Livres

Ces 5 livres qui ont fait scandale

Atteinte aux mœurs, à la morale, jugés vulgaires ou politiquement incorrects, retour sur cinq livres qui ont fait scandale, de "Lolita" à "J’irai cracher sur vos tombes".
Livres
LivresMikael Jansson pour Vogue Paris

Pourquoi ces livres ont-ils fait scandale ? Parfois pour l’intention de l’auteur, pour le regard qu’ils portent sur la société de leur époque, pour une histoire qui va à l’encontre de ce que l’on considérait moral. Tour à tour censurés, interdits, puis finalement encensés, certains de ces ouvrages suscitent encore la controverse. Reste qu’ils ont marqué l’histoire de la littérature, et prouvé, chacun leur tour, l’extraordinaire pouvoir de réflexion qu’elle offre à qui accepte de regarder au delà de la morale.

L’amant de Lady Chatterley, D.H. Lawrence (1928)

Il aura fallu plus de trente ans pour que le Royaume-Uni publie la version originale de L’Amant de Lady Chatterley, devenu par la force des choses le roman le plus célèbre de D.H. Lawrence. Lorsqu’il achève son écriture en 1928, l’auteur est conscient que personne ne risquera sa publication : cette histoire d’amour interdite entre une châtelaine, mariée à un infirme, et un garde-forestier, est truffée de références explicites au sexe et au désir - même les descriptions de la nature transpirent l’érotisme. Un challenge pour les mœurs de l’époque. D.H. Lawrence décide de faire imprimer lui-même le livre à Florence, à compte d’auteur, et en vend quelques centaines d’exemplaires sous le manteau entre l’Europe et les États-Unis. En 1932, une première version, expurgée, parait finalement en Angleterre. Les critiques sont violentes : Lawrence est un pervers, un malade dénué de tout sens moral. L’auteur, lui, parle d’un « livre sain et nécessaire », et dit avoir « toujours œuvré pour que la sexualité soit vécue de façon authentique et sacrée, et non pas de manière honteuse. » Finalement publié en 1960, bien après la mort de l’auteur, le texte original fait l’objet d’un procès intenté aux éditions Penguin Books pour publication obscène. Leur acquittement marquera le début d’une nouvelle ère de libération des mœurs et de liberté de parole.

L’amant de Lady Chatterley

Folio Classique

Madame Bovary, Gustave Flaubert (1857)

D’abord publié dans « La revue de Paris », sous forme feuilleton, avant que ne paraisse le texte intégral en 1857, Madame Bovary fait rapidement l’objet de désaccords entre son auteur et les directeurs de la publication. Jugeant immorale cette histoire de femme perdue dans une routine affective, en quête d’une vie de voyages et de rencontres, ils y apportent de nombreuses corrections, que Flaubert renie catégoriquement. Après la publication du dernier épisode, l’auteur et son imprimeur sont accusés d’ « outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs », pour avoir remis en question l’institution du mariage et dressé le portrait d’une femme épanouie dans l’adultère. Lors de son réquisitoire, le procureur Ernest Pinard dira : « Ce que l’auteur vous montre, c’est la poésie de l’adultère, et je vous demande encore une fois si ces pages lascives ne sont pas d’une immoralité profonde. » Après une plaidoirie de quatre heures de son avocat Maître Senard, Flaubert est finalement acquitté, et le roman paraît en avril 1957, soutenu par la critique. Flaubert le dédie à son avocat.

Madame Bovary

Le Livre de Poche

Lolita, Vladimir Nabokov (1955)

Les éditeurs sont formels : il serait impossible de publier Lolita aujourd’hui. « Là où Ulysse ou l’Amant de Lady Chatterley, par exemple, ont désormais un air familier, inoffensif, voire même charmant, le chef-d’œuvre de Nabokov est encore plus dérangeant qu’il ne l’était jadis. » écrivait Charles McGrath, le critique littéraire du « New York Times », en 2005. Jugée tour à tour perverse, pornographe et pédophile, l’histoire de cette relation incestueuse entre Humbert Humbert et Dolores, sa belle-fille de 13 ans, dérange dès sa première publication. Nabokov, qui a un temps songé à publier le livre anonymement, essuie d’abord le refus de cinq éditeurs américains. En 1955, l’éditeur français Maurice Girodias accepte de publier le livre en anglais. il est immédiatement interdit, la censure ne sera levée que 3 ans plus tard, date de sa publication aux États-Unis. Le débat créé autour de Lolita, aussi bien par les éditeurs que par la critique, le public et Nabokov lui-même, n’est toujours pas clos aujourd’hui. Certains y voient une puissante satire sociale, un brillant polar ou un sublime exercice de littérature. D’autres n’en gardent que les scènes de pédophilie moralement insoutenables. Des éditeurs qui avaient refusé de publier son roman, Nabokov a dit « « leur refus se fondait non pas sur ma façon de traiter le thème, mais sur le thème lui-même ». Le débat a encore une longue vie devant lui, et restera l’un des romans les plus controversés de l’histoire.

Lolita

Anagrama

Ulysse, James Joyce (1922)

Avec cette réécriture de L’Odyssée d’Homère, Joyce y prend toutes les libertés, parodie tous les styles littéraires, s’affranchit des règles de l’orthographe et porte un coup sec au mythique voyage d’Ulysse, qui devient l’errance sexuelle d’un homme chaste qui attend sa Pénélope. Après quelques extraits publiés entre 1918 et 1919 dans les revues « The Egoist » et « The Little Review », le livre est jugé obscène. C’est finalement Sylvia Beach, fondatrice de la librairie parisienne Shakespeare & Company, qui se charge la première de publier ce pavé de 732 pages, dont la première édition comporte quelque 2 500 erreurs typographiques. Mal reçu par la critique, le livre continue de subir les conséquences de sa controverse : les premiers tirages sont brûles à la douane de New York; pour arriver à bon port, des exemplaires pirates sont dissimulés sous des couvertures trompeuses. En 1933, les États-Unis lèvent l’interdiction de publication. Après ce scandale viendra celui des traductions : comment rendre justice au texte initial ? Faut-il le couper, transformer les nombreuses subtilités de langue, corriger la syntaxe, assagir le texte ? Ces nombreux débats d’intellectuels ont fait d’Ulysse une légende de la littérature. Pour les incontournables de James Joyce, le 16 juin est encore célébré comme le jour de la folle errance de Leopold Bloom et Stephen Dedalus.

Ulysse

Folio

J’irai cracher sur vos tombes, Boris Vian (Vernon Sullivan) (1946)

C’est sous le pseudonyme Vernon Sullivan, dont il dit être le traducteur, que Boris Vian publie J’irai cracher sur vos tombes, conçu comme un exercice de style autour du best-seller à l’américaine et commandé à l’auteur par l’éditeur Jean d’Halluin, qui vient tout juste de fonder les éditions du Scorpion. À grand renfort de sexe et de violence, Vian s’attaque à la ségrégation raciale dans le sud des États-Unis. Le but : créer le même scandale que le Tropique du Cancer d’Henry Miller. Pari gagné, alors que commence à poindre les possibilités que Vian soit lui-même l’auteur du roman, il est attaqué en justice par le Cartel d'action sociale et morale, scandale aggravé lorsqu’un exemplaire du livre est trouvé près du corps d’une femme fraîchement assassinée par son mari. En août 1947, le tribunal abandonne ses poursuites et Vian admet finalement en être l’auteur. Lorsque le livre paraît en anglais, le Cartel d'action sociale et morale relance la procédure, l’écrivain est finalement condamné pour atteinte aux bonnes mœurs. Entre-temps, l’oeuvre s’est écoulée à plus de 100 000 exemplaires, et hissé Boris Vian au rang des grands auteurs controversés.

J'irai cracher sur vos tombes

Christian Bourgois

À lire aussi sur Vogue.fr :
Les 15 livres qu'il faut avoir lus dans sa vie