Voilà une publication pleine d’enseignements, à l’heure où le gouvernement planche sur le financement de la dépendance. D’après un article scientifique accueilli dans la revue Économie et Statistique de l’Insee parue jeudi 11 juillet, 6 % seulement des personnes dépendantes en Europe seraient en mesure de couvrir leurs dépenses de perte d’autonomie grâce à leur seul revenu (notamment leur pension de retraite).

Cette proportion pourrait atteindre 16 % si ces personnes utilisaient leur patrimoine financier ; 22 % si elles vendaient leur patrimoine immobilier hors résidence principale ; 49 % si les mêmes personnes mobilisaient en outre leur résidence principale, via un prêt viager hypothécaire. Autrement dit, même en faisant feu de tout bois, une bonne moitié des personnes dépendantes n’auraient pas suffisamment de ressources pour financer leurs dépenses de perte d’autonomie.

Le coût moyen annuel de la dépendance : 33 972 € en France

Les travaux portent sur les personnes âgées de 65 ans et plus en 2013 dans neuf pays européens, dont la France. Sont considérées en perte d’autonomie les personnes qui déclarent rencontrer des difficultés dans au moins deux activités essentielles de la vie quotidienne (s’habiller, se déplacer dans une pièce, prendre un bain ou une douche, manger, se mettre au lit, se lever, utiliser les toilettes).

Le coût de la perte d’autonomie est calculé en prenant en compte le nombre moyen d’heures d’aide par semaine nécessaires aux personnes dépendantes, soit 28,4 heures (l’étude ne porte pas sur le coût d’une maison de retraite, encore plus élevé). En vertu du coût moyen de la main-d’œuvre, le coût annuel d’une perte d’autonomie est évalué à 20 383 € en Espagne, 42 096 € au Danemark et 33 972 € en France.

57 % des personnes âgées de 65 ans et plus seront concernées

Sur ces bases, les chercheuses estiment que 57 % des personnes âgées de 65 ans et plus en 2013 connaîtront au moins un épisode de perte d’autonomie, la durée moyenne de la dépendance étant de 4,4 années. Plus on est pauvre, plus le risque de connaître la dépendance est élevé : 64 % des 20 % les moins riches connaîtront une perte d’autonomie, contre 49 % des 20 % les plus riches.

Comme indiqué plus haut, il ressort de leurs simulations que « dans la plupart des pays, seules 35 % à 50 % des personnes sont en mesure de financer leurs épisodes de perte d’autonomie », les Danois et les Autrichiens étant les moins bien lotis. La proportion est plus élevée en France (58 %) et en Belgique (66 %) où « le revenu, le patrimoine financier et le patrimoine immobilier sont, en moyenne, supérieurs », notent les auteures.

La piste du prêt viager hypothécaire

Pour mobiliser les ressources tirées de la résidence principale, les auteures ont exploré la piste – très peu usitée aujourd’hui – du prêt viager hypothécaire. Dans ce système, les propriétaires occupant empruntent sur tout ou partie de la valeur de leur logement.

Le prêt est remboursé quand l’emprunteur vend son bien ou décède. Les héritiers peuvent alors soit rembourser le montant du crédit au prêteur et conserver le bien, soit vendre le bien et récupérer la différence. Le montant de la dette est limité à la valeur du logement à échéance du contrat.

Une nécessaire mutualisation du risque

Qu’elle qu’en soit la forme, la mobilisation de la résidence principale dans le financement de la dépendance restera insuffisante pour prendre en charge la dépendance. Ces résultats mettent en évidence « la nécessité de mettre en place d’autres formes de financement », concluent les auteures.

Dans un article critique qui accompagne leur publication, le professeur Jérôme Wittwer, de l’université de Bordeaux, enfonce le clou : « l’impossibilité de faire face à ces dépenses n’est pas réduite à la partie la plus démunie de la population européenne mais à environ la moitié de la population », relève-t-il, concluant qu’« il n’y aura pas d’échappatoire à une forme de mutualisation ou de socialisation du risque dépendance ».

(1) Bonnet C., Juin S. et Lafarrère A. (2019) . Private financing of long-term care  : income, saving and reverse mortgages. Économie et statistiques, 507-508, 5-24.