SENS FIGURES (4/4)Comment la langue des signes s'adapte-t-elle à l'actualité?

Handicap et accessibilité: Comment la langue des signes s'adapte-t-elle à l'actualité?

SENS FIGURES (4/4)« Gilets Jaunes », « Donald Trump »… Les sourds créent sans cesse de nouveaux signes pour parler de l’actualité médiatique
300.000 Français emploient la langue des signes française.
300.000 Français emploient la langue des signes française.  - Jean-Sebastien Evrard AFP
Marie Gicquel

Marie Gicquel

L'essentiel

  • Alors que l’accès à la culture et aux médias est en pleine mutation numérique, les sourds et aveugles sont-ils les grands oubliés de cette révolution ?
  • « 20 Minutes » passe en revue diverses pratiques culturelles pour savoir quelles initiatives étaient mises en place pour une meilleure accessibilité des œuvres.
  • Aujourd’hui, nous examinons comment la langue des signes française enrichit son dictionnaire de nouveaux signes pour coller à l’actualité médiatique.

«Ne parlez pas de langage, mais bien de langue ! Avec sa culture et son territoire », prévient Stéphane Barrère, de l’AFILS. Cette association est la référence des traducteurs et interprètes de la langue des signes, la langue maternelle d’environ 300.000 français. Créée dans les années 1990, l’association a pour objectif entre autres, d’éditer le code éthique des interprètes de la langue des signes. Trois piliers : le secret professionel, la fidélité du message traduit et la neutralité.

Stéphane Barrère, lui, s’est retrouvé interprète « par hasard ». « La LFS (langue française des signes), c’est comme une langue, étrangère, qui évolue avec le temps. Il y a 30 ans par exemple, le signe Internet n’existait pas. Aujourd’hui, on a celui pour Facebook, Instagram, Twitter…. ».

Un dictionnaire pour les signes

Cette année, « darknet », « dégagisme » ou « ubériser » ont fait leur entrée dans l’édition 2019 du Robert. Qu’en est-il pour la LFS ? Des nouveaux signes ont-ils pointé le bout de leur nez ? « Nous n’avons pas d’Académie française du signe. Mais nous avons des dictionnaires, explique Stéphane Barrère. Seulement, exposer des signes sur du papier, c’est figer un signe et ce n’est pas évident. Les signes se développent avec tout le corps, avec l’expression du visage, la peur, la tristesse… ».

Mieux adapté, le site Elix par exemple, propose de traduire les mots français en signes, via des vidéos. Il existe même des dictionnaires de langues comparées car il n’existe pas de langue des signes internationale. « La langue des signes s’imprègne de la culture, de la société. Par exemple, le signe français du bébé ne sera pas le même que celui d’une langue des signes africaine. Le signe du bébé français sera devant, alors que celui africain, derrière. Mais la grammaire des langues des signes étrangères reste semblable. »

L’apparition des nouveaux signes

Le 11 février 2005 donne naissance à la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette loi va faire un peu bouger les lignes dans les médias : les personnes en situation de handicap doivent avoir accès à l’information. Les chaînes d’informations en continu font donc appel à des interprètes pour certains de leurs journaux (le journal de 12h de FranceInfo, celui de 13h de BFM TV, et 16h30 pour CNews…) « Il y a aussi les bandeaux, les sous-titres, mais il ne faut pas oublier que pour certains sourds, le français n’est pas leur langue maternelle. » Les chaînes ont parfois aussi tendance à afficher les traducteurs « en trop petit à l’écran » et parfois, ils oublient de porter du noir. Les hauts colorés ou rayés sont plus fatigants à regarder…

Des médias comme websourd et média'pi ont alors vu le jour : tous les journaux et dépêches AFP sont proposés en langue des signes. Des sourds qui parlent aux sourds. Ils ont également une autre portée : « Ils jouent un rôle aussi dans la création des nouveaux signes, qui se pense au sein de la communauté », explique Stéphane Barrère. Le signe, comme le mot, a une vie : tic de langage, mot à la mode ou emploi désuet…

Caractéristique physique et périphrase

Alors concrètement, comment on crée un signe et comment on le répand ? Pour les novices en politique, les signes se calquent sur une particularité physique, un détail : les deux grains de beauté de François Hollande, le nez pointu de Vladimir Poutine, les sourcils de Nicolas Sarkozy ou les pattes d’Emmanuel Macron, la mèche de Donald Trump… Pour les « Gilets Jaunes », la traduction littérale a été choisie. Enfin pour ce qui est de mots plus précis, on utilise des périphrases, par exemple le pédiatre : celui qui soigne les enfants. « On préférera par exemple traduire l’expression "le locataire de la Maison-Blanche" par "le président des Etats-Unis". Il doit y avoir une adaptation culturelle. » Cette adaptation n’est pas toujours une simplification, au contraire. Les jeunes sourds ont leur vocabulaire, leurs manières… Des concours d’éloquence sont même organisés par l’INJS, l’Institut national de jeunes sourds.

250 ans après l’ouverture de la première école destinée aux sourds créée par l’Abbé de l’Epée, la communauté se bat pour faire valoir ses droits et a manifesté il y a quelques jours, le 20 juin, pour réclamer, entre autres choses, l’inscription de la LSF dans la Constitution. Mais comment dit-on « Constitution » en langue des signes ?

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