fer » engagé avec vos opposants et salué vos efforts pour qu'ils ne « gagnent pas ». Et vous, pensez-vous avoir gagné ?

    Les seuls gagnants doivent être les élèves. J'ai cherché à garantir leur intérêt de bout en bout lors des trois crises qui ont eu lieu en juin : les menaces sur le déroulement de l'épreuve du baccalauréat, la crise liée à la chaleur pour le brevet, puis celle des correcteurs du baccalauréat. Les services de l'Education nationale ont effectué un travail remarquable pour régler les problèmes. Le service public a été rendu de manière parfaite dans les deux premières crises, et dans la troisième, on a atténué autant que possible les difficultés créées par quelques-uns.

    La solution a aussi abouti par endroits à bidouiller des notes. Comprenez-vous que cela ait choqué, y compris dans les rangs de professeurs non grévistes ?

    On estime qu'il y a eu moins de 100 centres d'examens perturbés, sur 1 500, et 30 plus sévèrement que d'autres. Dans cette situation, on a donné des notes provisoires, qui ont été remplacées par les notes définitives, s'il y avait lieu, dès le lundi suivant la proclamation des résultats (vendredi 5 juillet). Que se serait-il passé si l'on n'avait pas fait cela ? On aurait créé des inégalités énormes entre les élèves et des perturbations encore plus fortes.

    Le remède n'était-il pas plus nocif que le mal ?

    Non. La critique est facile et l'art est difficile. Sur les 53 222 élèves concernés par la rétention des copies, 431 ont été mobilisés pour les oraux de rattrapage et n'ont finalement pas eu besoin de les passer, et 305 étaient ajournés et ont finalement pu passer les oraux de rattrapage. On a réussi à éviter que tout un pays soit troublé, et à ne pas laisser faire une tentative de déstabilisation scandaleuse. Ce qui a été fait a permis que 750 000 candidats aient les résultats à temps, puissent s'inscrire dans l'enseignement supérieur.

    Des familles comptent saisir la justice pour rupture d'égalité entre les candidats…

    Il y a pu y avoir plus de difficultés que d'ordinaire, mais le principe de remplacer une note manquante par le contrôle continu s'est toujours fait, par exemple quand une copie était perdue.

    Avez-vous été surpris que des enseignants aillent aussi loin dans la contestation ?

    J'ai été en partie surpris car il y a quelque chose de sacrilège dans ce qui a été accompli. Ceux qui ont fait cela n'avaient pas réussi à perturber le fonctionnement du baccalauréat ( NDLR : en faisant la grève des surveillances ), et se sont mis dans la situation d'aller toujours plus loin, quitte à franchir le seuil de la légalité. Cependant, je ne suis pas complètement étonné de voir certains contaminés par un état d'esprit de radicalité qu'on trouve dans toute notre société.

    Vous allez prendre des sanctions. Irez-vous plus loin que le blâme ?

    Les choses se feront à froid, selon les procédures prévues, au cas par cas et rectorat par rectorat. Il y aura des critères établis par la commission des affaires juridiques.

    Allez vous changer les modalités de correction en 2020 ?

    Nous allons en effet tirer les conséquences de ce qui s'est passé et faire évoluer les modalités d'organisation pour se prémunir.

    De nouvelles actions de protestation se préparent chez une partie des enseignants pour la rentrée. Qu'allez-vous faire pour qu'elle se passe bien ?

    La rentrée, sur le plan technique, a été bien préparée. Sur le plan du climat social, je la souhaite sous le signe de la bienveillance et de la protection vis-à-vis des professeurs. Nous allons entre autres mesures, déployer une gestion des ressources humaines de proximité, de façon à ce que les professeurs aient un interlocuteur à moins de 20 minutes de leur établissement pour parler de leur carrière. C'est une réponse au sentiment d'isolement qu'éprouvent parfois les enseignants. Je comprends parfaitement ce malaise. J'ai indiqué dès mon arrivée que je serai le « ministre des professeurs » pour être le « ministre des élèves ».

    Etes-vous prêt aussi à bouger sur la réforme du lycée, qui est le nerf de la crispation actuelle ?

    Oui. Je suis prêt à des consultations approfondies pour tout ce qui reste à accomplir. On n'a pas encore défini, par exemple, la nature du grand oral en terminale, qui débutera en 2020-2021. Sur d'autres points, les arguments des organisations syndicales ont déjà été pris en compte : nous avons par exemple donné des garanties d'égalité à tous ceux qui s'inquiétaient de l'éventuelle subjectivité du contrôle continu. Il y aura une banque nationale de sujets, les copies seront anonymisées, et pour ne pas trop alourdir le processus, les épreuves dureront 2 heures au plus.

    Il vous a été reproché de ne pas écouter. Allez-vous changer de méthode ?

    On peut toujours progresser dans le domaine de l'écoute. On va essayer de faire mieux dans les temps à venir, et rendre davantage public ce qui se dit. Mais l'écoute est déjà là. J'ai mené plus de 90 réunions avec les organisations syndicales dans les 18 derniers mois. Il est évident que je ne retiens pas tout ce qu'on me demande. Je ne pratique pas la cogestion mais je suis ouvert aux propositions constructives.

    Dans les lycées, la réforme est en train de se mettre en place. Quels choix de spécialité ont fait les élèves pour leur entrée en première ?

    Les élèves se sont emparés de la liberté offerte par la réforme. Un quart ont pris la combinaison maths-physiques-SVT. C'est très en dessous des 55 % d'élèves qui faisaient S jusqu'ici. Quinze à 20 % ont opté pour une combinaison avec des maths et deux autres disciplines scientifiques. Les nouvelles matières comme « histoire-géographie géopolitique et science politique », ou « science informatique et numérique » ont été très choisies. Nous sommes en train de sortir d'un système de trois filières standardisées et hiérarchisées, pour arriver à un lycée où les élèves peuvent choisir en fonction de leur goût.

    Allez-vous demander à ce que les lycées permettent à leurs élèves de choisir librement leurs spécialités ?

    De très nombreux établissements ont déjà réussi à s'organiser pour que des combinaisons très variées soient possibles, jusqu'à une cinquantaine. Les lycées qui ont le plus joué le jeu de la réforme vont apparaître comme des modèles intéressants. Les élèves de seconde, d'ores et déjà, voient très bien qu'ils ont bénéficié de plus de choix. Si ce que je disais était faux, ils auraient protesté. C'est une réforme profonde qui est en train de se passer. Tout le monde a dit que nous aurions des obstacles, nous en avons, mais nous avons passé la rampe.

    Qu'en est-il des options, et notamment des langues anciennes ? Seront-elles proposées aussi dans les lycées moins favorisés ?

    Le sujet n'est pas entre les établissements plus ou moins favorisés mais entre les petits et les grands établissements. Avant la réforme, moins de 85 % des lycées proposaient trois séries, aujourd'hui plus de 90 % affichent au moins les sept enseignements de spécialité de base. Nous avons réussi à implanter la discipline « sciences informatiques et numérique » dans plus de la moitié des établissements. Et nous restons très attentifs à la présence des langues anciennes.

    Il y aura trois sessions de contrôle continu en première et en terminale. Comment faire pour que le lycée ne soit pas un lieu d'examen permanent ?

    Les modalités du contrôle continu vont épouser ce que nombre d'établissements font déjà avec les bacs blancs. Par ailleurs, le principe du contrôle continu est à mon sens le meilleur outil anti-bachotage. Il contribuera à élever le niveau général, car les élèves approfondiront plus les matières. On sait que d'un point de vue cognitif, le fait de s'évaluer à des moments réguliers est positif pour assimiler les connaissances.

    Allez-vous à la rentrée continuer de supprimer des postes dans le secondaire ?

    Ça n'est pas défini pour le moment, et le but n'est pas en soi de supprimer des postes. Quand nous le faisons, nous les remplaçons par des heures supplémentaires obligatoires, pour maintenir un taux d'encadrement globalement identique. Notre choix assumé est de créer des postes dans le premier degré, car nous avons un rattrapage à y faire, nécessaire pour consolider les fondamentaux de nos élèves.

    Écoutez notre podcast consacré à Jean-Michel Blanquer, un ministre star en difficulté