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Laura Smet : "Pour David et moi, notre père restera toujours une énigme"

Laura Smet, âme forte
Laura Smet porte une chemise Polo Ralph Lauren. Collier Pascale Monvoisin, bracelets Messika, bague Ginette NY. Coiffure @cyrilhair. Maquillage Chanel. Coiffeur coloriste Jean Fouillade. Xavi Gordo

Entretien.- Elle a décidé de vivre pour le meilleur. Plus libre et plus forte que jamais, en dépit de la tourmente médiatico-judiciaire autour de l’héritage de son père, Johnny Hallyday. Insatiable cinéphile, l’actrice prépare son premier long-métrage et tiendra le rôle principal dans La Garçonne, série historique diffusée à la rentrée. Confidences sans faux-semblants.

Elle s'est levée à 5 h 30, réveillée par le jour. "On n'a pas encore mis les rideaux à la maison", explique-t-elle sur un ton amusé. Tout semble dérisoire, évaporé dans le bleu de son regard, comme le chantait son père dans Laura. D'une enfance pas comme les autres, de ses joies à ses traversés du désert, Laura Smet a su tirer le meilleur : une douceur, une vulnérabilité assumée, une flamme qui l'accompagne dans tout ce qu'elle fait.

On se souvient de ses débuts au cinéma, de son crâne rasé dans Les Corps impatients, de Xavier Giannoli, qui l'avait choisie sans savoir qu'elle était la "fille de". Depuis, l'actrice, filmée par l'aristocratie du cinéma français - de Claude Chabrol à Cédric Klapisch -, poursuit une carrière au goût de risque. Elle va incarner un homme des Années folles dans La Garçonne, la prochaine série historique de France 2. Elle a accepté un rôle qui fait écho à sa vie dans le court-métrage Faux Frères, de Nicolas Boualami. Les yeux dans l'horizon, Laura Smet s'est lancé le défi de passer derrière la caméra, en filmant avec une sensibilité extraordinaire le clip de Ma dernière lettre, bouleversante chanson de son demi-frère, David, en hommage à Johnny Hallyday. Elle a confirmé son talent de réalisatrice dans son court-métrage Thomas, avec Nathalie Baye, récompensé en 2018 au Chelsea Film Festival.

Cinéphile insatiable, Laura Smet s'apprête aujourd'hui à tourner son premier film - loin de la bataille judiciaire autour de l'héritage de son père. Radieuse, elle a par ailleurs dit oui à Raphaël Lancrey-Javal, le 15 juin dernier, lors d'une cérémonie religieuse au Cap Ferret. Plus épanouie que jamais, à 35 ans, Laura Smet vibre, irradiant une liberté et une générosité incontestables, le sourire accroché à son visage.

J'ai toujours rêvé d'interpréter un homme à l'écran

Madame Figaro .- Dans la série La Garçonne ,vous campez une héroïne aux multiples identités… Racontez-nous.
Laura Smet.
- Je joue le rôle de Louise, une jeune femme qui prend la place de son frère jumeau, Antoine, un policier brisé par la guerre. Déguisée en homme le jour et en prostituée la nuit, elle plonge dans une enquête qui lui tient à cœur. J'ai toujours rêvé d'interpréter un homme à l'écran, surtout après avoir vu Cate Blanchett incarner Bob Dylan. Comme elle, je ne m'appuie pas sur le maquillage : c'est un travail de mime, de gestuelle, d'identification… La métamorphose s'est faite à travers les vêtements, les inflexions de la voix… Je m'inspire du jeu d'acteurs que j'adore : Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur ou Jack Nicholson dans Chinatown. C'est un challenge, mais j'aime ce qui est difficile. Je ne suis pas tiède. J'ai hérité ce tempérament de mes parents. Les chiens ne font pas des chats.

On vous verra aussi dans deux rôles très différents, l'un dans La Sainte Famille, une comédie de Louis-Do de Lencquesaing, et l'autre dans le court-métrage de Nicolas Boualami, un huis clos où votre personnage passe une nuit sans dormir avec son demi-frère (l'acteur Stanislas Merhar), la veille de l'enterrement de leur père…
J'adore l'humour très British de Louis-Do et j'ai eu envie de jouer cette aristocrate si différente de moi. L'histoire est très autobiographique : le personnage vouvoie sa mère, comme Louis-Do le fait dans sa vie, ce qui me fascine, car c'est à l'opposé de mon éducation : mon père obligeait tout le monde à le tutoyer ! Ce tournage hilarant a été une bouffée d'air frais durant cette année vraiment dure à vivre. Faux Frères a été une tout autre expérience. Nicolas Boualami est mon meilleur ami… Nous avons partagé des joies et des peines, comme la perte de personnes qu'on aime. En observant ce que je vis depuis deux ans, Nicolas a eu l'idée de ce court-métrage, qui est très proche de ce que Stanislas Merhar et moi avions vécu cet été-là… (La mère du comédien est décédée deux mois après Johnny Hallyday, NDLR.) J'avais l'impression de marcher sur un fil, comme une funambule, parce que je jonglais entre la réalité et le cinéma…

Laura Smet photographiée par Xavi Gordo

Laura Smet

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Vous semblez très incarnée et lointaine à la fois… On vous appelait d'ailleurs Ghost ("fantôme") à l'école. Pourquoi ?
Parce que je séchais tous les cours, sauf ceux de philosophie, et que je passais ma vie au cinéma. J'étais très pâle à force d'être dans ces salles obscures à regarder des films… Il y avait quelque chose d'assez mystérieux dans l'image qu'on a pu avoir de moi : j'étais un oiseau de nuit - je disparaissais, je revenais. Mon adolescence a été très violente et on peut dire que j'ai eu deux vies… Mais, depuis sept ans, je suis devenue un papillon de jour. On me voit moins, je suis un peu sauvage, solitaire. Je suis contemplative, je peux passer des heures à regarder une plante. Quand on me demande comment je travaille un rôle, j'ai envie de répondre : "En dormant." Je rêve de mon personnage et, le lendemain matin, j'écris mes idées. Tout est un peu abstrait chez moi. Et, en même temps, je suis bien là. J'ai appris à m'incarner après avoir un peu fui… C'était une façon d'échapper à toutes ces étiquettes que l'on m'avait collées.

J'ai mis du temps à savoir vivre ce métier, parfois cruel

Allez-vous toujours autant au cinéma ?
Je peux y aller cinq fois dans la journée. Je suis une vraie boulimique de cinéma, que ce soit des vieux films, des westerns, des films coréens, ukrainiens, des thrillers… Le cinéma me donne envie de continuer de vivre, de rêver. Mon père, lui aussi, était cinéphile. Mes parents m'ont ouvert l'esprit en me faisant découvrir le cinéma italien, les films de Jacques Tati, de Charlie Chaplin, de Claude Sautet… Des acteurs et des actrices immenses comme Marlon Brando, Romy Schneider… Cet amour inconditionnel pour l'image m'a amenée à réaliser mes propres films. J'en suis fière. Mais si j'ai choisi le métier d'actrice, il est aussi venu à moi : il ne faut pas se leurrer, j'ai grandi là-dedans ! En revanche, la réalisation, personne n'en a fait dans ma famille. Ça m'appartient.

De votre mère, que vous avez filmée dans le court-métrage Thomas, vous dites que c'est une femme géniale, sans doute aussi très originale…
Absolument ! Néanmoins, elle m'a éduquée d'une manière assez classique : tout en ayant une vie d'artiste, elle a su être présente. Je n'ai pas été gâtée et je partais à l'école avec des habits sans marques - évidemment, je faisais la tronche. Elle était au bout du monde, mais elle savait toujours ce qui était dans mon assiette le soir. C'est une vraie maman. Elle m'a toujours bercée avec la phrase "Ne jamais faire aux autres ce que vous n'aimeriez pas que l'on vous fasse". Elle m'a aussi beaucoup appris sur ma vocation d'actrice en me répétant : "Le plus difficile, ce n'est pas de le faire, ce métier. C'est de savoir le vivre." Avec des trous de tournage où, d'un seul coup, le téléphone est muet et où l'on plonge dans un vide effrayant parce qu'on n'a plus une proposition. Je n'étais pas consciente de cela avant que ça m'arrive. Le cinéma, ça m'est tombé tout cru : j'ai foncé tête baissée dans Les Corps impatients. Après, tout semblait facile et les propositions arrivaient… et puis j'ai eu un trou. Là, ç'a été difficile. Maintenant, je sais ce que c'est. J'ai mis du temps à savoir vivre ce métier, parfois cruel. Ma mère m'a encouragée à passer derrière la caméra. J'ai adoré la filmer d'une manière un peu fantomatique dans Thomas.

En vidéo, Johnny Hallyday, ses femmes, sa famille, ses proches

Vous préparez votre premier long-métrage. De quoi s'agit-il ?
C'est un thriller psychologique, que j'espère tourner l'année prochaine. J'y travaille depuis quatre ans. J'ai posé un synopsis sur des feuilles blanches, et puis ça a fleuri. Je n'ai pas le talent pour inventer une histoire qui n'aurait aucun lien avec le réel. Je puise dans mon vécu ou celui des gens que j'ai côtoyés. En tant que réalisatrice, je n'ai pas de technique particulière. Des images et des plans de cinéma arrivent dans ma tête naturellement. Je dessine des moodboards à partir de ces idées et de références à des scènes de film qui m'ont marquée, telles la noirceur lumineuse de Black Swan, que j'ai vu au moins quinze fois, ou l'image de ce ballon rouge qui traverse le monde pour éclater sur la tête de Johnny Depp dans Arizona Dream. La solitude du personnage de Somewhere, de Sofia Coppola , dont j'admire profondément la façon de filmer, m'inspire. Je cherche ce contraste entre un réalisme cru et une esthétique si parfaite qu'elle finit par devenir terrifiante.

Sur votre compte Instagram, on a remarqué cette magnifique photo d'un portail dans un paysage blanc…
C'est justement la première image du film que je suis en train d'écrire. Elle me fait penser aux films de Tim Burton, dont je suis fan. J'essaie de recréer l'univers de conte pour enfants que j'ai dans ma tête, mais transposé en thriller dans un monde d'adultes. Ce sera quelque chose de très esthétique, que je ne pourrais pas réaliser sans mon chef opérateur, Nicolas Massart, avec qui j'ai travaillé pour Thomas et pour le clip de David, Ma dernière lettre.

Pour David et moi, notre père restera toujours une énigme

Dans la vidéo de cette chanson poignante, on voit un loup aux yeux bleus…
C'est un montage : je voulais que ce loup ait les yeux de papa. Et quand David, recroquevillé, prend cette pose, c'est mon père aussi, qui se tenait souvent comme ça. Pour David et moi, notre père restera toujours une énigme. Il y avait un côté"lynchéen" dans le vécu de mon enfance. Je ne savais pas vraiment qui étaient mes parents, parce que j'avais deux personnalités différentes devant moi : il y avait ma maman et puis l'actrice ; mon papa et le chanteur. Je ne savais pas forcément à qui j'avais affaire quand je leur parlais. Les fantômes étaient déjà là. Mais les enfants ont beaucoup d'instinct, ils sentent les choses.

Comment décririez-vous votre relation avec David Hallyday ?
Même dans les pires moments de notre existence, il se passe souvent de belles choses. J'ai réellement rencontré mon frère à partir du moment où papa a été malade. On s'était toujours vus en coup de vent. Il a grandi aux États-Unis, et moi en France. On n'a pas eu la même enfance. Quand j'étais petite, je le voyais comme le prince charmant : je ne savais pas qui il était, je me considérais comme fille unique. Aujourd'hui, je dis que j'ai un frère, mon frère. Et ça fait vraiment du bien. Là, on est comme deux doigts de la main. On a appris à se connaître. On s'est fait peur main dans la main, comme on le chante ensemble dans la chanson que David a écrite après que notre père a été plongé dans un coma artificiel (en 2009). On s'est retrouvés à son chevet et on a pris conscience de l'immense lien qui nous unissait. Avec David, on n'a pas besoin de se parler pour se comprendre. Il est quelqu'un de très fort et de très humble. Il parvient à apaiser les choses. C'est David qui m'a prévenue que mon père était parti. Il s'est empêché de dormir toute la nuit pour m'appeler. Et puis, il a un talent incroyable. La première fois que j'ai entendu Ma dernière lettre, j'étais en larmes… Il l'a écrite en une journée, et chaque parole sort du cœur. En plus de ça, on rit beaucoup tous les deux, comme des gosses. J'aimerais réaliser un jour un film dans lequel il jouerait, parce que je sais que c'est un magnifique acteur. Je l'ai vu en le filmant pour le clip. Affaire à suivre, donc.

Vous avez franchi un autre grand pas en vous mariant…
Le mariage m'aurait terrifiée si ce n'avait pas été mon Raphaël. Mais avec lui, je sais que je ne peux pas mieux tomber. On s'est mariés à la mairie le 1er décembre et on a souhaité consolider notre lien par une cérémonie religieuse. Il s'est passé quelque chose d'assez dingue, comme tous ces signes que je peux avoir de mon père : je n'avais pas choisi la date, mais on voulait que ce soit au Cap Ferret, où je vais depuis vingt-trois ans, chez des amis très proches, les Bartherotte. J'appelle Benoît Bartherotte - qui est un peu pour moi un père spirituel - et il me dit avec son accent bordelais qu'il n'y a qu'une date disponible dans l'église Notre-Dame-des-Flots : "Le 15 juin !" C'est le jour où est né mon père. Se marier le jour de son anniversaire, sans l'avoir fait exprès ? Je me "suis pris la tête" en me disant que cela allait être mal interprété et, finalement, j'ai laissé faire la vie…

Le mariage de Laura Smet au Cap Ferret

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On a pensé à une phrase de Groucho Marx lors de l'annonce du décès de votre père : "Soit cet homme est mort, soit le temps s'est arrêté."
C'est magnifique. Ça lui va bien. J'aimerais vraiment que l'on rende sa place à mon père à celle d'un immense artiste, un chanteur, un interprète comme il y en a eu peu, l'Elvis Presley français. Même si son image ne peut pas être ternie - son talent dépasse tout -, je sais qu'il n'aurait pas aimé ce qu'il se passe actuellement. Je le sais. Je suis sa fille, je ressens les choses. C'est tout ce que je peux dire aujourd'hui. Je continuerai à me battre, peut-être pas pour moi mais pour mes enfants, plus tard. Parce que mon père l'aurait voulu.

Qu'est-ce qu'il vous a transmis ?
Mon père m'a appris à écouter mon instinct. Il m'a transmis la notion du bien et du mal…, la foi. Il avait une spiritualité très portée vers la nature. Et puis, il m'a donné la valeur du travail. Il avait besoin de cadre parce qu'il n'en avait jamais eu : il n'y a pas eu de parents, d'école. Il pouvait être extrêmement dur avec lui-même, toujours en train de faire du sport, des régimes alimentaires pour donner le maximum à son public, qu'il a aimé et qui l'a aimé tellement. Tellement… Il a donné sa vie pour son public. Et moi, ce qu'il m'a toujours dit, c'est : "Ta vie, tu peux en faire ce que tu veux. Mais c'est à toi de le faire. À personne d'autre." Voilà. Mon père m'a appris la volonté. Il n'y a rien sans ça. Je porte toujours la bague qu'il m'a offerte - elle me donne de la force.

Mon père m'a appris à écouter mon instinct

Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez entendu la chanson Laura ?
Je me souviens de quelque chose de génial et de terrifiant. Parce qu'il y a tout Bercy qui s'est retourné sur moi ; j'étais une enfant… (C'était en 1987, Laura Smet avait presque 4 ans, NDLR.) Il y a toute une foule qui vous regarde soudain et votre papa qui vous chante une berceuse à Bercy : c'est particulier ! (Rires.) Je sais que j'étais très fière. Je me sens toujours très fière d'être sa fille.

Si vous avez des enfants un jour, qu'aimeriez-vous leur transmettre ?
La liberté de pensée… La liberté de se moquer des étiquettes. L'acceptation de la différence et la conviction que tout être a le droit d'être traité de la même façon. Et puis, la capacité de s'écouter parce que ça passe tellement vite, la vie… S'écouter donc, faire ce qui nous rend heureux. Et faire du bien à cette planète : c'est très important. Et ça l'est de plus en plus. Voilà ce que je leur dirai.

Quel est votre état d'esprit aujourd'hui ?
Je suis sereine, confiante, heureuse. Quand on perd son père, c'est dur, mais je suis en train de faire mon deuil, même si c'est difficile. Je le sens tellement là ; je me sens accompagnée. J'ai manqué de confiance en moi dans le passé, mais j'ai beaucoup avancé. Je n'ai pas envie d'aller trop vite, je veux profiter du temps. Je viens d'emménager dans un nouvel appartement avec mon mari et son fils de 11 ans, et je suis bien dans mes baskets. C'est sûr que j'aurai un enfant très vite. Mais, pour l'instant, je tourne La Garçonne. On verra ce que la vie me réserve. Je lui fais confiance. Comme l'a écrit Charlie Chaplin : "Rien n'est éternel dans ce monde, même pas nos problèmes."

Laura Smet : "Pour David et moi, notre père restera toujours une énigme"

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